Obstacles institutionnels et asymétries d'information sont des éléments de viscosité des prix
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Obstacles institutionnels (contrats, syndicats, insiders)
et asymétries
d’information sur les marchés sont des éléments de viscosité des prix.
Contrats
de travail, syndicats, insiders sont autant d’espaces de rigidité. Nous avons
déjà constaté qu’une caractéristique du salariat est que la rémunération
de la main d’œuvre est fixée à l’avance, en terme nominaux, pour une durée
plus ou moins importante. Ces salaires sont négociés sur la base
d’anticipations de prix formées par les employeurs et les salariés. La seule
existence des contrats de travail suffit à expliquer une certaine
rigidité à court terme des salaires nominaux. C’est ce que PHELPS a montré
en 1990 en affirmant que la renégociation périodique des salaires confère aux
valeurs nominales une certaine inertie. Mais
alors comment justifier alors l’existence du contrat salarial et, de façon
plus générale, du droit du travail ? -
Ils fournissent des avantages aux
salariés dont le salaire est la principale source de revenus ; les
salariés sont alors intéressés par ce type de « contrat implicite »
d’assurance contre les fluctuations, procurant des revenus stables et réguliers. -
Ils procurent des avantages aux
employeurs qui s’assurent par le salaire, une réduction des coûts de
transaction avec le marché du travail, ainsi qu’une certaine stabilité des
services de la main d’œuvre en échange de la prise de risque qu’ils
acceptent. L’information n’est pas
transparente sur les marchés ; elle n’est jamais complète et gratuite
pour tous. Le plus souvent, un seul des agents de l’échange dispose de
l’information complète et les tenants de la NEK se placent dans l’hypothèse
classique que les agents sont rusés, opportunistes et n’hésiteront pas à
tricher. L’agent victime de
l’asymétrie de l’information est face au risque de la « sélection
adverse » qui va le conduire à faire le choix du mauvais postulant à
l’embauche ou du mauvais produit ou du mauvais crédit de financement.
Proposons plusieurs exemples. Sur
le marché du travail, il y a asymétrie
d’information entre le salarié qui sait ce qu’il vaut et qui gère
l’intensité de son effort au travail et l’employeur qui ne peut évaluer
entièrement son salarié ni le surveiller en permanence. Dès 1957, LIEBENSTEIN
montrait que le salarié dispose d’un certain pouvoir de marché. La théorie
du salaire incitatif ou théorie du salaire d’efficience montre que l’équilibre
sur le marché du travail sera caractérisé par un taux de salaire supérieur
à celui qui prévaudrait en l’absence d’asymétrie d’information, ce qui
provoque, en conséquence, un certain « chômage involontaire ». Ce sont donc les relations
employeurs/employés qui produisent une rigidité à la baisse du salaire,
manifestation d’un accord, d’un arrangement mutuellement avantageux, même
si cet arrangement génère des exclus. AZARIADIS,
BAILEY et GORDON ont à leur tour analysé la rigidité des salaires et des prix
et l’ajustement par les quantités ; leurs explications ne portent pas spécialement
sur le rôle des syndicats mais sur l’accord tacite ou le contrat
implicite entre employeurs et employés pour réduire l’incertitude lié
aux inévitables fluctuations économiques. Les salaires devraient suivre les aléas
de la conjoncture et les revenus devraient donc fluctuer. Les salariés vont
alors souhaiter que l’entreprise joue un rôle d’assurance contre les
fluctuations en servant en permanence un revenu stable qui sera supérieur
au salaire d’équilibre en basse conjoncture, quitte à ce qu’il soit inférieur
en haute conjoncture. Le résultat en est une certaine rigidité des salaires. En
outre, des considérations temporelles comme le plan de carrière, la
formation et l’investissement en capital humain vont contribuer à cette
inertie des évolutions salariales. Les coûts
de rotation de la main d’œuvre expliquent en partie la rigidité des
salaires et les déséquilibres sur le marché du travail. STIGLITZ (1974)
montre que le turn over a un coût non négligeable : coût de licenciement
(primes à payer), coût d’embauche (utilisation de cabinets de recrutement),
coûts de formation, coûts d’adaptation (les nouveaux salariés sont moins
efficaces que les anciens). L’entrepreneur sera incité à rémunérer ses
salariés au dessus du salaire de marché (et donc du salaire d’équilibre)
afin de fidéliser la main d’œuvre et de minimiser ainsi les coûts de
rotation de cette main d’œuvre. LINDBECK
et SNOWER (1998) vont dans le même sens lorsqu’ils montrent qu’en présence
de coûts d’ajustement de la main d’œuvre (coûts de recrutement, coûts de
licenciement), les employés déjà en place (les insiders) disposent
d’un certain pouvoir de marché leur permettant de fixer leur rémunération au
dessus du niveau qui équilibrerait le marché du travail, empêchant les
ajustements à la baisse des salaires et provoquant ainsi un chômage
involontaire des outsiders. De
manière plus traditionnelle, la rigidité des salaires nominaux, voire des
salaires réels, peut être vue comme le résultat de l’influence des
syndicats sur la déterminations des salaires : les chômeurs
ne sont pas syndiqués et on peut ainsi expliquer l’ajustement imparfait des
salaires réels en période de chômage. Sur le marché des biens,
AKERLOF (1970) retient l’exemple du marché des automobiles d’occasion. Seul
le vendeur connaît la qualité réelle d’un véhicule à la vente et
l’acheteur potentiel craint de tomber sur un « citron » (lemon),
c’est-à-dire une voiture de mauvaise qualité. Les vendeurs auront tendance
à refuser de vendre les bons véhicules au prix d’équilibre et à ce prix,
ils vont proposer le tout-venant. Les mauvais véhicules vont progressivement
chasser les bons du marché et le risque est de plus en plus élevé de tomber
sur un « citron » et de faire la « sélection adverse ».
Pour se protéger contre le risque de se faire abuser, l’acheteur n’a pas le
choix : il va accepter de proposer un prix bien plus élevé que le prix
d’équilibre du marché et il contribuera ainsi au déséquilibre du marché
des biens. ROTHSCHILD et STIGLITZ
(1976) ont illustré l’asymétrie d’information dans le domaine des
services, en particulier dans le secteur de l’assurance automobile.
L’information y est asymétrique dans la mesure où la Compagnie
d’assurance, contrairement à l’assuré, ignore a priori si elle a
affaire à un bon ou à un mauvais conducteur. Elle aura donc tendance à exiger
une prime « moyenne » qui fera l’affaire des mauvais conducteurs
et fera fuir les bons conducteurs qui estiment mériter une prime allégée. Les
mauvais conducteurs chassent les bons. La Compagnie se retrouve progressivement
avec de plus en plus de mauvais conducteurs et est obligée d’augmenter les
primes … jusqu’à ce que les conducteurs « moyens » fuient et
que la Compagnie fasse faillite. Pour nos auteurs, la
Compagnie qui a le pouvoir de fixer ses prix, doit alors adopter une
tarification discriminatoire : une prime d’assurance faible et une
franchise élevée pour les agents à faible risque et une prime élevée et une
franchise faible pour les agents à haut risque. Mais les agents à faible
risque restent perdants car ils ne peuvent obtenir une prime faible et une
franchise faible. Les perdants sont toujours les bons produits ou les bons
agents. Toujours sur le marché des
biens et services, OKUN et PHELPS présentent une analyse en terme de « marché
de clientèle » et concluent à l’émergence spontanée d’une
rigidité des prix en tant que réponse rationnelle du vendeur à une situation
d’information asymétrique et coûteuse pour les acheteurs. Les « marchés
de clientèle » sont des marchés sur lesquels les achats sont répétitifs
(biens alimentaires) ; les offreurs sont en concurrence, mais les acheteurs
ont des habitudes et restent fidèles à leurs fournisseurs. Une hausse des
prix, au delà d’une certaine limite, fera fuir les clients et une baisse
des prix n’attirera de nouveaux clients que très lentement. L’intérêt
du distributeur n’est pas de suivre les fluctuations du marché mais de
maintenir ses prix et, ce faisant, il participe à la rigidité des prix . STIGLITZ et AKEROF ont par
ailleurs montré que le prix est un signal important de la valeur
et de la qualité du produit ou du service. Toute baisse pourra être
considérée comme une dévalorisation du produit. Sur le marché des crédits
enfin, le rationnement du crédit va engendrer des rigidités. Les questions
d’asymétrie de l’information et d’information imparfaite apparaissent
fortement dans les transactions de financement car les relations de crédit sont
fortement marquées par la dimension temporelle, davantage que les transactions
sur biens et services non financiers. Le créancier est toujours
moins informé que le débiteur sur les perspectives de rendement de
l’investissement et les capacités de remboursement. Pour STIGLITZ et WEISS
(1981), le fonctionnement du marché du crédit sera caractérisé par un
« prix du crédit » et un taux d’intérêt imparfaitement
flexibles et par des rationnements quantitatifs. |