|
La réponse de Paul KRUGMAN : vive le
protectionnisme tempéré ! Il est évident que cette analyse n’est pas restée sans réponse, en particulier de la part du libéral Paul KRUGMAN qui va se poser en adversaire irréductible de W. BAUMOL. Pour KRUGMAN, les rendements d’échelle croissants créent des coûts d’entrée effectifs de plus en plus élevés, ce qui aura pour conséquence principale de modifier les conditions du commerce international, en rejetant de l’échange les entreprises et les pays qui ne savent ou ne peuvent cultiver ces rendements croissants. P. KRUGMAN, mais aussi M. OBSTFELD, s’éloignent de cette pensée dominante qui consiste à dire que plus on échange librement, mieux c’est pour tous les participants. L'imperfection des marchés, à la fois interne et externe, met à mal la justification de la libre concurrence sur les marchés mondiaux et limite l'efficience des échanges internationaux. Ils défendent l’idée que, à partir du moment où certains profitent d’avantages dans l’échange, comme par exemple des coûts plus faibles en main d’œuvre ou des économies d’échelle dues à une technologie collectivisée ou à des subventions d’État, alors ces avantages doivent être intégrés dans la négociation internationale. Face à un concurrent étranger qui a un de ces avantages, une entreprise devrait voir sa propre production subventionnée pour que celle-ci redevienne compétitive. C'est la justification d'interventions d'agents exogènes au marché, en vue de l'établissement d'un "optimum de second rang". On a donc avec KRUGMAN un théoricien d’un néo-protectionnisme tempéré, face à BAUMOL, théoricien d’un néo-libéralisme libre-échangiste. Cette idée d’un protectionnisme tempéré est ancienne
; déjà au XIXème siècle, Friedrich LIST (1789-1846), économiste libéral
allemand, défend l’idée d’un protectionnisme éducateur. Il est nécessaire
de protéger les entreprises dans l’enfance ; pour qu’elle puisse se développer,
une entreprise doit avoir, à sa naissance, des coûts identiques à celles qui
sont déjà développées, sans quoi la concurrence ne laisse que très peu de
chances à la jeune entreprise de survivre. C’est ainsi qu’il explique le
fait que, malgré ses immenses ressources naturelles, les États-Unis ne peuvent
connaître le décollage économique, en raison de la trop grande dépendance
vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Finalement, LIST aborde le problème des coûts
d’entrée sur un marché. Il adopte un raisonnement national et industrialiste
en expliquant qu’à sa naissance, il faut aider l’entreprise destinée à se
frotter à la concurrence internationale. Il a une idée magnifique : il
faut faire ce qu’il appelle un « sacrifice à la valeur ». « Nous faisons, avec la protection douanière, un sacrifice à la valeur qui sera récompensé par le développement d’une force productive, laquelle assure à la nation, pour le futur, non seulement un flux important et ininterrompu de biens matériels, mais aussi l’indépendance industrielle en cas de guerre » (F. LIST - Système national d’économie politique). Il est donc de l’intérêt à long terme de l’entreprise, de lui permettre et de l’aider à produire et vendre, pendant un certain temps, à un prix supérieur au coût moyen qui est réalisé dans la branche. C’est ce « sacrifice à la valeur » qui permettra à cette entreprise d’exister. Paul KRUGMAN reprend finalement un raisonnement du même
type lorsqu’il explique qu’un type de croissance qui a caractérisé le XXème
siècle et qui n’est pas vraiment intégré dans la théorie, est la promotion
des exportations par la protection du marché national. On reconnaît,
bien-sûr, le modèle japonais qui a toujours été caractérisé par un
politique étatique volontariste d'incitation à l'exportation. Les exemples de développement et de croissance
rapides ne sont donc pas liés nécessairement au libre-échange. Ce serait plutôt
l’inverse : les croissances rapides seraient liées certes à un
libre-échange, mais tempéré de protectionnisme. Une série d’études fait le point sur les facteurs de la croissance économique, en liaison avec les échanges internationaux. Le but est de sérier la part des facteurs qui contribuent à cette croissance. De façon schématique, il en ressort que la croissance de l’Europe, depuis le début des années cinquante est due, à parts égales, aux avantages du libre-échange, à la promotion des exportations avec protection du marché national, et à la taille du marché domestique. Ces analyses renforcent donc le bien fondé des approches néo-protectionnistes. |