Des risques élevés
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  LE CAPITALISME PATRIMONIAL PRÉSENTE UN NIVEAU DE RISQUE ÉLEVÉ

La libération des capitaux est-elle maîtrisée ? Est-elle dangereuse ? Provoque-t-elle des crises ? Engendre-t-elle des inégalités sociales ? Dope-t-elle la croissance ou, au contraire, peut-elle ralentir celle-ci ? Existe-t-il des zones de flou d'opacité ?
Les réponses à ces questions sont, pour le moins, préoccupantes, surtout si l'on considère la question des bulles spéculatives et leurs conséquences.
Analysons successivement ces deux points.

 

 

LES CARACTÉRISTIQUES PRÉOCCUPANTES DES MARCHÉS FINANCIERS

 

En 1996, les chiffres officiels montrent que les balances des paiements ont enregistré des flux de plus de 2 000 milliards de dollars ; il n'empêche que ces mouvements de capitaux sont caractérisés par :

            1 - une grande opacité
            2 - un caractère spéculatif
            3 - des risques élevés
            4 - une criminalité croissante.

1 - Les échanges internationaux de capitaux ne sont pas connus de façon précise. Cette opacité tient à des raisons techniques : les comptabilités sont à partie double, et toute sortie d'un pays devrait correspondre à une entrée dans un autre pays. On devrait donc connaître précisément le montant et l'intensité des flux de capitaux.
En fait, ce n'est pas le cas ; les techniques comptables sont différentes selon les États, et certains marchés présentent des fuites et une absence de transparence : c'est le cas, en particulier, des marchés de produits dérivés, ou alors des mouvements de capitaux aux origines douteuses qui parviennent à circuler en contournant les obstacles réglementaires. On estime à environ 15 000 milliards de dollars (12 fois le budget de la France), le montant des transactions annuelles sur le marché des produits dérivés et à 250 000 milliards de dollars (200 fois le budget de la France), le montant annuel des échanges sur le marché des changes (sources : Alternatives Économiques hors-série n° 38).

2 - La finance internationale est aussi spéculative ; aujourd'hui, les mouvements de capitaux sont, pour l'essentiel, des mouvements à la recherche de profits rapides, et prennent la forme de placements en liquidités, en obligations ou en autres produits financiers sophistiqués (produits dérivés, par exemple).
Les investisseurs traditionnels sont des agents privés : institutions financières, organismes de placement collectif, fonds de pension destinés à financer les retraites par capitalisation... Ces derniers sont de véritables fonds spéculatifs qui représentent, aux États-Unis, l'équivalent de 30 000 milliards de francs. Le plus important, Fidelity, gère 4 500 milliards de francs, soit plus de trois fois le budget de la France (sources : Alternatives Économiques hors série n° 38).
D'après l'OCDE, ces organismes accroissent la volatilité des marché internationaux de capitaux, et rendent difficile le contrôle de ceux-ci.

3 - Si l'on ajoute à la réduction des déficits budgétaires des pays riches, le rachat de leurs propres actions par les entreprises pour accroître la rentabilité de leurs fonds propres, on comprendra alors que l'offre de titres de bonne qualité se réduit, et que les investisseurs sont contraints de s'aventurer vers des produits et des marchés sans cesse plus risqués (marchés russe et asiatique par exemple).
Le niveau de risque tient aussi au principe même de fonctionnement des marchés dérivés. On les appelle ainsi parce que leurs cours dérive de celui d'un actif sous-jacent.
Comme tout le monde dispose de la même information au même moment, il faut réagir très vite à une opportunité de profit... quitte à ne réfléchir qu'ensuite. Les sommes engagées dans la fuite en avant, sont si importantes, et les réactions des opérateurs si rapides, qu'il est possible de dépasser le seuil de maîtrise du système.
Ce fut le cas dans l'affaire de la BARINGS : suites aux manipulations aventureuses de Nick LEESON, la filiale de Singapour de la vénérable banque londonienne a mis la maison-mère en faillite, par l'ampleur des sommes gérées imprudemment. Et comme le système financier actuel fonctionne à la transaction, entre créanciers et débiteurs souvent anonymes, sans qu'il y ait de relation de confiance durable et suivie comme entre un banquier et son emprunteur, les risques sont le plus souvent, sous évalués. C'est une des raisons majeures de l'accumulation des dettes et des créances qui sont, au delà de certains seuils, à l'origine des crises.
En conséquence, le risque individuel peut facilement devenir un risque collectif global : en cas de baisse des cours, plus vite on se retire, plus on limite ses propres risques, mais plus on accentue la baisse par contagion.

On pourrait enfin penser que la multiplication des produits financiers et des marchés correspondants, pourrait permettre une dilution du risque général, et qu'on se rapprocherait ainsi de la situation optimale où tous les risques seraient couverts. Il n'en est rien : il existe effectivement plusieurs marchés, mais ils s'imbriquent tellement et sont si solidaires, que le risque n'est pas diversifié. Par exemple, on a le marché des actions, puis le marché des contrats à terme de ces actions (MATIF), puis les contrats d'options sur ces mêmes actions (MONEP). Idem pour le marché des changes ou des marchandises. Cette superposition des marchés et des contrats repose finalement sur un nombre limité de produits financiers sous-jacents, ce qui évoque une pyramide inversée, à l'équilibre précaire. La multiplication des marchés ne crée pas un système plus complet qui permettrait de s'affranchir du risque et de limiter les effets de contagion. Le risque systémique demeure.

4 - Enfin, la criminalisation occupe une place de choix dans le marché international des capitaux. On constate un accroissement de la part de l'argent sale : drogue, trafics divers (armes, matériel nucléaire, immigration illégale...), détournement de revenus fiscaux, corruption publique, une masse estimée à 800 milliards de dollars, soit 16 % des mouvements internationaux de capitaux. 6 % du commerce mondial feraient l'objet contrefaçon, et 12 à 15 % du budget européen seraient détournés (sources : Alternatives Économiques hors série n° 38 ).

 

 

LA QUESTION DES BULLES SPÉCULATIVES ET LEURS CONSÉQUENCES

 

Une bulle spéculative provient du fait que le prix d'un actif (immobilier, objet d'art, actif financier...) s'écarte de la valeur fondamentale, c'est-à-dire la somme actualisée des revenus que cet actif peut rapporter. Cette déconnexion peut atteindre des sommets inquiétants, avec des spéculateurs grisés par une euphorie collective, sans lien avec le réel.

Comment expliquer ce comportement a priori irrationnel des spéculateurs ?

Il faut d'abord se rendre compte que l'information, sur les marchés financiers, contrairement à l'idée reçue, est très imparfaite : chaque opérateur l'interprète à sa façon et essaye d'anticiper les évolutions du marché. Les prix des actifs vont dépendre des anticipations des spéculateurs qui tentent tous de devancer les anticipations des autres pour en tirer profit.
Ce mimétisme dans les comportements provoque des phénomènes "auto réalisateurs" : si de plus en plus d'opérateurs pensent qu'un titre va prendre de la valeur, ils s'en portent acquéreurs, et le cours du titre va effectivement augmenter, ce qui confirme, a posteriori, les prévisions et renforce la logique du système.
Faire comme les autres, pour un gestionnaire de titres, c'est participer à une logique collective qui lui évite de se voir reprocher une décision solitaire et malheureuse qu'il aurait éventuellement prise à contre-courant, par souci de prudence.

Les banquiers participent, à leur façon, à la bulle spéculative. Refuser un crédit peut coûter cher en terme de clientèle, et un spéculateur trouvera facilement des fonds pour investir dans un actif dont il pense que la valeur va augmenter.

Finalement, la question de l'écart entre le prix de l'actif et sa valeur fondamentale n'est pas, pour le spéculateur, essentielle ; cet écart peut être important et les opérateurs continuer à acheter le titre, s'ils pensent qu'ils trouveront des acheteurs prêts à continuer à investir dans ce titre et à l'acheter toujours plus cher. Les prix peuvent donc être objectivement élevés, et les opérateurs se porter acquéreurs. La rationalité individuelle engendre une irrationalité collective.