Le registre (suite)
4/ Le registre élégiaque :
Vocabulaire : l'élégie (du grec
elegeia) désigne un poème lyrique où s'exprime un chant
funèbre plaintif. Fort à l'honneur dans l'Antiquité, il
est adopté par les poètes du XVIème siècle et traite
alors des passions amoureuses. Le lexique est au service de l'expression de
sentiments mélancoliques (méditations sur la mort, tourments engendrés
par l'amour). La peinture de la nature figure aussi parmi les thèmes
les plus caractéristiques du genre.
Formes : élisant exclusivement la forme poétique, l'élégie
est la plupart du temps une plainte. Le registre élégiaque met
ainsi en avant la subjectivité d'un épanchement presque toujours
lié à un destinataire. Le développement de la méditation
déplorative est ample et pathétique. La forme, même si elle
varie beaucoup, est toujours harmonieuse : le travail effectué sur le
rythme, les sonorités et les images privilégie l'esthétique
et la plastique.
Exemple : le registre élégiaque dans le calligramme :
Guillaume Apollinaire, Calligrammes, 1918.
5/ Le registre épique :
Vocabulaire : la célébration
des prouesses et des exploits est caractéristique de l'épopée.
Pour cela, le vocabulaire sera emprunté au lexique guerrier. L'exaltation
des vertus héroïques s'inscrira aussi dans le vocabulaire mélioratif
des qualités morales (sacrifice, énergie, hauteur stoïque
: voir les vertus du héros). Parce qu'il est confronté à
des obstacles surhumains ou des déchaînements cosmiques, le héros
épique est souvent accompagné d'un vocabulaire mythologique et
panthéiste.
Formes : elles visent à susciter l'admiration et concourent donc, par
les ressources de la description, à amplifier les forces en présence.
Dressées l'une contre l'autre de manière manichéenne, elles
sont violemment mises en valeur par l'ampleur des phrases, les verbes de mouvement
en cascade, les rythmes (anaphores). Les images sont choisies parmi celles de
l'amplification (hyperboles, gradations) et de l'analogie (personnifications,
allégories mythologiques).
Exemple : le registre épique dans la chronique sportive :
Christian Laborde, Le Viking de Quincampoix.
6/ le fantastique :
Vocabulaire : l'atmosphère fantastique
est destinée à susciter l'inquiétude (voir notre notice
sur le genre fantastique). Le vocabulaire saura pour cela maintenir l'ambiguïté
(termes à double sens, lexique de l'incertitude) et caractériser
constamment le trouble du personnage, confronté à des phénomènes
inexplicables, par le lexique de l'étrange et le champ lexical de la
peur.
Formes : le registre fantastique est souvent associé à la description
dont on observera la valeur subjective et incertaine (onirisme, comparaisons
et métaphores témoignant de l'incapacité à cerner
le phénomène). Renvoyée au témoignage incertain
d'un sujet solitaire (focalisation interne), l'appréciation des faits
nous est livrée de manière parcellaire et hésitante. La
syntaxe sera pour cela caractérisée par la phrase brève,
volontiers elliptique (suspensions), et fréquemment interrogative.
Exemple : le registre fantastique dans le roman policier :
Georges Simenon, L'Affaire Saint-Fiacre, 1959.
7/ Le registre laudatif :
Vocabulaire : ce registre couvre tous les champs
de la louange. Destiné à vanter les mérites d'un personnage
(éloge funèbre), d'une valeur abstraite (hymne) voire d'un produit
(publicité) ou d'une idéologie (propagande), il emploie naturellement
un lexique mélioratif et des images valorisantes de nature à parer
les objets concernés de toutes les qualités.
Formes : le registre laudatif appartient au genre épidictique de la rhétorique
classique. On y retrouve ainsi les procédés oratoires capables
de provoquer l'adhésion morale du public aux vertus qu'on entreprend
de prôner : modalisateurs de la certitude, exclamations admiratives, énumérations
de qualités et avantages. On veillera à dépister les antiphrases
qui marquent ce registre lorsque l'intention est ironique (éloge paradoxal).
Exemple : le registre laudatif dans le genre polémique :
Molière, Dom Juan (V, 2), 1665.
8/ Le lyrique :
Vocabulaire : on trouvera dans ce registre
tout le vocabulaire de l'émotion en relation avec les grands thèmes
lyriques (voyez notre notice sur le genre lyrique) : amour, mélancolie,
nostalgie, bonheur, extase, communion avec la nature...
Formes : la fonction expressive est évidemment dominante (forte implication
du pronom je) et alterne avec la fonction impressive qui mobilise le récepteur
et l'invite à partager la ferveur. Pour suggérer l'intensité
des émotions éprouvées, les tournures exclamatives (invocations,
apostrophes) ou interrogatives sont fréquentes, ainsi que les figures
de l'insistance (anaphores, hyperboles, gradations). La syntaxe est enfin soucieuse
de musicalité (cadences du vers, ampleur de la phrase).
Exemple : le registre lyrique dans le roman :
Albert Cohen, Belle du Seigneur, III, 1968.
9/ Le registre oratoire :
Formes : ce registre est étymologiquement
associé à la prière (voir notre notice sur le genre oratoire
et définition et exemple sur la page consacrée aux registres du
texte argumentatif.) Il reste de cette origine une évidente vocation
du registre oratoire pour le discours public capable de mobiliser l'auditoire.
Il peut y parvenir par le souci de persuader plus que de convaincre, sûr
de faire partager l'émotion par toutes les ressources du verbe (voyez
notre page sur Plaidoyer et réquisitoire) : ampleur de la phrase (période),
choix évocateur des images, prises à partie de l'auditoire (apostrophes,
questions rhétoriques).
Exemple : le registre oratoire dans le roman :
Gustave Flaubert : Madame Bovary, 1857.