QU'EST-CE
QUE LE MONÉTARISME ? Le monétarisme
est d'abord une doctrine économique, c'est-à-dire un ensemble
de notions et d'opinions par lesquelles les défenseurs de ces idées vont
prétendre interpréter les faits et orienter l'action des responsables
politiques. Le deuxième aspect du monétarisme sera logiquement que cette
doctrine permettra d'inspirer une politique économique. La doctrine considère
que c'est essentiellement la quantité de monnaie en circulation qui fixe
le niveau des prix. Il nous faut donc comprendre ce qu'est la monnaie
avant d'aborder les questions de la doctrine et de la politique monétaire
dite "monétariste".
Le concept de
monnaie est au cœur de l'analyse monétariste. Si on ne sait pas définir
la notion de monnaie ni mesurer la quantité de monnaie en circulation,
on ne pourra pas connaître le lien entre la quantité de monnaie et le
niveau des prix. On considère
généralement que la monnaie remplit plusieurs fonctions : c'est
une unité de compte, c'est un moyen d'échange, c'est une réserve de valeur.
Ensemble, ces trois fonctions définissent ce qu'est la monnaie. Mesurer la quantité
de monnaie en circulation devient une tâche de plus en plus complexe .On
dispose traditionnellement de plusieurs concepts qui permettent d'approcher
la quantité de monnaie : en Économie, les concepts M1, M2,M3 sont
des notions plus ou moins englobantes de ce qu'on entend par la monnaie.
M1 est simplement la monnaie de la Banque centrale. M2 comprend en plus
la monnaie créée par les banques à travers les dépôts. La logique de poupée
gigogne des agrégats monétaires conduit à inclure en bout d'analyse les
crédits court terme de l'économie qui sont des formes indirectes de monnaie. Être capable
de mesurer la quantité de monnaie est une question centrale de la doctrine
monétariste ; c'est à cette condition qu'un gouvernement libéral saura
éviter les écueils inflationnistes. Déjà au XVIIIème
siècle, les gouvernements espagnols et portugais avaient vécu une première
expérience des relations entre quantité de monnaie en circulation et inflation.
Les galions chargés d'or et d'argent qui revenaient d'Amérique avaient
provoqué un assoupissement économique (dont les anglais surent plus tard
tirer parti) ; la croissance s'était ralentie, et les gouvernements frappèrent
toujours plus de pièces d'or, ce qui dépréciait ce métal précieux et du
même coup renchérissait les produits dont le prix était exprimé en or
! Ce sont donc
les conquistadors qui ont indirectement mis en évidence la relation empirique
entre le système monétaire et les biens réels. Au début du XXème siècle,
Irving FISHER exprimera ainsi la théorie quantitative de la monnaie
: M
x V = P x T où M représente
la quantité de monnaie en circulation (la masse monétaire), V est la vitesse
de circulation de la monnaie, P est le niveau général des prix, et T est
le volume des transactions (la production). On vient de voir
que le monétarisme, dans son approche doctrinal, place au centre de son
analyse la quantité de monnaie en circulation en affirmant que plus
la masse monétaire est importante, plus le niveau des prix et l'inflation
seront élevés. A contrario, plus la monnaie sera rare, plus elle prendra
de la valeur. La monnaie est alors considérée ni plus ni moins que comme
une marchandise. Un raisonnement
très intuitif consiste à dire que tout ce qui est rare est cher, donc
une monnaie peu rare perdra de sa valeur, et les marchandises exprimées
en terme de cette monnaie abondante et dépréciée seront chères. Il suffira
alors pour un gouvernement de limiter la quantité de monnaie en circulation
pour réduire les tensions inflationnistes. Un autre exemple
historique de cette intuition monétariste principale nous est fournie
par l'expérience tragique de la république de WEIMAR en Allemagne, indissociable
de l'hyper inflation qu'elle a engendrée après la Grande Guerre. Comme tous les
grands courants de pensée économique, la doctrine monétariste a connu
des hauts et des bas ; son renouveau actuel est dû à des économistes dont
le chef de file est l'américain Milton FRIEDMAN.
La crise de 1929
d'une part, et John Maynard KEYNES d'autre part, ont, semble-t-il, sonné
le glas du monétarisme. La crise de 1929 se manifeste par une dévalorisation
massive du capital et une baisse des prix ; le problème était donc la
déflation et non l'inflation et les solutions monétaristes traditionnelles
qui consistaient à limiter la création de monnaie étaient sans objet. Nous savons que,
dans la "théorie générale" publiée en 1936, John Maynard KEYNES
proposa de relancer l'économie par une politique expansionniste faite
de création monétaire et de déficits publics finançant grands travaux
et soutenant les dépenses de consommation. C'est l'antithèse exacte des
positions monétaristes qui connut ses heures de gloire jusqu'à la fin
des années soixante. Pourtant, dans
les années cinquante, un économiste américain, Milton FRIEDMAN, né à Brooklyn
en 1912, s'éleva contre la politique monétariste keynésienne jugée laxiste,
et créa une école de pensée à Chicago ; prix Nobel 1976, conseiller particulier
du président REAGAN, il dénonça les excès liés à l'inflation et
réussit progressivement à imposer ses vues et à convaincre le gouvernement
américain de la nécessité d'une politique monétaire restrictive. Ce fut
le renouveau des idées monétaristes, qui font aujourd'hui autorité dans
quasiment tous les pays industrialisés. La doctrine monétariste
a des recommandations précises en matière de politique économique. Nous
avons compris que le fil directeur d'une politique monétaire monétariste
était une politique monétaire restrictive, censée maîtriser les tensions
inflationnistes, crainte suprême de tout responsable monétaire qui relève
de cette doctrine.
Puisque la doctrine
affirme que c'est la quantité de monnaie qui influe sur le niveau des
prix, la politique économique monétariste prescrira que cette quantité
de monnaie doit être fixée par des autorités monétaires indépendantes
(concrètement la Banque centrale), de manière à satisfaire certains
objectifs essentiellement en matière d'inflation. Force est de
constater que les idées monétaristes inspirent fortement la façon dont
le Banque centrale européenne, véritable institution monétariste sur le
modèle de la FED (Banque fédérale américaine), fixe sa politique, puisque
son gouverneur, le hollandais Wim DUISENBERG, affirme clairement se fixer
avant tout un objectif final d'inflation, et que pour atteindre cet objectif
d'inflation, il se fixe un objectif intermédiaire de création de monnaie. En gérant la
quantité d'euros en circulation, la Banque centrale européenne fournit
la base monétaire à l'économie. À cette base monétaire correspond une
variable très importante qui est le niveau moyen des prix, et la tâche
des autorités monétaires consiste à analyser le rapport entre ces deux
grandeurs. Les Banques centrales
sont par nature monétaristes ; par contre, les gouvernements sont par
nature keynésiens dans la mesure où ils ont la tentation, pour toute sorte
de raisons, de vouloir dépenser et de recourir à la Banque centrale pour
financer leurs projets, de sorte que l'on peut déceler une opposition
entre les cigales Gouvernement et État et les fourmis Banque centrale
et Autorités monétaires, opposition qui se cristallise autour des débats
entre monétarisme et keynésianisme. Ce clivage peut
être poussé plus loin en présentant le monétarisme et l'Autorité monétaire
comme une politique de droite, et le keynésianisme et l'Autorité budgétaire,
fondateur des politiques interventionnistes de l'État, comme une politique
de gauche. Autant de questions qui sont au cœur des débats politiques
et économiques depuis une vingtaine d'années. |