La thèse de J. ATTALI : l'espoir des ONG
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Les ONG, rempart contre l'apocalypse

Faisons un rêve...

"L'Assemblée générale de l'Organisation des Associations unies" est une nouvelle institution internationale imaginée par Jacques ATTALI qui rassemblerait toutes les organisations, traversant les frontières, les couleurs, les sexes, les races, les générations, toutes décidées à servir, sous toutes les formes, un seul but : le bien commun de l'humanité.

Dans le journal Le Monde du 11 septembre 2004, Jacques ATTALI imagine les décisions qu'une telle Assemblée pourrait prendre concernant la nature du développement, le partage des ressources mondiales, l'évolution du droit international et les moyens de le faire respecter.

Un tel rêve est réaliste : aujourd'hui, des ONG pèsent plus lourd sur le destin de l'humanité que bien des pays de l'ONU. Et dans les cinquante dernières années, bien des changements majeurs dans le droit international, dans les relations avec les peuples, dans la conception de la démocratie, dans la nature de l'économie sont nés d'organisations non gouvernementales : le combat pour les droits de l'home, l'action humanitaire, la médecine d'urgence, le droit à mourir dignement et à contrôler les naissances, les droits des femmes, le devoir d'ingérence humanitaire, la prise en compte des nouvelles maladies, le droit à l'enfance, la protection de l'environnement, le droit à la gratuité de la santé et de l'éducation, le droit à l'information et à se regrouper en associations, ne sont nés ni dans les partis politiques ni dans les entreprises, ni dans les administrations, ni dans les syndicats, mais dans des travaux d'intellectuels relayés par des organisations non gouvernementales qui se sont posées en défenseurs de l'évolution de la planète et des besoins de l'espèce humaine. On peut donc imaginer que les ONG représentent l'avant-garde de ce que sera le meilleur du monde d'après-demain : un monde fait de diversité, de tolérance, d'altruisme, d'intérêt pour le bonheur des autres. D'ailleurs, avons-nous le choix ? Si le monde de demain ne ressemble pas à cela, il cessera d'exister sous les chocs de la violence terroriste, des désordres écologiques, des inégalités et de tous les autres maux que les ONG s'efforcent de combattre.

Un certains nombre de constats permettront de formules quelques propositions.

Les constats

- De nombreux objectifs fixés par les Nations Unies ne sont et ne seront pas atteints en 2015, et pas seulement en Afrique. De plus, bien des situations de misère et de désordre ne peuvent être intégrées par les Objectifs du millénaire fixés par l'ONU, car ils ne sont pas quantifiables. C'est le cas de la pauvreté, de la maltraitance des femmes, de la privation d'enfance, de la guerre, de la peur, de l'insécurité, du manque d'accès aux ressources de base, de l'inégalité.

- L'aide publique au développement - en pourcentage du revenu national brut des pays donateurs - est au plus bas. Les exportations des pays pauvres en franchise de droits vers les pays du Nord baissent régulièrement, à l'exception des ventes d'armes et de pétrole.

- La pauvreté, premier facteur de violence, de destruction des services publics et de recul de la démocratie va s'aggraver, sous toutes ses formes. Alors que, aujourd'hui, près du quart de l'humanité survit avec moins de 2 dollars par jour (le vrai seuil de pauvreté), dans trente ans, ce sera, si rien ne change, le cas de près de la moitié de l'humanité. A l'autre extrémité de l'échelle, la fortune se concentrera entre des mains de moins en moins nombreuses. Plus aucun ordre mondial ne sera alors possible et le terrorisme aura alors fait place à la guerre véritable, entre les nantis et les autres, à l'intérieur même des nations les plus riches.

- Les entreprises participent plus que jamais au changement du monde par la façon dont elles mettent en œuvre le progrès technique, dont elles font évoluer la nature du travail, de la distraction, de la formation, de la consommation. Mais, obsédées par les exigences de l'immédiat, et même si elles sont aujourd'hui infiniment plus influentes que les États, elles n'ont plus, malgré leur taille de plus en plus grande, les moyens d'agir sur les grands enjeux qui déterminent la durabilité du développement.

- À côté des États et des entreprises des partis politiques et des syndicats sont apparus permettant aux gens de s'entraider. Mais ces organisations n'ont plus les moyens de traiter tous les problèmes nouveaux, qu'elles ne maîtrisent pas, liés à des enjeux qui dépassent le cadre traditionnel du politique et de l'économie.

- Pour traiter ces problèmes nouveaux sont apparues de nouvelles organisations, les ONG, entreprises à but non lucratif, productrices de biens et de service de dignité. Elles mettent en œuvre des valeurs simples, universelles : les droits de l'homme d'aujourd'hui comme ceux des générations passées et futures. Ces ONG forment aujourd'hui une part significative de l'activité mondiale, peut-être plus du dixième. Elles constituent un formidable outil de transformation économique, politique, culturelle, sociale, de la planète.

- Les ONG peuvent donner du sens à la mondialisation, qui n'est souvent, sans elles, que l'internationale des marchés et des guerres. Ces organisations portent les idées de gouvernement mondial, de fraternité, de droit des générations futures, d'équité sociale, le droit des femmes et des minorités.

- Les ONG donnent un sens à la démocratie et à ses fondements : liberté d'expression, protection des femmes et des enfants, lutte contre la peine de mort, droit au travail, au crédit, au logement.

- Les ONG donnent un sens à la lutte pour le développement durable, dont elles ont inventé le concept, la protection de la diversité, la sauvegarde des langues, des cultures, des espèces animales et végétales, du climat et des ressources rares.

- Les ONG savent seules, aujourd'hui, lutter efficacement contre la pauvreté, sous toutes se formes, culturelles, morales et financières. En particulier, elles seules savent comment aider les plus démunis à se prendre en main, par le microcrédit, arme essentielle de l'avenir.

 les propositions

- Les ONG sont en train de créer une nouvelle dynamique, transfrontalière, nomade, qui sera un jour plus puissante que celle du marché et de la politique et le moment est venu de faire naître une mondialisation de la démocratie.

- Remplacer l'expression "ONG" qui réunit trois des mots les plus détestables dans toutes les langues : "organisation" qui évoque la bureaucratie, "non" qui évoque la destruction et "gouvernemental" qui évoque l'appareil d'État. Jacques ATTALI propose à la place "institutions de solidarité", (IDS). Ce n'est pas un débat anecdotique : nul n'est rien s'il ne se nomme pas lui-même. En outre, le nom contient en lui-même la finalité de nos actions.

- Les réunions des IDS doivent devenir institutionnelles et autonomes. Créons une ONU des ONG, ou plutôt une Organisation mondiale des institutions de solidarité, une OMIS ou World Solidarity Institutions Organisations, la WSIO.

- Le but de cette organisation est de définir ensemble des moyens nouveaux d'agir, avec les gouvernements et les entreprises, pour fixer les objectifs de ces quinze prochaines années.

- Les IDS doivent devenir plus professionnelles, plus légitimes dans la désignation de leurs organes dirigeants, plus transparentes dans leur organisation, leur fonctionnement et leur financement. Une charte éthique mondiale devrait définir les conditions de leur admission dans l'OMIS.

- Un monde sans pauvreté est possible. Pour cela, la micro finance doit devenir une priorité. Elle seule permet de donner à tous les êtres humains les moyens de gagner leur vie. Aujourd'hui, plus de 60 millions de gens en bénéficient. Dans vingt ans, ils pourraient être un milliard.

- Un monde sans dictature est possible : le droit d'ingérence dans les pays qui massacrent ou maltraitent doit être plus reconnu.

- Un monde fraternel est possible : il devrait être possible de donner à chacun les moyens de disposer des biens essentiels : l'eau, l'air la nourriture, le logement, le savoir, la liberté.

- Une telle gouvernance mondiale devrait se donner les moyens de financer de tels objectifs par un impôt planétaire sur les émissions de gaz carbonique qui constitue la plus dangereuse des pollutions.

- Il faut renforcer massivement les moyens dont disposent les IDS. Des avantages fiscaux, mais aussi permettre à chacun, au cours de sa vie, d'avoir le droit de consacrer une partie de son temps, rémunéré, à une organisation de solidarité de son choix.

Sources :

-Discours prononcé à la tribune des Nations unies lors de la clôture du sommet mondial des ONG, le 10 septembre 2004 à New York

- Le Monde 11 septembre 2004

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