Des chartes d'entreprises éthiques et/ou cyniques ?
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Éthique et entreprise : une démarche volontaire et morale teintée parfois d'un certain cynisme Un constat : le développement des chartes éthiques Les chartes éthiques d'entreprise se développent de plus en plus dans tous les pays. Le modèle anglo-saxon sert le plus souvent implicitement de référence de ce qui se fait dans ce domaine ; cette approche pragmatique de l'éthique, éloignée de notre morale traditionnelle, provoque dans les pays de culture romano-germanique des divergences et des incompréhensions. Ce qui est moral dans certains pays, ce qui est autorisé ne l'est pas forcément dans d'autres. Il faudra distinguer, par ailleurs, l'éthique d'entreprise et l'éthique "dans" l'entreprise, c'est-à-dire distinguer d'une part le message officiel en matières culturelle, morale ou juridique que l'entreprise va souhaiter émettre vers son environnement interne et externe et d'autre part le degré souvent faible de la participation des salariés et parfois même des dirigeants à l'élaboration de la charte. Dans ces conditions, la démarche éthique trouble les repères culturels, moraux et juridiques, devient équivoque et procède de la démarche démagogique et cynique de la publicité mercatique. Charte éthique : un concept non universel et équivoque Une simple approche lexicologique montre que les entreprises utilisent massivement dans leurs discours les verbes "pouvoir" et "devoir" au détriment de "falloir" et de "vouloir", qui n'est utilisé que dans 3 % des cas. Les concepts d'éthique et de développement durable sont donc évoqués sur le registre de l'obligation morale et de la responsabilité plutôt que de l'action. Les entreprises ne se situent pas dans un système d'action volontaire, mais plutôt dans une réaction de prudence face à une pression sociale. Les entreprises communiqueraient sur ces sujets plus par contrainte que par réelle conviction (Le Monde 27/11/2001). La quasi totalité des entreprises du CAC 40 disposent de codes éthiques officiels dont le contenu n'est pas forcément facile d'accès. On ne peut que constater que la multiplication des chartes éthiques est très circonstancielle et qu'elle coïncide avec le développement de certaines affaires récentes ; les entreprises qui élaborent ces chartes sont parfois celles-là mêmes dont les dirigeants sont poursuivis pour délinquance d'affaires, comptabilité irrégulière, fausse comptabilité, corruption, abus de confiance, abus de biens, recel d'abus de biens ou de confiance. Alors le discours est-il compatible avec le comportement ? Le code éthique aplanit-il certaines difficultés ? Éthique et cynisme feraient-ils bon ménage ? Qu'est-ce que l'éthique d'entreprise aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'elle devrait être ? Relève t-elle du sociologue, du philosophe ou du gestionnaire et du praticien ? Et quelle est ou devrait être la part des salariés et des dirigeants ? La charte ne leur est-elle pas imposée lorsqu'ils sont exclus de toute initiative dans son élaboration ? Nous résumons ici le point très intéressant que fait Jacques DELGA sur ces questions dans le DALLOZ 2004. La France et l'Europe continentale ont un vision théocratique et religieuse de l'éthique. Pour KANT, une action est éthique lorsque d'une part elle est conforme à une valeur morale et que d'autre part elle n'est pas accomplie par intérêt. Mais cette valeur sacrée et morale de l'éthique ne se retrouve pas dans tous les pays. L'éthique anglo-saxonne, comme le droit, s'adapte aux faits et réalités du terrain ; une démarche peut être éthique sans aucune particularité religieuse ou culturelle. C'est l'arbitrage social qui est la règle. Aux USA, on défend l'environnement plus pour limiter les indemnités à payer pour cause de pollution que pour des raisons de conscience, comme on "plaide coupable" en droit par peur du risque d'une sanction aggravée alors même qu'on se sait innocent. Pour certains philosophes, l'expression "éthique d'entreprise" est une antithèse et un abus de langage, puisque le but de l'entreprise dans le système capitaliste est la richesse, le profit, notamment celui des actionnaires et non la morale et la vertu. De nombreux auteurs, praticiens et théoriciens de l'entreprise ont une approche différente ; l'éthique d'entreprise, spécifique à l'entreprise, peut se définir à partir de valeurs concrètes et pragmatiques. Pour l'aspect interne à l'entreprise, citons le respect du client, le sens des responsabilités, la réalisation de soi, la transparence, la rigueur, la confiance, l'effort, l'intégrité, la loyauté... Vis-à-vis de la société, l'entreprise mettra en avant les valeurs "sociétales" qui interpellent tout citoyen de la planète : respect de l'environnement, développement durable, commerce équitable... L'aspect équivoque de la notion d'éthique se renforce encore lorsque l'on constate que la dimension pragmatique est parfois très compatible avec la dimension morale ; il peut y avoir superposition entre profit et éthique, dans la mesure où une recherche éthique et morale peut générer du profit. L'inverse est plus ambiguë : peut-on affirmer que la recherche du profit par l'entreprise peut être éthique parce que l'entreprise use de moyens convenables que la morale ne désapprouve pas ? Charte éthique : une stratégie mercatique ? Finalement, les codes éthiques anglo-saxons se développent et leur modèle s'impose d'autant plus au reste de la planète que la langue anglaise est toujours plus hégémonique et que les marchés financiers américains soumettent les grandes entreprises mondiales cotées en bourse aux standards américains. Les chartes éthiques servent-elles alors à mettre en avant des valeurs "socialement correctes" (améliorer la transparence et le contrôle de l'entreprise) ou à rassurer des investisseurs potentiels, à développer une image favorable et mercatique de l'entreprise et à masquer le désagrément de quelques poursuites de dirigeants dans le cadre de la délinquance d'affaires ?
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