Politiques conjoncturelles
"Peut-on mener des politiques conjoncturelles nationales
dans le cadre de la construction économique et monétaire
de l'Europe ?"
L'intégration de la France au sein de l'Union Economique
et Monétaire a été l'objet d'un processus
de long terme, dont les échéances de 1999 et 2002
devraient boucler la construction par l'avènement de la
monnaie unique européenne.
L'impératif de convergence vers les critères de
Maastricht, imposé en 1992, a engendré la mise en
place de dispositifs de court terme, principalement des politiques
monétaires et budgétaires.
Pour ce qui concerne les premières, des mesures comme l'ancrage
du Franc au Mark, l'alignement des taux d'intérêt
longs et le respect des marges élargies de fluctuation
à + ou - 15% autour du cours pivot, se sont révélées
efficaces.
En effet, le Franc fort, la stabilité d'un faible taux
d'inflation et l'équilibre de la balance des transactions
courantes ont promu la France au rang de "pierre d'angle
"de la construction européenne.
Cependant, l'analyse néo-classique nous enseigne que la
politique monétaire n'est pas efficiente dans ce type de
régime monétaire à taux de change fixe (règles
de R.Mundell ).
Que penser des autre dispositifs ?
Concernant la politique budgétaire, la permanence d'un
déficit élevé et d'un endettement public
pénalisant (éviction réelle) n'a pas permis
de faire face à la grave déficience structurelle
que représente le chômage. On voit se confronter
une défaillance systémique et des outils réparatoires
de court terme, employés comme des solutions d'attente
à des résultats anticipés sur une Europe
compétitive.
En effet, comme le souligne D.TADDEI, " nul ne pouvait imaginer
le coût social de transition inhérent à la
construction de l'Europe ". La baisse significative du taux
de chômage ne faisait pas partie des critères de
Maastricht. Ces derniers sont, en revanche, initiateurs d'un "effet
endogène d'intégration" : l'érosion
de l'autonomie des politiques conjoncturelles dans le cadre de
l'UEM en construction.
Cette interdépendance ne semble pas permettre, "à
priori", une relance de l'emploi avec, d'une part, la contrainte
d'un trend de croissance élevé, et d'autre part
une incapacité de fait des dispositifs institutionnels
à pallier les dysfonctionnements des marchés.
Cependant, la mise en place du contrat "initiative-emploi",
la loi sur la réduction du temps de travail et la tendance
à la réorganisation du travail laissent penser qu'une
politique budgétaire peut être efficiente. En tant
que politique d'accompagnement, elle peut constituer l'outil privilégié
d'un réajustement, suite à des chocs asymétriques
inhérents à des économies ouvertes régionalisées.
On peut donc avancer que, malgré la marge étroite
d'intervention nationale laissée par l'intégration
européenne, la politique budgétaire restera, si
elle est concertée et coopérative, un dispositif
efficace de lutte contre le chômage et l'exclusion.
On se propose, en premier lieu, de développer l'idée
que les politiques conjoncturelles, donc de court terme, sont
nécessaires à la France intégrée à
l'UEM.
En second lieu, on évoquera les apports théoriques
récents sur le rôle économique de tous les
agents, et particulièrement de l'Etat.
I/ Bien qu'intégrée dans une zone économique
et monétaire, la France aura besoin de dispositifs d'ajustement
nationaux.
Les économies ouvertes supportent des chocs asymétriques
qui impliquent l'usage de politiques de court terme.
1/ L'Europe en construction :
Si on considère 1986 comme l'année de transition
entre la communauté économique européenne
et le marché unique, dix ans seulement ont suffi pour mettre
en place des politiques conjoncturelles d'adaptation au concept
de zone économique.
Que ce soient la politique de désinflation compétitive,
l'ancrage du Franc au Mark ("Franc fort"), ou encore
l'alignement à la fiscalité Européenne, la
France a utilisé des outils conjoncturels d'ajustement
en vue de tendre vers les critères de convergence de Maastricht.
Or, la mise en oeuvre de ces dispositifs, altérée
par un fort déficit budgétaire, des taux d'intérêt
courts élevés et une faible croissance économique,
a engendré un coût élevé de transition.
Les politiques de court terme n'ont pas, à cette époque,
réussi à freiner le chômage et l'exclusion.
On peut donc s'interroger sur la capacité des politiques
conjoncturelles à amortir les défaillances structurelles.
2/ Les politiques conjoncturelles sont-elles inaptes à
résorber le "coût de transition " que représente
le chômage ?
Les instruments classiques de la politique monétaire
(dévaluation, orientation du taux directeur, seigneurage
), ne fonctionnent plus. La théorie Néo-classique
nous enseigne qu'au coeur de notre système de changes,
la politique monétaire n'est pas efficiente. Cependant,
un système de parités fixes assure théoriquement
la stabilité de la monnaie, la moindre volatilité
des taux d'intérêt courts et une faible inflation
maîtrisée.
Si on en croit Lucas, Barro, Sargent et Wallace, la politique
budgétaire serait, elle aussi, inefficace. En effet, le
"théorème d'équivalence", emprunté
par Barro à Ricardo, énonce que les agents anticipent
l'impôt futur qu'implique l'emprunt de l'Etat, et épargnent
en conséquence. La relance ne peut donc avoir lieu.
Mais ces théoriciens de la croissance endogène
réhabilitent le rôle de l'Etat comme impulseur de
croissance : celui-ci doit investir dans la formation et l'éducation.
Le rôle de l'Etat serait donc davantage validé par
des politiques structurelles que par des ajustements à
court terme.
Une contradiction apparaît alors : la théorie Néo-classique
nous enseigne que la politique budgétaire est efficace
en régime de changes fixes. Mais les agents, informés
et anticipant les hausses fiscales futures, auraient un comportement
d'épargne qui annulerait les effets des politiques conjoncturelles.
On voit donc que les politiques structurelles représentent
une alternative bien actuelle à la lutte contre le chômage.
L'appartenance à une union économique et monétaire
altère non pas l'outil d'intervention lui-même, mais
peut-être l'autonomie des nations et leurs capacité
à faire face à ses chocs internes.
II/ Le traité de Maastricht porte-t-il en lui l'érosion
de l'autonomie des nations en matière de politique conjoncturelles
?
Puisque le régime de change de l'UEM rend inopérante
la politique monétaire, de quels outils dispose un pays
européen pour faire face aux dysfonctionnements de ses
marchés ?
1/ Des grandeurs macro-économiques maîtrisables,
mais un "déséquilibre de Malinvaud".
Conformément au "carré magique", les
domaines des prix (inflation maîtrisée), des finances
publiques et du solde de la balance des transactions courantes
sont équilibrés. Mais la coexistence d'un chômage
Keynésien et d'un chômage classique dénoncée
par les théoriciens du "déséquilibre",
semblait restreindre l'efficacité d'une politique budgétaire.
La reprise de la croissance, sensible en 1999 et établie
en début 2000, a permis de rééquilibrer les
offres et demandes d'emplois.
Les récents développements du corpus théorique
sont porteurs de solutions complémentaires.
2/ Pour certains auteurs, la politique budgétaire est
un instrument toujours adapté à l'ajustement conjoncturel.
Les développements de Taddei et Coriat nous éclairent
sur la nécessité de la réduction- réorganisation
du travail. Mais celle-ci ne peut être efficace sans une
politique budgétaire d'accompagnement. Celle-ci, basée
sur la dynamique fiscalité-redistribution, devrait permettre
de renforcer les bons résultats de l'emploi du début
2000.
Le rapport Drèze-Malinvaud de 1993, par une simulation
du modèle "Mimosa", arrivait déjà
à la conclusion que la réduction du temps de travail
était nécessaire. Il convenait de la financer par
une taxation sur le CO² et une augmentation de la TVA. La
croissance étant de retour, le nombre de chômeurs
étant inférieur à 2 millions, on peut penser
que cette politique pourra s'autofinancer.
La réflexion de L.Cartelier apporte une dimension Européenne
à la question de l'intervention de l'Etat sur une courte
période, et on voit donc émerger une forme de réponse
: les politiques conjoncturelles ne seraient efficaces dans le
cadre de l'UEM que si elles sont concertées, coopératives
et accompagnées de réajustements.
Enfin, s'agissant de conduire une économie ouverte et régionalisée
vers un emploi mieux partagé, il conviendrait sans doute
de mettre en place des politiques plus structurelles, préparant
ainsi le passage vers de nouveaux modes de production.
Conclusion :
La nouvelle micro- économie classique tente de mettre
un terme à la "schizophrénie micro-macro"
(Leijonhufvud). Nous sommes toujours dans la sphère de
l'individualisme méthodologique, mais sont désormais
pris en compte les anticipations rationnelles (Lucas, Barro),
les coûts de transactions (Coase, Williamson), et les relations
d'agence (Aschauer).
Le comportement des agents a une influence sur les grandeurs macro-économiques,
et il doit être pris en compte lors de politiques conjoncturelles.
De fait, les théoriciens de la croissance endogène
réhabilitent le rôle de l'Etat, dans sa capacité
à juguler les défaillances structurelles du marché,
ceci incluant un effort d'investissement dans le court et le long
terme, afin d'accumuler un capital humain et de permettre la promotion
d'un progrès technique endogène.
Face à une Europe compétitive, on voit l'intérêt
de se pencher sur l'apprentissage le savoir-faire et de soutenir
les politiques conjoncturelles concertées. |