L'énonciation
Toute une partie de la grammaire repose sur le principe de
l' énonciation, c'est-à-dire l'instance qui produit un
énoncé: celui-ci se définit comme «toute
suite finie de mots d'une langue émise par un ou plusieurs locuteurs»
(Jean Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973, p.
191).
Une telle définition, volontairement générale, traduit
le fait qu'un énoncé peut se matérialiser indifféremment
par un seul mot («Oh!»; «Impossible!»), une suite de
mots («Mmm... Drôle de conclusion...»; «Absolument pas!»),
voire même une ou plusieurs phrases: «Un discours ininterrompu de
deux heures est aussi un énoncé.» (Dubois et al., ibid.)
L'énoncé (notion propre à la pragmatique) s'oppose
ainsi doublement à la phrase (notion propre à la grammaire):
- la phrase suppose l'existence d'une structure syntaxique,
manifeste ou non: «Je ne m'intéresse pas à la politique»
est clairement une phrase, dont la structure est facile à analyser. «Oh,
la politique, moi, vous savez...» offre un type de structure très
complexe dont diverses théories linguistiques tentent de rendre compte
chacune à sa manière; c'est pourtant un énoncé dont
le sens et le fonctionnement sont tout à fait clairs.
- la phrase se définit sans référence à l'instance
de sa production, et selon des relations purement internes (sujet-verbe-complément,
ou groupe nominal /groupe prédicatif). Sa construction obéit à
des critères formels de morphologie (forme et variation des mots) et
de syntaxe (agencement des mots en séquence). Son sens est donc déterminé
par le sens des mots tel qu'on le trouve dans un dictionnaire (la dénotation).
Un énoncé, en revanche, et quel que soit sa forme, s'envisage
selon trois paramètres: un temps, un lieu, et un sujet. Son sens ne peut
être déterminé qu'en fonction d'un cadre énonciatif
et d'une fonction communicative.
La différence entre phrase et énoncé tient donc du point
de vue, du type d'analyse. La linguistique (et la grammaire) considère
la phrase comme unité fondamentale, et tente donc de décrire tous
les actes de language comme des phrases, qui peuvent être tronquées,
elliptiques, déstructurées, «transformées».
La pragmatique ne s'intéresse pas tant à la forme qu'à
la fonction, et donc au contexte ainsi qu'aux mécanismes de référence
à ce contexte.
On considère que, dans le processus d'énonciation, un sujet donné produit un énoncé donné à un moment donné et à un endroit donné, et à destination d'un récepteur donné. L'existence du sujet de l'énonciation (ou énonciateur) --- la «première personne» de la grammaire --- en implique donc deux autres, celle d'abord du destinataire de l'énoncé, l'énonciataire, qu'on peut considérer avec Greimas comme un co-sujet (puisque la réception est également un acte communicatif et sémiotique), celle ensuite du sujet de l'énoncé --- ce ou celui/celle dont on parle (la «troisième personne» de la grammaire).
L'énonciateur et l'énonciataire ne sont pourtant
pas des êtres humains; ces termes désignent des entités
virtuelles que présuppose tout énoncé, et qui déterminent
un cadre de référence. Les pronoms «je» (ou «nous»)
et «tu» (ou «vous») ne renvoient donc pas au couple
énonciateur / énonciataire, ce qui est souvent source de confusion.
Dans le discours, on utilise le terme de narrateur pour désigner l'entité
exprimée explicitement ou implicitement par la première personne,
et qui matérialise un «débrayage» de l'instance d'énonciation
(matérialisé par les flèches en pointillés dans
le schéma ci-dessous) dans l'énoncé, afin de créer
l'illusion que l'acte énonciatif est «à l'intérieur»
de l'énoncé ---- ce qui serait paradoxal, puisque l'énoncé
est le résultat de cet acte.
Implicitement à tout énoncé, il existe donc une instance
d'énonciation qu'on peut exprimer par la proposition virtuelle ['Je'
dis que], où 'Je' représente l'énonciateur et le présent
de l'indicatif le présent de l'énonciation. Le système
des modes et des temps verbaux est élaboré en grande partie en
fonction de ce double point de référence. Ainsi, le présent
de l'indicatif n'indique pas le présent chronologique, mais la coïncidence
entre le présent de l'énonciation et celui de l'énoncé
.
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