Les conséquences
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L'AFFAIRE ENRON : LES CONSÉQUENCES

Bien que certains économistes comme Jean-Paul FITOUSSI restent nuancés sur ce point, pour d’autres, la crise actuelle a des répercussions mondiales qui vont bien au-delà d’une banqueroute spectaculaire. Le courtier ENRON, érigé en modèle par la communauté financière, ébranle le corps de doctrine du capitalisme des années 90. Transparence financière, gouvernement d’entreprise, indépendance des administrateurs, création de valeur, aucun des mécanismes censés créer les conditions d’une démocratisation de l’actionnariat, voire d’instaurer un capitalisme plus partageux par les fonds de pension, n’a convenablement fonctionné.

Nous dégagerons essentiellement trois sujets de préoccupation qui portent sur :

les procédures de contrôle des groupes,

la dimension psychologique de la confiance dans les affaires 

la pertinence réelle du modèle économique jusque-là proposé.

 

Les procédures de contrôle et les « garde-fous » censés rendre les marchés efficients s’avèrent inefficaces et les autorités de tutelle ainsi que les professionnels chargés d’établir ou d’appliquer ces procédures sont décrédibilisés : le conseil d’administration de ENRON, le cabinet Arthur ANDERSEN, les banques d’affaires, la SEC, les analystes, les agences de rating (dont le rôle est de noter les entreprises selon le degré de risque qu’elles présentent).

Certaines firmes, comme DELTA AIRLINES ou le groupe pharmaceutique MERCK réagissent en déclarant leur intention de se passer désormais des services du cabinet ANDERSEN. À leur tour, ANDERSEN et les quatre autres grands cabinets d’audit, souhaitant supprimer les conflits d’intérêt internes et limiter la fuite de leur clientèle, annoncent la séparation prochaine de leurs activités de conseil et d’audit.

René RICOL, Commissaire aux comptes et président de la Fédération internationale des experts comptables, s’interroge sur la possibilité d’une séparation franche des missions d’audit comptable et de la certification légale des comptes.

Les banques d’affaires, secouées par des scandales en série (faillite de la BCCI en 1991, affaire BARINGS en 1995, LTCM en 1998) déclarent vouloir dresser une frontière étanche entre leurs analystes, leurs traders et leurs banquiers d’affaires pour prouver aux investisseurs l’indépendance et l’intégrité des acteurs du monde financier.

 

La confiance qui est à la base des affaires est remise en cause, ainsi que la réalité et l’authenticité des comptes publiés. Or, « sans une information financière honnête et fiable, un marché ne peut tout simplement pas fonctionner » rappelait récemment Alan BLINDER, ancien vice-président de la Réserve fédérale.

 

Enfin, on est en droit aujourd’hui, et en particulier les chefs d’entreprise et les investisseurs, de s’interroger sur la pertinence d’un modèle économique dévoyé. Les impératifs de la création de valeur, de la hausse des cours boursiers, du financement de l’expansion et de la rémunération des dirigeants ont conduit ceux-ci à optimiser la rentabilité des fonds propres de leur société et à réduire leur dette, parfois au prix d’une manipulation des comptes pour ne pas désespérer les marchés.

Portés par l’euphorie boursière qui a profité aux États-Unis et à l’Europe au milieu des années 1990 et au début de l’année 2000, les analystes et investisseurs financiers ont imposé aux entreprises une norme, rapidement dirigée en dogme : obtenir un rendement annuel sur fonds propres d’au moins 15%. Ce taux permet à l’entreprise (si les bénéfices sont conservés et réinvestis dans l’entreprise) de doubler sa valeur tous les cinq ans, et de voir son cours boursier suivre la même évolution. Ce dogme explique l’accélération récente du rythme des restructurations : cessions de divisions et de métiers jugés peu rentables, rejet d’options stratégiques séduisantes, mais ne satisfaisant pas à l’impérative règle. C’est ainsi que la biscuiterie LU et MARKS & SPENCER en France, ont fermé leurs portes au nom des intérêts des actionnaires.