COMMENT JUSTIFIER LA LIBÉRALISATION FINANCIÈRE ET QUELLES EN SONT LES CONSÉQUENCES ? La libéralisation financière est essentiellement justifiée par le fait qu'elle répond aux besoins des différents acteurs qui vont y trouver leur intérêt. En conséquence, la finance mondiale devient complexe et fragile. Nous aborderons successivement ces deux questions.
Pour comprendre les raisons des mutations financières récentes,
il faut se placer dans le contexte historique de la fin des années soixante-dix
; cette période, qui est un tournant de la régulation fordiste, se caractérise
par : - une inflation
qui s'accélère, Comment les institutions financières, les chefs
d'entreprises, les détenteurs de capitaux et les États vont-ils
tirer profit de la libéralisation financière ? Un élément de réponse fait référence à la théorie : la
suppression des obstacles à la libre circulation des capitaux doit aboutir à
un accroissement de la compétition entre des places financières en
concurrence, et à ce que les économistes appellent une allocation optimale
des capitaux, c'est-à-dire que, par exemple, un chef d'entreprise qui
souhaite lancer un projet d'investissement et donc stimuler la croissance économique,
trouvera forcément, sur les places financières mondiales en concurrence, le
financement le plus intéressant pour son projet, même dans le cas où
les capitaux nationaux disponibles seraient insuffisants. Par conséquent, les détenteurs de capitaux comme les
assurances, les banques ou les fonds de pension, qui peuvent désormais placer
leurs capitaux sur n'importe quelle place financière mondiale, vont diversifier
leurs risques, en répartissant leurs fonds sur plusieurs marchés, et ainsi
ils optimiseront la gestion de leurs portefeuille. De façon plus générale, les pays qui disposent de projets
d'investissement utiles et efficaces, mais qui manquent d'épargne nationale,
pourront financer leurs projets par des capitaux disponibles, prêts à sortir
de leur territoire national d'origine, et à s'engager là où on en a le plus
besoin. Certains pays en voie de développement ou certains Nouveaux
Pays Industrialisés (NPI), qui ont structurellement besoin, pour
accompagner leur politique de développement, de recevoir des financements extérieurs
à long-terme, doivent donc trouver leur intérêt à la libéralisation de
la finance mondiale. Les perspectives de croissance d'espaces économiques
tels que l'Asie, ont ainsi attiré, ces dernières années, une épargne
mondiale à la recherche de placements prometteurs. Un autre scénario qui justifie la libéralisation financière
est la situation de certains pays industrialisés, comme la France du
gouvernement BÉRÉGOVOY en 1986 : face à une croissance et une consommation
ralenties, ce gouvernement a pu creuser à court terme le déficit budgétaire
et espérer favoriser ainsi la relance économique, parce que son financement
allait être, au moins en partie, assuré par des capitaux étrangers. À
cette époque, la dette publique française était financée à hauteur de 12%
par des investissements étrangers attirés par la qualité de la signature de
l'État français. La libéralisation des transactions financières est à la
fois donc une réponse aux besoins des États en déficit d'épargne, mais aussi
une réponse aux besoins en placement des États et des nations en excédent.
Elle est censée apporter croissance et emploi pour les uns et effets
de richesse liés aux investissements plus ou moins spéculatifs pour les
autres. En outre, certains États comme le Royaume-Uni à la
fin du XIXème siècle et surtout les États-Unis depuis la deuxième
guerre mondiale, vont tirer parti de leur position dominante et imposer une
organisation financière internationale toujours plus libérale et privilégiant
leurs propres intérêts. Donnons-en deux exemples : Signalons enfin que la libéralisation financière a été
rendue possible par l'accélération des innovations technologiques et
particulièrement celles portant sur les communications internationales ;
l'outil informatique et l'Internet ont permis la création et le
fonctionnement d'un réseau mondial caractérisé par une obtention
d'information directe, parfaite et très peu chère, et un système de paiement
international permettant d'échanger et d'enregistrer la circulation de l'argent
au niveau mondial. Les marchés financiers n'en sont que plus efficients,
mais les conséquences sont préoccupantes.
Les conséquences de la libéralisation financière sont, nous
l'avons vu plus haut, une plus grande efficience des marchés, donc une
rationalité économique accrue, mais aussi un niveau de complexité de
la finance mondiale qui s'accompagne d'une fragilité systémique
certaine. La complexité nouvelle est due principalement à quatre séries
de facteurs : 1 - La disparition des frontières géographiques qui a
amplifié la mobilité internationale des capitaux ; il est possible
aujourd'hui, sans rencontrer d'obstacle, de transférer des capitaux à travers
la planète entière, ou de s'installer là où on le souhaite pour, par
exemple, concurrencer les opérateurs locaux. 2 - Les frontières institutionnelles entre les activités
des différentes institutions financières sont également remises en cause ;
aujourd'hui, une banque offre des services d'assurance, des plans de retraite
(on parle de "bancassurance"), tandis que les assureurs peuvent
acheter des prêts bancaires sur le marché secondaire des prêts. 3 - Les frontières fonctionnelles s'estompent, ce qui
signifie que les nouveaux produits financiers, toujours plus nombreux et
imaginatifs, voient leurs fonctions spécifiques diluées. Il fut un temps où
un produit financier avait une spécification précise et correspondait à un
mode de financement particulier : l'action est plus risqué que l'obligation
mais rapporte logiquement plus, l'obligation correspond traditionnellement à un
financement et à un placement de long terme. Aujourd'hui, on trouve des
obligations convertibles en actions, des titres financiers sophistiqués qui
tiennent à la fois de l'assurance et de la dette. 4 - Enfin, les frontières sectorielles s'effacent
progressivement : les entreprises industrielles faisaient de la production de
biens, les entreprises tertiaires non financières produisaient des services ;
on constate aujourd'hui que toutes les grandes entreprises, quel que soit leur
secteur d'origine, interviennent désormais de plus en plus fréquemment dans la
sphère financière et de façon non négligeable : la grande distribution, par
exemple, par la gestion directe de fonds de trésorerie, ou le producteur de
voitures automobiles par la création de filiales de financement à crédit. Le manque de lisibilité actuel des frontières géographiques,
institutionnelles, fonctionnelles et sectorielles expliquent la complexité
nouvelle du système financier mondial qui le rend d'autant plus difficile à réguler
; la conséquence en est une plus grande fragilité du système financier
mondial.
1 - On ne sait pas, aujourd'hui, mesurer précisément la
quantité des moyens de paiement au niveau mondial, dont on sait (voir
"Qu'est-ce que le monétarisme ?") que c'est la condition sine qua non
pour éviter soit un excès des moyens de paiement et donc des tensions
inflationnistes et l'alimentation de la bulle spéculative, soit une
insuffisance des moyens de paiement, qui se traduirait par un manque de crédits
et une croissance économique affaiblie. 2 - On ne sait pas, aujourd'hui, contrôler les
activités internationales des établissements financiers. De tels établissements
interviennent couramment dans les domaines bancaires, boursiers mais aussi de
l'assurance, et ce, sur tous les marchés financiers de la planète. Comment maîtriser
de telles entités financières multidomaines, dont la stratégie est conçue à
l'échelle mondiale, et qui exercent ce que F. PERROUX appelait un fort pouvoir
de marché ? 3- Les activités illicites sont un aspect peu reluisant
de la finance mondiale. "Le produit criminel brut mondial de 1996
aurait été équivalent à 1 000 milliards de dollars" (Alternatives
Économiques n°36 - avril 1998). Blanchiment d'argent, utilisation de produits
dérivés opaques et non régulés, accointance avec des organisations maffieuses
font aujourd'hui partie de la mondialisation économique et financière.
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