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 CORRECTION DU THÈME DE RÉFLEXION

Rappel du sujet proposé : La concentration des entreprises : effets et limites.

Concentrer veut dire rassembler, réunir, rapprocher d’un même point ; en ce qui concerne l’entreprise, nombreux sont les exemples de l’actualité récente qui traduisent l’accélération d’un phénomène de mutation : certaines entreprises naissent, qui semblent provenir de la disparition d’autres entreprises. Par ailleurs, les rapprochements d’entreprises, sous forme d’accords, d’alliances, de coopération, renforcent le pouvoir de marché des grandes entreprises et remettent en cause les traditionnelles relations concurrentielles entre firmes ainsi que les structures de marché correspondantes. En ce sens, on est fondé à se demander dans quelle mesure la concentration des entreprises est compatible avec la logique des économies libérales et la philosophie des marchés de concurrence pure et parfaite.

On peut distinguer deux types de concentration : 

-         la concentration technico-économique qui conduit à l’augmentation de la taille moyenne des établissements et des entreprises, assortie ou non d’effets de domination ; elle peut prendre plusieurs formes (horizontale, verticale ou mixte), et deux aspects :  concentration avec le même nombre d’entreprises, si une entreprise gagne de plus en plus de parts de marché en laissant volontairement subsister des concurrents affaiblis, et concentration physique avec réduction du nombre des entreprises,

-         la concentration financière caractérisée par la croissance absolue des capitaux propres, la concentration de la propriété et la prise de participation de certaines entreprises sur d’autres, sans forcément modifier ni la taille ni le nombre des entreprises.

Les conséquences économiques, financières et sociales de ce phénomène sont multiples et  complexes. Ce qui est bon pour l’entreprise concentrée le sera t-il également pour le consommateur ? Dans une optique parétienne, ce point de vue devrait pouvoir être généralisé à la société dans son ensemble, à sa production de richesses, son niveau d’emploi, sa performance en matière de commerce extérieur.

Quels sont donc les avantages attendus par l’entreprise de l’accroissement de sa taille ? Vont-ils forcément se traduire par davantage d’influence et de pouvoir sur les concurrents, les clients, les consommateurs et, de façon générale sur les partenaires de l’entreprise ? La logique de ce phénomène n’est t-elle pas de déboucher sur des marchés oligopolistiques, voire monopolistiques ? À partir de quel moment l’effet de domination deviendra t-il pour l’État et le citoyen un abus de position dominante qui devra être sanctionné ? La tendance à la prise de pouvoir des entreprises sous forme de participation financière systématique sur des concurrents constituera-t-elle à terme une inquiétante oligarchie financière ?

Nous aborderons, dans une première partie, les conséquences de la concentration des entreprises, en distinguant les effets au plan macro-économique, puis au plan micro-économique. Les limites de ce phénomène seront analysées dans une deuxième partie, limites internes à l’entreprise d’abord, limites externes enfin.

 

1       -  LES EFFETS DE LA CONCENTRATION DES ENTREPRISES

11 – LES EFFETS AU PLAN MACRO-ÉCONOMIQUE DE LA CONCENTRATION DES ENTREPRISES

Ø      À partir du moment où les entreprises sont de moins en moins nombreuses, alors que leur taille moyenne augmente (conception la plus courante de la concentration), le marché va tendre vers une structure oligopolistique (grand nombre d’acheteurs face à un nombre restreint de compétiteurs). Cet effet sera renforcé par la segmentation des marchés et la différenciation des produits que les entrepreneurs ne manqueront pas de pratiquer.

Du point de vue de la théorie de la concurrence pure et parfaite, c’est la condition d’atomicité qui n’est pas réunie ; il y a alors possibilité à ce nombre réduit d’offreurs d’exercer des actions troublant les lois de régulation du marché (action sur les prix, sur les quantités…).

Ø      Un système oligopolistique va-t-il avoir une influence sur le prix de vente du produit ?

J. SCHUMPETER soutient que la concentration favorise le fonctionnement et l’efficacité du système économique capitaliste, par la destruction créatrice, c’est-à-dire la suppression de secteurs à structures archaïques, remplacés par de nouvelles  activités porteuses de croissance  : « il n’est pas évident que le prix de vente soit plus élevé en situation d’oligopole qu’en situation de concurrence parfaite » (in Capitalisme, Socialisme et démocratie). La baisse des prix liée à la production de masse profiterait alors aux consommateurs.

Force est de constater toutefois que si la concentration n’entraîne pas systématiquement  des hausses de prix abusives, elle crée les conditions permissives des abus. Ainsi, les oligopoles vont réagir très vite à une hausse exogène de leurs coûts : EDF/GDF répercute intégralement la hausse du coût d’achat du pétrole et intègre celle du cours du dollar en augmentant ses tarifs.

Ø      La concentration des firmes a une incidence appréciable sur le commerce extérieur ; plus une firme est concentrée, plus sa dimension va lui permettre de soutenir la concurrence des grands groupes étrangers ; elle pourra alors se tourner vers les marchés extérieurs et/ou intégrer ces marchés dans la définition de sa zone stratégique d’achalandage. Les exportations correspondantes auront une incidence positive sur la balance commerciale nationale.

Ø      La concentration des entreprises favorise le développement de la recherche : plus les entreprises ont une taille importante, plus elles pourront financer des programmes de recherche, déposer des brevets nationaux et internationaux. Cette situation temporaire de monopole a des incidences commerciales et financières intéressantes pour le pays.

Ø      Au plan politique, une entreprise puissante au plan régional ou national va pouvoir faire pression sur les Pouvoirs Publics ; l’activité d’une entreprise de grande taille est souvent essentielle en matière d’emplois et de revenus pour une localité, une région, voire un pays. L’État soucieux d’aménager le territoire et de soutenir l’activité économique ne peut se désintéresser du sort d’une entreprise qui détient un tel poids social.

Mais face aux entreprises multinationales, les États nationaux ne risquent-ils pas de perdre la maîtrise de l’orientation économique du pays ?

 

12 – LES EFFETS AU PLAN MICRO-ÉCONOMIQUE DE LA CONCENTRATION DES ENTREPRISES

 

Ø      Les conséquences les plus importantes sont celles inhérentes aux modifications structurelles engendrées par l’accroissement de la taille de l’organisation.

En matière d’emploi, O. GÉLINIER évoquait le « dégraissage des structures » ; après une fusion ou une absorption, on observe fréquemment des licenciements collectifs à court terme, portant sur les personnes faisant « double-emploi ». Mais à plus long terme, l’entreprise en croissance va embaucher.

Se posera également le problème de l’organisation de la structure au travers des idées de centralisation et décentralisation, dans le but d’éviter un alourdissement des structures et une perte de dynamisme de la firme.

Une opération de croissance externe peut enfin fournir l’occasion d’adopter de nouvelles méthodes de travail (spécialisation du travail, rationalisation des tâches, flexibilité…). La grande entreprise peut offrir au personnel de meilleures conditions de travail et a la possibilité d’améliorer le climat social et, de façon générale, la Gestion des Relations Humaines.

Ø      L’accroissement de la surface financière permet des investissements onéreux (secteurs à forte intensité capitalistique) et des investissements intellectuels en matière de recherche, de formation du personnel…

Ø      Pour HOUSSIAUX, « la taille de l’entreprise est la source directe de la puissance économique et le fondement le plus important du pouvoir de la firme sur le marché ».

À quels niveaux situer ces effets de domination ?

En amont, vis-à-vis des fournisseurs (négociation des prix, quantités, délais…).

En aval, vers la clientèle et le consommateur, en exploitant la supériorité de sa position sur le marché (possibilité de mettre en œuvre une stratégie commerciale fondée sur des outils mercatiques efficaces).

Sur le marché financier, la grande entreprise pourra négocier avec son banquier les taux, les crédits, les délais…

Vis-à-vis des Pouvoirs Publics, comme signalé plus-haut.

Ø      Bien que les charges de structure soient, en valeur absolue, plus élevés, leur étalement sur une production de masse permet d’obtenir une meilleure productivité et un niveau de coût unitaire inférieur. La réalisation d’économies d’échelle internes est au cœur de la dynamique des opérations de concentration.

Ø      Par sa surface financière, la grande entreprise va pouvoir embaucher un personnel de valeur, rompu aux problèmes de direction et de gestion (analystes financiers, spécialistes de mercatique, experts juridiques…), autant d’atouts qui manquent aux jeunes pousses (start-up).

Ø      Une grande entreprise attire et cultive la confiance des actionnaires, en mettant en place un gouvernement d’entreprise (corporate governance) efficace, qui lui garantit une source de financement régulière sur le long terme et un accroissement de sa valeur boursière.

Certaines opérations de concentration échouent ; des rapprochements d’entreprises ne produisent pas tous les effets escomptés. Il ne s’agirait donc pas d’une panacée, et, en tout cas, des limites, des obstacles semblent exister qui peuvent remettre en question la stratégie de concentration.

 

2  -  LES LIMITES À LA CONCENTRATION DES ENTREPRISES

 

21 – LES OBSTACLES INTERNES À L’ORGANISATION

Ø      Des obstacles techniques d’abord : si le coût unitaire décroît lorsque les quantités produites augmentent, au delà d’un certain seuil, le coût augmente, et on entre dans la phase des rendements décroissants ; il existe donc une taille optimale pour laquelle l’efficacité économique est la plus grande (le coût est minimum).

Pour repousser cette limite, on met en œuvre des techniques de gestion comme la décentralisation des structures avec adoption de structures horizontales ou par produits…

Ø      Difficulté de gérer un grand ensemble : à partir d’une certaine taille, la gestion nécessite une telle décentralisation que l’intérêt de la concentration disparaît. La concentration mène à la bureaucratie (problèmes croissants de direction, de coordination, de contrôle…). La firme perd en « coûts de gestion » ce qu’elle gagne en « coûts de production ».

Ø      Les problèmes humains croissent avec la taille de l’entreprise (insatisfaction au travail). Les relations humaines dans un grand groupe sont très impersonnelles.

Ø      L’entreprise concentrée laisse volontairement subsister des concurrents pour :

o       bénéficier des rentes de situation

o       ménager son image de marque (la notion de monopole fait hérisser les esprits)

o       ne pas donner prise aux législations anti-monopolistiques

En outre, aux plans financiers et commercial, l’entente peut être préférable à la concentration (confer les opérations actuelles de rapprochement d’entreprises, alliances, coopérations…)

 

22 – LES OBSTACLES EXTERNES À L’ORGANISATION

Ø      L’évolution des marchés (saturation puis déclin) pour les entreprises qui ne planifient pas leurs activité

Ø      Des limites légales : par leur position dominante, les entreprises concentrées peuvent exercer un pouvoir de monopole qui risque de nuire aux consommateurs, d’où la nécessaire intervention des Pouvoirs Publics.

-         Aux États-Unis, la législation anti-trusts (1950), après le Sherman Act (1890) et le Clayton Act (1914) s’opposent aux regroupements monopolistiques qui portent atteinte à la loyauté des règles de concurrence et aux intérêts des consommateurs (exemple du procès Microsoft).

-         En Grande Bretagne, la Commission des monopoles peut s’opposer à des opérations de fusion risquant de nuire à l’intérêt général.

-         En France, les législations françaises et européennes s’appliquent en interdisant les ententes et les abus de position dominante.

Notons toutefois la position ambiguë des État qui souhaitent à la fois :

-         promouvoir des structures industrielles efficaces et favorisent la constitution de groupes oligopolistiques au plan international et souvent monopolistiques au plan national,

-         tout en assurant les fondements et le fonctionnement d’une économie concurrentielle et libérale.

CONCLUSION

Est-ce que, en système d’économie libérale, la voie réglementaire ou juridique permet réellement de contrôler les grandes firmes, tout en reconnaissant leurs performances économiques et techniques ? Le phénomène de la concentration économique est-il compatible avec un optimum social, d’une part, et avec la logique des économies libérales, d’autre part ?

Un certain scepticisme s’impose car l’absence de contre-pouvoir est patent. Faut-il alors recourir à ce que BERLE appelle « la conscience du roi », ou espérer le développement des actions de résistance d’associations internationales de citoyens qui semble se dessiner, ou plus radicalement, supprimer les incompatibilités en nationalisant les entreprises monopolistes ? Victoire à la Pyrrhus, car on éliminerait par là-même le système d’économie libérale.