Quelles justifications ?
Remonter

 COMMENT JUSTIFIER LA LIBÉRALISATION FINANCIÈRE ET QUELLES EN SONT LES CONSÉQUENCES ?

 La libéralisation financière est essentiellement justifiée par le fait qu'elle répond aux besoins des différents acteurs qui vont y trouver leur intérêt. En conséquence, la finance mondiale devient complexe et fragile. Nous aborderons successivement ces deux questions.

 

 

LA LIBÉRATION FINANCIÈRE EST UNE RÉPONSE AUX BESOINS ET AUX INTÉRÊTS DES PRINCIPAUX ACTEURS ÉCONOMIQUES

 

Pour comprendre les raisons des mutations financières récentes, il faut se placer dans le contexte historique de la fin des années soixante-dix ; cette période, qui est un tournant de la régulation fordiste, se caractérise par :

- une inflation qui s'accélère,
- des chocs pétroliers qui renchérissent le coût des matières premières et des sources d'énergie,
- une croissance économique qui ralentit sans toutefois se rompre, avec des conséquences préoccupantes en terme de déficits internes et parfois externes,
 - une modification de l'équilibre épargne/investissement, et par conséquent, de l'ajustement entre offre et demande de capitaux.

 Comment les institutions financières, les chefs d'entreprises, les détenteurs de capitaux et les États vont-ils tirer profit de la libéralisation financière ?

Un élément de réponse fait référence à la théorie : la suppression des obstacles à la libre circulation des capitaux doit aboutir à un accroissement de la compétition entre des places financières en concurrence, et à ce que les économistes appellent une allocation optimale des capitaux, c'est-à-dire que, par exemple, un chef d'entreprise qui souhaite lancer un projet d'investissement et donc stimuler la croissance économique, trouvera forcément, sur les places financières mondiales en concurrence, le financement le plus intéressant pour son projet, même dans le cas où les capitaux nationaux disponibles seraient insuffisants.

Par conséquent, les détenteurs de capitaux comme les assurances, les banques ou les fonds de pension, qui peuvent désormais placer leurs capitaux sur n'importe quelle place financière mondiale, vont diversifier leurs risques, en répartissant leurs fonds sur plusieurs marchés, et ainsi ils optimiseront la gestion de leurs portefeuille.

De façon plus générale, les pays qui disposent de projets d'investissement utiles et efficaces, mais qui manquent d'épargne nationale, pourront financer leurs projets par des capitaux disponibles, prêts à sortir de leur territoire national d'origine, et à s'engager là où on en a le plus besoin. Certains pays en voie de développement ou certains Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), qui ont structurellement besoin, pour accompagner leur politique de développement, de recevoir des financements extérieurs à long-terme, doivent donc trouver leur intérêt à la libéralisation de la finance mondiale. Les perspectives de croissance d'espaces économiques tels que l'Asie, ont ainsi attiré, ces dernières années, une épargne mondiale à la recherche de placements prometteurs. 

Un autre scénario qui justifie la libéralisation financière est la situation de certains pays industrialisés, comme la France du gouvernement BÉRÉGOVOY en 1986 : face à une croissance et une consommation ralenties, ce gouvernement a pu creuser à court terme le déficit budgétaire et espérer favoriser ainsi la relance économique, parce que son financement allait être, au moins en partie, assuré par des capitaux étrangers. À cette époque, la dette publique française était financée à hauteur de 12% par des investissements étrangers attirés par la qualité de la signature de l'État français.

La libéralisation des transactions financières est à la fois donc une réponse aux besoins des États en déficit d'épargne, mais aussi une réponse aux besoins en placement des États et des nations en excédent. Elle est censée apporter croissance et emploi pour les uns et effets de richesse liés aux investissements plus ou moins spéculatifs pour les autres.

En outre, certains États comme le Royaume-Uni à la fin du XIXème siècle et surtout les États-Unis depuis la deuxième guerre mondiale, vont tirer parti de leur position dominante et imposer une organisation financière internationale toujours plus libérale et privilégiant leurs propres intérêts. Donnons-en deux exemples :
- Les États-Unis ont refusé, dans les années soixante et soixante-dix, de réduire leurs déficits extérieurs en adoptant les mesures d'austérité auxquelles tout État autre que les États-Unis ne peut échapper : ralentissement de la croissance économique et réduction de la consommation et de l'investissement. Les États-Unis ont préféré remettre en cause unilatéralement les accords de BRETTON WOODS et le système de taux de change fixe.
En renonçant à la convertibilité du dollar en or en 1971, et en dévaluant leur monnaie, ils se sont du même coup débarrassés de la contrainte de change, et ont permis la concurrence des grandes devises sur le marché international des capitaux ; ils étaient persuadés (et l'avenir leur donnera raison sur ce point) que leur marché financier dominant profiterait de cette concurrence ; ils ont ainsi pu faire financer, privilège inouï, leur déficit extérieur par l'épargne mondiale.
-
Les États-Unis, au début des années soixante, se sont crées des instruments financiers sur mesure : ils ont ouvert leur marché des titres financiers publics aux investisseurs internationaux, qui, séduits par des placements sans risque, ont financé la dette publique américaine. Les autres États se sont d'ailleurs empressés d'agir de même, ce qui a généré une course à la dérégulation compétitive et à l'innovation financière publique (multiplication de nouveaux produits financiers) pour attirer les capitaux et financer les déficits publics.

Signalons enfin que la libéralisation financière a été rendue possible par l'accélération des innovations technologiques et particulièrement celles portant sur les communications internationales ; l'outil informatique  et l'Internet ont permis la création et le fonctionnement d'un réseau mondial caractérisé par une obtention d'information directe, parfaite et très peu chère, et un système de paiement international permettant d'échanger et d'enregistrer la circulation de l'argent au niveau mondial. Les marchés financiers n'en sont que plus efficients, mais les conséquences sont préoccupantes.

 

 

LES CONSÉQUENCES DE LA LIBÉRATION FINANCIÈRE : COMPLEXITÉ ET FRAGILITÉ DE LA FINANCE MONDIALE

 

Les conséquences de la libéralisation financière sont, nous l'avons vu plus haut, une plus grande efficience des marchés, donc une rationalité économique accrue, mais aussi un niveau de complexité de la finance mondiale qui s'accompagne d'une fragilité systémique certaine.
Abordons ces deux aspects.

La complexité nouvelle est due principalement à quatre séries de facteurs :

1 - La disparition des frontières géographiques qui a amplifié la mobilité internationale des capitaux ; il est possible aujourd'hui, sans rencontrer d'obstacle, de transférer des capitaux à travers la planète entière, ou de s'installer là où on le souhaite pour, par exemple, concurrencer les opérateurs locaux.

2 - Les frontières institutionnelles entre les activités des différentes institutions financières sont également remises en cause ; aujourd'hui, une banque offre des services d'assurance, des plans de retraite (on parle de "bancassurance"), tandis que les assureurs peuvent acheter des prêts bancaires sur le marché secondaire des prêts.

3 - Les frontières fonctionnelles s'estompent, ce qui signifie que les nouveaux produits financiers, toujours plus nombreux et imaginatifs, voient leurs fonctions spécifiques diluées. Il fut un temps où un produit financier avait une spécification précise et correspondait à un mode de financement particulier : l'action est plus risqué que l'obligation mais rapporte logiquement plus, l'obligation correspond traditionnellement à un financement et à un placement de long terme. Aujourd'hui, on trouve des obligations convertibles en actions, des titres financiers sophistiqués qui tiennent à la fois de l'assurance et de la dette.

4 - Enfin, les frontières sectorielles s'effacent progressivement : les entreprises industrielles faisaient de la production de biens, les entreprises tertiaires non financières produisaient des services ; on constate aujourd'hui que toutes les grandes entreprises, quel que soit leur secteur d'origine, interviennent désormais de plus en plus fréquemment dans la sphère financière et de façon non négligeable : la grande distribution, par exemple, par la gestion directe de fonds de trésorerie, ou le producteur de voitures automobiles par la création de filiales de financement à crédit.

Le manque de lisibilité actuel des frontières géographiques, institutionnelles, fonctionnelles et sectorielles expliquent la complexité nouvelle du système financier mondial qui le rend d'autant plus difficile à réguler ; la conséquence en est une plus grande fragilité du système financier mondial. 


Cette fragilité tient essentiellement à trois séries de raisons :

1 - On ne sait pas, aujourd'hui, mesurer précisément la quantité des moyens de paiement au niveau mondial, dont on sait (voir "Qu'est-ce que le monétarisme ?") que c'est la condition sine qua non pour éviter soit un excès des moyens de paiement et donc des tensions inflationnistes et l'alimentation de la bulle spéculative, soit une insuffisance des moyens de paiement, qui se traduirait par un manque de crédits et une croissance économique affaiblie.

2 -  On ne sait pas, aujourd'hui, contrôler les activités internationales des établissements financiers. De tels établissements interviennent couramment dans les domaines bancaires, boursiers mais aussi de l'assurance, et ce, sur tous les marchés financiers de la planète. Comment maîtriser de telles entités financières multidomaines, dont la stratégie est conçue à l'échelle mondiale, et qui exercent ce que F. PERROUX appelait un fort pouvoir de marché ?

3- Les activités illicites sont un aspect peu reluisant de la finance mondiale. "Le produit criminel brut mondial de 1996 aurait été équivalent à 1 000 milliards de dollars" (Alternatives Économiques n°36 - avril 1998). Blanchiment d'argent, utilisation de produits dérivés opaques et non régulés, accointance avec des organisations maffieuses font aujourd'hui partie de la mondialisation économique et financière.