Quelle rationalité ?
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LA SPHÈRE FINANCIÈRE : QUELLE RATIONALITÉ ?

 Le thème de la rationalité en Économie fait référence au modèle microéconomique de l"homo economicus", être abstrait, dont les décisions en tant que consommateur ou producteur, font toujours l'objet d'un calcul d'optimisation aboutissant à la meilleure allocation possible des ressources, donc à l'optimum parétien.

Cette théorie de l'optimum économique inspire également la sphère financière ; nous étudierons la question en analysant successivement

- les déterminants des comportements de marché, 
- les raisons de la surévaluation boursière, 
- le rôle central des taux d'intérêt
- les relations entre la sphère financière et la sphère réelle.

 

 

QUELS SONT LES DÉTERMINANTS DES COMPORTEMENTS DES MARCHÉS ?

 

Les marchés sont-ils rationnels ? À quoi réagissent-ils ? Qu'est-ce qui détermine leurs comportements ?

Par marché, on entend à la fois les acteurs qui achètent et vendent et constituent l'offre et la demande journalières, et les institutions qui opèrent la confrontation de ces positions.
Les acteurs sont, principalement, les investisseurs institutionnels, composés des fonds de pension et des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).
Quant aux institutions, on trouve par exemple en France, le Matif (Marché à terme international de France) et le Monep (Marché des options négociables de Paris), qui, placés sous le contrôle de la COB (Commission des opérations de bourse), organisent en France le marché des produits dérivés.

On évoque souvent les mouvements irrationnels ou erratiques des marchés financiers. En fait, nous allons montrer que, dans une optique libérale, le modèle de base est assez simple et rationnel.
L'évolution du prix des actions dépend essentiellement de deux paramètres : les variations du bénéfice futur ou attendu des entreprises, et les variations du Price earning ratio du titre.

Le bénéfice escompté est une donnée très volatile car très sensible à la conjoncture et aux variations de l'environnement des entreprises. On dit, en Économie, que l'élasticité du bénéfice escompté est positivement très forte par rapport au chiffre d'affaires ou à la part de marché. Cela signifie que si la croissance s'accélère un peu, les bénéfices bondissent proportionnellement beaucoup plus dans l'esprit des investisseurs. D'un autre côté, dès que l'activité se ralentit, les entreprises les plus fragiles en souffrent et font des pertes, ce qui est une première explication des à-coups brutaux sur les cours boursiers.

Le Price earning ratio est un ratio essentiel pour les boursiers. C'est le rapport du cours de l'action sur le bénéfice net attendu pour un titre, ou, ce qui revient au même, le rapport entre la capitalisation boursière  d'une entreprise, divisé par le bénéfice net attendu global. Pour un investisseur, la valeur d'une entreprise dépend avant tout du bénéfice qu'elle est capable de dégager, et ce qu'il sera prêt à payer pour acquérir une part de l'entreprise (le cours), sera directement lié au profit qu'il anticipe (bénéfice net attendu).

Le rapport habituel entre le prix des actions (le cours) et le bénéfice des entreprises est environ de 20, ce qui signifie que la capitalisation boursière est, normalement, de vingt fois son bénéfice. En conséquence, plus le PER est faible, plus le titre est sous-coté, plus il faut acheter ce titre, et, inversement, plus le PER est élevé, plus le titre est sur-coté et plus il faut le vendre.

De quoi dépend le PER et quelles sont les conséquences à en attendre sur le prix des actions donc sur les cours boursiers et la santé des marchés financiers ?

L'investisseur met en balance le niveau du PER et le niveau du taux d'intérêt, c'est-à-dire qu'il compare ce qu'il pourrait gagner en investissant dans des titres de la dette publique (bons du Trésor...), et ce qu'il gagnerait en investissant dans les actions d'une entreprise. Ces dernières années, les taux d'intérêt sur les emprunts ont régulièrement baissé. Cette évolution s'explique en Europe et surtout aux États-Unis, par la hausse des bénéfices des entreprises, devenues très rentables après les restructurations de années quatre-vingt ; elles n'ont plus autant besoin d'emprunter (leur autofinancement est parfois supérieur à 100 %). La demande de crédit diminuant, le prix du crédit, donc le taux d'intérêt, a baissé. par ailleurs, les États et les Ménages ont freiné également leur endettement et l'offre de financement est devenue structurellement excédentaire, ce qui renforce la baisse du taux d'intérêt (et explique les investissements hasardeux en Asie ou en Russie).

Cette baisse des taux d'intérêt sur les emprunts fournit une autre explication du regain d'intérêt pour les actions et permet de comprendre l'actuelle envolée des bourses occidentales, qui se traduit par une hausse générale des PER, qui est passé de 9 à Paris fin 1990 à 20 pendant l'été 1998. La hausse la plus sensible concerne les valeurs des entreprises de communication et de haute technologie, constituant ce qu'il est convenu d'appeler la Nouvelle Économie ; aux États-Unis, l'indice boursier correspondant est le NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotation System) qui reflète la santé de la  première place boursière mondiale en terme de transactions (1 00 millions d'actions échangées quotidiennement), d'introductions et de capitaux levés.

 

 

LES RAISONS DE LA SURÉVALUATION BOURSIÈRE

 

Pourquoi le prix qui prévaut sur la marché des titres est-il si différent de la "véritable valeur" ou de la "valeur réelle" du titre, c'est-à-dire celle que l'on peut calculer à partir de la rentabilité des capitaux investis en machine, bâtiments, matériaux ou fonds de roulement ? Ceci est particulièrement vrai pour les valeurs dites de la Nouvelle Économie (haute technologie, informatique, communication, bio-technologies...).

Une première réponse est fournie par la conjonction de deux facteurs : d'une part, un afflux de capitaux qui délaissent, pour un temps au moins, les places asiatiques et russes trop hasardeuses, et convergent sur les espaces financiers occidentaux, d'autre part l'insuffisance relative des projets de financement dans l'économie réelle.

Par ailleurs, dans "Le pouvoir de la finance", André ORLÉAN montre que le marché des titres fixe un prix qui résulte de la croyance collective des acteurs : il s'agit d'un processus auto référentiel ou auto réalisant, dans lequel chacun va imiter les autres, et le prix qui en résultera sera une construction commune - convention - qui diffèrera d'autant plus de la valeur fondamentale, que les acteurs continueront à adopter une croyance commune. Dans ces conditions, les prix des titres peuvent croître sans limite, mais lorsque la croyance collective est brutalement remise en cause, et que plus personne ne veut acheter de titres, elle peut provoquer des chutes brutales de valeur qu'on appelle les krachs.

Pour ce qui est de la bourse américaine, dont la surévaluation est criante et inquiète régulièrement Alan GREENSPAN, le Président de la Réserve fédérale, on trouvera des explications supplémentaires : les ménages américains sont hors de cause ; ils vendent systématiquement des actions, en tout cas, plus qu'ils n'en achètent, et ce, depuis une dizaine d'années. Par contre, les étrangers se portent massivement acquéreurs (plus de 100 milliards de dollars supplémentaires en 1998). C'est donc l'excès d'épargne des européens et des japonais qui permet aux américains aisés de vendre des titres à des niveaux qui leur permettent de vivre largement au dessus de leurs moyens.

Une autre raison de la surévaluation des titres est le rachat par les entreprises de leurs propres actions ; elles y sont poussées par les investisseurs institutionnels qui ont des exigences très élevées en matière de rentabilité des capitaux propres investis (25 % à Wall Street actuellement, 15 % en moyenne, en Europe). Ces opérations de rachat sont nécessairement faites par un endettement supplémentaire, et c'est cet endettement croissant de certaines entreprises américaines qui est une source d'inquiétude : en cas de retournement de la conjoncture, les taux d'intérêt pèseront fortement sur les résultats comptables et l'effet de levier négatif amplifiera la réaction.

Une condition permissive de la surévaluation boursière est ce qu'on appelle l'aléa moral. Certes la surévaluation boursière est manifeste, certes les autorités monétaires comme Alan GREENSPAN, dénoncent "l'exubérance irrationnelle des marchés". Et pourtant, les cours continuent de monter. En fait, les investisseurs ne sont pas inquiets et continuent d'échanger à la hausse car ils sont persuadés que si les cours se mettaient à la baisse, les conséquences seraient tellement désastreuses pour les économies, que la Réserve fédérale américaine serait contrainte de baisser les taux d'intérêt jusqu'à enrayer le phénomène et stabiliser les cours (rappelons que quand les taux baissent, les cours montent ou se stabilisent). Malheureusement, avec une situation de plein emploi et des salaires à la hausse, un déficit extérieur abyssal, des tensions inflationnistes qui se profilent, la FED serait plutôt désireuse d'augmenter les taux pour éviter la surchauffe, plutôt que les baisser pour éviter un effondrement boursier. L'aléa moral, sur lequel comptent plus ou moins consciemment les opérateurs, risque fort de ne pas fonctionner, et en attendant, le cours des titres peut grimper jusqu'au ciel.

Une condition aggravante tient à la nature même des marchés financiers. Ils ont deux composantes complémentaires : le marché des titres neufs et le marché des titres d'occasion.
Bien que la situation soit variable d'un pays à l'autre, le marché des titres neufs d'État n'est pas aujourd'hui particulièrement excitant pour un investisseur car les taux d'intérêt y sont relativement faibles : en effet, les États européens, souhaitant limiter leurs déficits, réduisent l'émission d'obligations. Leurs besoins de financement est moins impérieux et la demande de capitaux de la part des États s'affaiblit. Ajouter à cela l'afflux en Occident de capitaux qui fuient les places financières en crise d'Asie, de Russie et du Brésil, et qui provoque un accroissement des capitaux offerts. On tient là deux raisons de la baisse du prix des titres neufs d'État proposés aux investisseurs, qui expliquent en partie, la baisse des taux d'intérêt.

Les grandes entreprises, quant à elles, sont contraintes par les marchés financiers, d'être très rentables ; un exemple récent nous est fourni par MICHELIN, entreprise à la fois rentable et obligée, par ses actionnaires, de licencier du personnel. Ces entreprises financent habituellement leurs projets d'investissement et leurs opérations de fusion et d'acquisition, en émettant des actions. Si elles sont suffisamment rentables, elles s'autofinancent, et n'ont plus autant besoin de capitaux et réduisent, comme les États, leurs émissions de titres neufs. Encore une explication à la tendance à la baisse de la demande de capitaux, et à la baisse des taux d'intérêt.

Pour toutes ces raisons, le marché des titres neufs n'est donc pas très attirant (au moins dans les secteurs traditionnels) ; les investisseurs sont donc contraints de s'adresser en masse au marché des titres déjà en circulation, c'est-à-dire  le marché des titres d'occasion, qui correspond à une immense proportion du marché des titres. D'où la hausse des prix de ces titres et la surévaluation des valeurs boursières, sans rapport avec les performances économiques des entreprises concernées.

 

 

LES TAUX D'INTÉRÊT RESTENT AU CŒUR DE LA NOUVELLE RÉGULATION FINANCIÈRE

 

La vision traditionnelle du marché des capitaux, avec des taux d'intérêt à court terme qui dépendent de la Banque centrale et de sa politique monétaire, et des taux à long terme qui dépendent des exigences des épargnants, reste vraie dans son principe, mais elle est de plus en plus remise en question avec l'arrivée de nouveaux instruments financiers qui diluent les notions de court terme et de long terme. Il n'empêche que les taux d'intérêt restent au cœur de la nouvelle régulation financière.

Les taux d'intérêt à court terme sont traditionnellement fixés par la Banque centrale ; elle impose ce taux aux banques commerciales qui sont dans l'obligation de se financer et de se procurer de la monnaie Banque centrale.

Comment celle-ci fixe-t-elle le niveau des taux d'intérêt à court terme ?
C'est, pour elle, un art bien délicat de satisfaire à la fois les contraintes internes et externes
        - internes car un taux d'intérêt trop faible engendre un excès de crédit et des tensions inflationnistes, alors qu'un taux trop élevé décourage l'investissement, réduit la croissance et favorise les placements spéculatifs,
        - externes car un taux trop faible fait fuir les capitaux nationaux et étrangers à la recherche de placements rentables, ce qui affaiblit le taux de change, alors qu'un taux trop élevé retient ou attire les capitaux, mais à terme, il encourage les opérations spéculatives au détriment de l'économie réelle (investissement productif).

Les taux d'intérêt à long terme, quant à eux, dépendent des offreurs d'épargne qui sont parfois en situation de force pour imposer un niveau d'exigence élevé. Dans la logique libérale monétariste, c'est le cas lorsque la demande d'épargne excède durablement l'offre d'épargne disponible, et qu'on est donc en situation de déficit d'épargne.

Une autre raison pour les épargnants de relever leurs exigence en matière de taux d'intérêt à long terme, est lorsqu'ils anticipent des poussées inflationnistes. Ils cherchent alors à se protéger contre la perte probable de pouvoir d'achat de la monnaie, donc de leur prêt d'épargne. Or, nous avons déjà vu dans l'introduction que le décloisonnement des marchés résulte, entre autres choses, de la liberté désormais accordée à tous les agents d'arbitrer à tout moment entre le court terme et le long terme, grâce à l'interconnexion de toutes les places financières mondiales et grâce à la multiplication des instruments financiers et des marchés sur lesquels tous les arbitrages sont permis ;  on en déduira, par conséquent, que la distinction court terme/long terme n'a aujourd'hui plus guère de sens.

La liquidité croissante des titres (c'est-à-dire la possibilité de les revendre à tout moment pour disposer de liquidités et de transférer celles-ci sur des titres plus rentables), atténue la distinction taux d'intérêt court terme/taux d'intérêt long terme ; elle provoque en plus une convergence de ces taux, qui théoriquement, ont une rationalité différente. Mais convergence ne signifie pas forcément fusion ; en effet, des arbitrages court terme/long terme vont subsister qui placeront les taux d'intérêt au centre des analyses.
Une hausse des taux d'intérêt à court terme, décidée par les autorités monétaires, se traduira par des pressions à la fois à la hausse et à la baisse sur les taux à long terme :
        -  à la hausse, sinon les capitaux placés à long terme se       trouveraient pénalisés et se rabattraient sur les placements court terme relativement plus rémunérateurs,
        - à la baisse, car une hausse des taux court terme est un signal des Autorités monétaires du soin qu'elles prennent à conjurer toute manifestation inflationniste, ce qui rend possible, dans un tel contexte, une baisse des taux à long terme.

À l'inverse, une baisse du taux d'intérêt à court terme peut inquiéter les investisseurs qui risquent de voir, dans cette baisse à court terme, de possibles tensions inflationnistes à venir, et en contrepartie, ils accroîtront leurs exigences sur le long terme, ce qui se traduira par une hausse des taux à long terme et un transfert des placement du court terme vers le long terme.

On vérifie, par ces mécanismes, que lorsque les taux d'intérêt baissent, les cours des titres montent et inversement; ceci est essentiellement vrai pour les titres de placement à taux fixe comme les obligations ; en effet, lorsque les taux d'intérêt baissent, les épargnants vont privilégier de façon massive les anciennes obligations dont le taux fixe est devenu plus rémunérateur que celui des nouveaux titres. Et bien évidemment, le cours de ces titres vont augmenter.
Une conséquence indirecte se produira sur le marché boursier : le cours des actions sera lui-aussi orienté à la hausse, car une partie des opérateurs se détourneront à la fois des nouvelles obligations dont le taux sera jugé trop peu attrayant, et des anciennes obligations, dont les cours poussés à la hausse seront peut-être trop élevés pour certains opérateurs. Il leur restera à se reporter sur le marché des actions, ce qui fera monter leur cours. La baisse des taux d'intérêt stimule la bourse (et inversement).

Une dernière conséquence de la baisse des taux court terme concerne le marché des changes ; les capitaux placés sont toujours à la recherche de la meilleure rémunération, et une baisse des taux d'intérêt risquera de provoquer une fuite des capitaux vers d'autres places financières plus intéressantes, ce qui affaiblira le taux de change.

En conclusion, une baisse du taux d'intérêt court terme ne sera justifiée que si les inconvénients en terme de change seront compensés et au delà par des gains en terme de reprise économique et de point de croissance.

 

 

SPHÈRE FINANCIÈRE ET SPHÈRE RÉELLE

 

La crise asiatique a provoqué un retrait massif de capitaux de cette région, capitaux qui ont dû trouver à se placer sur d'autres espaces financiers. Le Japon n'est donc pas particulièrement attirant pour un investisseur en raison de difficultés persistantes, les États-Unis voient leur économie à la limite de la surchauffe, et sont peut-être en fin de cycle (notons que la Nouvelle Économie vient à point nommé pour remettre relativiser ces propos) ; c'est l'Europe qui est donc le plus à même d'attirer des capitaux par son marché financier intégré et son union monétaire.

À quelles conditions un excès d'épargne aura-t-il un effet d'entraînement sur l'économie réelle, c'est-à-dire se traduira-t-il par des investissement, de l'emploi, de la production, de la croissance, plutôt que par l'alimentation de la bulle spéculative, la montée des risques et la surévaluation toujours plus forte des valeurs financières ?

Il faut que fonctionne l'"effet de richesse" : les détenteurs de titres qui voient la valeur de leurs titres augmenter, auront l'impression de s'enrichir sans effort. Ils pourront consacrer leurs plus-values, voire une partie de leurs actifs financiers, à accroître leur consommation. L'impression de devenir riche se traduit alors par l'augmentation de la proportion des revenus consommés au dépens de la part des revenus épargnés. Les riches ménages américains n'ont actuellement plus besoin d'épargner, puisque la valeur de leur patrimoine financier s'accroît régulièrement ; et tant que ce phénomène se poursuit, ils peuvent se permettre de consommer et d'emprunter comme jamais, ce qui stimule l'investissement, la croissance et le plein emploi ; c'est une des raisons de la croissance américaine insolente des années quatre-vingt-dix.

Quant aux européens, la question se pose de savoir s'ils sauront, de façon volontariste, affecter l'afflux récent de capitaux au service de projets innovants et créateurs de croissance économique, ou si, restant réservés face au ratio risque/profit de l'économie réelle, ils privilégieront les placements financiers et spéculatifs, sans pour autant consommer et déclencher le cercle vertueux du modèle américain.

Effet de richesse vertueux et comportement volontariste sont deux premiers aspects des relations entre finance et économie réelle ; nous explorerons cinq points supplémentaires qui nous semblent essentiels.

FINANCE, CROISSANCE ET TAUX D'INTÉRÊT

Dès 1898, l'économiste suédois Knut WICKSELL établissait une distinction entre le taux d'intérêt, qu'il appelait le taux financier ou "monétaire", et le taux de rentabilité des investissements, qu'il appelait taux "naturel", qui reflétait les anticipations de la productivité marginale du capital par les investisseurs. Ce sont les bases du mécanisme de l'effet de levier financier qui étaient jetées.
Quand les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance nominal (taux de croissance en volume + taux d'inflation), la sphère financière va attirer les capitaux, les détourner de l'économie réelle, et pénaliser l'investissement et la production, ce qui sera facteur de récession et de chômage dit wicksellien. On dit que l'effet de levier est alors négatif.
En conséquence, l'entrepreneur rationnel placera ses liquidités sur le marché financier plutôt que de les investir dans des projets industriels ou commerciaux pour lesquels les anticipations de profit sont moins intéressantes que celles liées aux placements financiers.
Dans cette situation, c'est le capital financier qui est privilégié car le revenu est redistribué au profit des créanciers. C'est ce que l'on observe en France depuis une décennie.
D'autre part, des taux d'intérêt élevés, destinés à casser l'inflation, accroissent le coût du financement des déficits publics, contraignent toujours plus les États dans leur latitude budgétaire, et amputent finalement la croissance économique.

Quand, au contraire, les taux de rentabilité du capital sont supérieurs au taux d'intérêt, l'agent économique rationnel s'endette, ce qui favorise l'investissement, la production de biens de production, l'emploi et la croissance, mais cela risque de provoquer, à terme, un déséquilibre biens de production/biens de consommation au profit des premiers, c'est-à-dire ce que MARX appelait une suraccumulation du capital, KEYNES un surinvestissement et HAYEK une surcapitalisation.

On aura compris que, pour WICKSELL, l'égalité de ces deux taux est une condition de l'équilibre économique.

FINANCE, CONSOMMATION ET CROISSANCE

Si les relations Finance et Croissance sont arbitrées par le taux d'intérêt, la Finance influe sur la Croissance par le biais de la consommation.
La consommation, c'est une part essentielle de la demande, et donc de l'activité. Or, nous constatons que les ménages transforment une part croissante de leur patrimoine en produits financiers, et consacrent à ceux-ci, une part de plus en plus importante de leur épargne. Ce phénomène est amplifiée par le développement de l'épargne salariale et des fonds de pension.
Aux USA, dans l'euphorie ambiante des marchés financiers, les ménages n'hésitent pas à profiter au maximum de l'effet de richesse en s'endettant à court terme pour consommer et pour investir à long terme dans l'immobilier.
L'effet de richesse sous-tend la croissance : il s'accompagne d'un accroissement du crédit et d'une injection de liquidité dans l'économie réelle. Mais parallèlement, la bulle spéculative, qui correspond à cette période de forte croissance économique, enfle. Si un renversement de la tendance survient, l'effet de richesse fonctionne à l'envers : la valeur des patrimoines s'effondre et les ménages épargnent au maximum pour reconstituer la valeur de leur patrimoine. La consommation chute fortement ainsi que la croissance. Par la suite, les débiteurs vont avoir besoin de liquidités pour rembourser leurs dettes et le service de leurs dettes ; mais ils ne peuvent plus compter, comme auparavant, sur des plus-values pour assurer ces remboursements, et comme en même temps, les banques vont rationner le crédit, les spéculateurs seront en manque cruel de disponibilités. La seule solution pour eux, est de vendre massivement et à perte des biens dévalorisés, ce qui génère faillites, déflation et rétrécissement de l'activité économique.

FINANCE ET REVENUS SALARIÉS

Depuis la libéralisation financière des années quatre-vingt, la répartition des revenus s'est opérée au détriment des salariés par rapport aux rentiers, qui ont vu les revenus du patrimoine augmenter de plus de 5 % par an en termes réels, de 1985 à 1993, en raison des plus-values financières (Alternatives Économiques n° 124, février 1995).
Les salariés sont les grands perdants du système financier actuel. L'épargne salariale généralisée, consistant à soustraire une partie des salaires à la consommation et à les investir sur les marchés financiers, accroîtra peut-être les revenus salariés, mais elle accroîtra à coup sûr le risque pour des salariés parfois modestes, et modifiera le statut du salarié, à la fois salarié et actionnaire de l'entreprise.

FINANCE ET POLITIQUE ÉCONOMIQUE

La libéralisation financière a contraint les États à abandonner leur traditionnelle autonomie en matière de politique économique : la politique monétaire est décidée, dans l'optique monétariste, par des instances européennes, indépendantes du Pouvoir politique, tandis que la politique budgétaire est circonscrite dans les rigoureux critères de MAASTRICHT et du Pacte de stabilité et de croissance, ce qui annihile tout laxisme keynésien dans ce domaine.

FINANCE, ÉQUILIBRE ÉPARGNE/INVESTISSEMENT ET MODE DE RÉGULATION

J.M. AGLIETTA affirme que les mutations du système financier actuel suivent un rythme différent de l'économie réelle. En l'absence de mécanismes d'ajustement progressif des financements des déséquilibres, il est possible de s'endetter et de franchir, à l'insu du marché, des seuils fatidiques, au delà desquels les déséquilibres se transforment en crises.

Jusque dans les années quatre-vingt, l'ajustement macro-économique privilégiait la stabilité des grandeurs réelles, et la variable d'ajustement qui absorbait les déséquilibres était le prix des biens et services ; on a alors assisté à de fortes tensions inflationnistes, et à une croissance économique tolérant des taux d'inflation élevés et une instabilité des prix.
Après les années quatre-vingt, la logique est inversée : le financement est dirigé par les marchés qui sont devenus l'instance privilégiée des financements des agents économiques.

Le fait que les investisseurs privés et publics s'adressent au marché pour répondre à leurs besoins de financement, a pour conséquence que le taux d'intérêt est devenu l'expression de tous les risques du marché : risque de déficit budgétaire, donc risque inflationniste, et risque d'une demande de capitaux excédant l'épargne proposée. Les taux d'intérêt nominaux traduisent désormais toute pression sur l'équilibre épargne/investissement.

La conséquence est que, pour éviter une instabilité trop déstabilisante des taux d'intérêt, ce sont désormais les besoins d'investissement qui doivent s'adapter aux volontés des épargnants : l'économie est dominée par les créanciers. Bien-sûr, l'inflation est bridée, mais la hausse des taux que nous constatons, dissuade la réalisation de projets sérieux d'investissement. La variable volatile d'ajustement est donc le flux d'investissement, d'où un certain retour des cycles de l'économie réelle.