Marché financier et effet de serre
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Protocole de Kyoto et économie : antithèse ou synergie ?

Les faits

Janvier 2005 : pour convaincre les industriels de réduire les rejets de gaz carbonique (à effet de serre) et les pluies acides, un marché de "droits à polluer" (ou "permis d'émission", la sémantique est subtile...) a été lancé et s'établie à environ 8 dollars et demi la tonne. Ce n'est bien sûr pas le gaz lui-même qui est échangé sur ce marché, mais le droit de l'envoyer dans l'atmosphère. Ce marché est très original : c'est une initiative européenne (directive européenne du 13 octobre 2003) qui préfigure le futur marché des droits d'émission prévu par le protocole de Kyoto pour 2008.

Ce n'est pas une nouveauté : la terre se réchauffe. Les hommes produisent deux fois plus de gaz carbonique que la planète ne peut en absorber. L'année 2004 est la quatrième année la plus chaude depuis 1861 et les dix dernières années sont les plus chaudes depuis qu'il existe des relevés météorologiques. Tous s'accordent sur ce point, sauf Global Climate Coalition, un groupe de pression dont le chef de file est EXXON.

Le principe

Le principe de ce marché est simple : de façon générale, on fixe pour une industrie des quotas d'émission (une tonne de CO2 représente un quota) et ceux qui ont émis moins que le quota peuvent revendre les droits inutilisés à ceux qui ont dépassé leur plafond. La tonne de gaz carbonique non émise acquiert donc une valeur marchande. Un prix d'équilibre s'établit en fonction de l'offre et de la demande de droits à polluer. Lorsque le prix se stabilise à la baisse, il suffira de resserrer les quotas et les industriels seront contraints de faire de nouveaux progrès.

Depuis le 1er janvier 2005, les exploitants de 12 000 sites industriels des 25 pays membres de l'Union européenne peuvent s'échanger les quotas qui leur sont alloués annuellement sur une base nationale. Le prix d'un quota se négociait le 21 janvier 2005 à 6,76 euros ;  l'espoir est que le quota devienne un actif suffisamment rare et donc cher pour que les industriels aient finalement plus intérêt à investir dans les installations propres qu'acquérir des permis d'émission sur le marché.

Les "fonds carbone" ont aussi la possibilité de se pourvoir en "crédits Kyoto" et les industriels, les États riches du Nord et les États pauvres du Sud peuvent déjà se voir attribuer ou échanger des "crédits Kyoto". C'est un mécanisme dit de "flexibilité" qui autorise les États à vendre et à acheter entre eux des quotas d'émission. Ce qui permet d'arbitrer entre réduction effective des émissions de CO2 ou achat de quotas en fonction du coût des investissements et du prix de la tonne de CO2. Ces crédits sont émis par les Nations Unies, exprimés en tonnes, comme les quotas et correspondent aux émissions de gaz à effet de serre évitées par la mise en place d'un projet propre. Quotas et crédits sont fongibles et peuvent s'échanger les uns contre les autres au même prix.

L'objectif général est de réduire, de 2008 à 2050, les rejets de gaz carbonique de 60 % sur l'ensemble de la planète ; c'est une opportunité par exemple pour les pays du Sud qui auront su reconstituer les réserves forestière, de revendre des droits à polluer aux pays du Nord qui seront en retard. Ce système est à la fois une prime à la vertu et une taxe sur ceux qui pratiquent une mauvaise gestion environnementale.

Signalons toutefois la possibilité de spéculer sur une nouvelle matière première, quelques fonds d'investissement pariant déjà sur la hausse du prix des crédits d'émission de CO2 dans les années à venir. A l'issue de leur période d'investissement, certains remettrons les droits d'émission sur le marché et reverseront la plus-value éventuelle à leurs investisseurs. Les autres redonneront les droits d'émission à leurs investisseurs. Mais la hausse des prix des émissions de CO2 n'a rien de certain : tout dépendra du rythme de la croissance économique mondiale. Si elle reste atone, les actifs carbone pourraient souffrir d'un excès d'offre. Par ailleurs, si le prix du pétrole continue d'augmenter, les sites industriels pourront choisir de rester à l'énergie charbon, très polluante, quitte à payer des pénalités, ce qui n'est pas le but recherché.

Un tel système n'est cependant adapté qu'à de grands acteurs en nombre limité. Il ne concerne pas les consommations dispersées comme les consommations de carburant par les automobilistes ou le chauffage des foyers ou des bureaux. Dans ces domaines qui restent loin d'être négligeables en terme d'émission, il faut continuer à avoir recours à d'autres types d'outils : normes, taxes, incitations fiscales.

L'historique

Les principales initiatives proviennent d'agences gouvernementales ou supranationales. La Banque mondiale crée en 1999, le Carbon Fund premier fons d'investissement de 6 pays et17 entreprises. C'est le premier instrument d'achat de réduction d'émission réunissant 180 millions de dollars.

Une vingtaine d'autres fonds ont été crées depuis, représentant plus de 1,5 milliard d'euros d'investissement, comme le Community Development Carbon Fund, le Fonds carbone européen, lancé par la Caisse des dépôts et consignation (25 millions d'euros) ou l'assureur hollandais Fortis (15 millions d'euros).

Les investisseurs privés sont encore peu nombreux ; ils représentent moins de 30 % des fonds et sont principalement japonais.

Les réactions

Les réactions à ce marché ne se sont pas fait attendre : sidérurgistes et cimentiers se sont clairement opposés à ce marché en agitant la menace d'éventuelles délocalisations vers des cieux plus accueillants. On constate pourtant que, dans le souci de ne pas brider la croissance, les quotas délivrés par les pays de l'Union européenne sont généreux. Ils sont, par exemple, plus élevés pour la France que ce que les industriels français ont effectivement envoyé dans l'atmosphère ces dernières années, ce qui fait que les industriels n'auraient, du coup, pas intérêt à se fournir sur le marché carbone. Mais le patronat français s'oppose par principe à ces mesures, même peu douloureuses à court terme car il n'apprécie pas les contraintes imposées par les pouvoirs publics.

Les "environnementalistes" s'opposent également à ce marché : par exemple, Greenpeace estime trop généreuse une distribution de permis d'émission qui permet d'envisager une économie de 3 millions de tonnes de CO2 alors qu'on estime à 70 millions de tonnes la réduction d'émission de gaz carbonique nécessaire en 2012 pour simplement satisfaire les engagements de Kyoto. Le chemin est encore long et les premières vraies catastrophes climatiques qui pourraient faire changer d'avis les décideurs restent à venir...

Le point de vue des États unis sur la question

L'Union européenne montre t-elle l'exemple au monde entier ? Elle s'est engagée à réduire d'ici à 2012 ses émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % par rapport à 1990. Pendant ce temps, les autorités américaines ont refusé de ratifier le protocole de Kyoto. Peut-on en déduire que la lutte mondiale contre le réchauffement climatique repose sur les seules bonnes volontés européenne et depuis peu russe (les russes ayant conditionné leur engagement sur le protocole de Kyoto à un appui européen sur leur entrée dans l'Organisation Mondiale du Commerce) ?

Avec le refus américain et l'engagement opportuniste des russes, ne doit-on pas supposer que le protocole de Kyoto est caduc, inefficace et que les européens sont manœuvrés par leurs partenaires ?

La hausse des températures attendue d'ici à 2100 en raison de l'effet de serre devrait être comprise entre 1,4° C et 5,8° C. Or, la mise en œuvre du protocole devrait permettre de réduire cette hausse de 0,15° C ! Pourtant, Kyoto a un coût équivalent à 2 % du PIB mondial et selon Björn Lomborg, écologiste danois, il ne fera gagner que six ans sur le réchauffement prévu dans les cent ans à venir. Et si seule l'Europe, responsable de 20 % des émissions, l'applique, les effets concrets seront dérisoires. Par contre, les coûts économiques ne le seront pas. Conséquences : si la croissance économique est soutenue et le plafond des droits d'émission de CO2 est atteint, les industriels délocaliseront les unités de production dans les pays du tiers-monde qui ne sont pas impliqués par le protocole de Kyoto. Puisqu'on ne peut arrêter les évolutions climatiques en dix ans, les dépenses engagées sont inutiles et vaines avec une date buttoir fixée à 2012.

La stratégie américaine devient alors plus lisible. Les États-unis ont rejeté Kyoto, mais ils ont accru leurs efforts de recherche dans de nombreuses directions : énergie de remplacement, traitement des gaz... Au total, ils y consacrent quatre fois plus d'argent que tous les européens réunis. Finalement, pendant que les européens dépensent aujourd'hui, avec une efficacité discutable, les américains investissent. Ils attendent un peu pour agir plus fort. Cette stratégie n'est-elle pas au bout du compte plus efficace, même si elle est suspecte de remettre l'effort au lendemain ?

Force est de constater que le réchauffement mondial ne peut être combattu que par une action commune mondiale et avec un tiers-monde qui demande à consommer et des pays riches qui n'acceptent pas les retours en arrière, un protocole Kyoto 2 pourrait être envisagé qui allie écologie et économie ainsi que environnement et développement. conclusion d'Éric le Boucher, journaliste au journal Le Monde : seul le progrès est la solution aux dégâts du progrès.

Sources :

www.effet-de-serre.gouv.fr : le site de la Mission interministérielle de l'effet de serre

www.europa.eu.int/comm/environment/climat/home_en.htm : la page spécialisée changement climatique de la Commission européenne

Le Monde 4-5/07/2004 - Le protocole de Kyoto est moribond, achevons-le !

Le Monde 25/01/2005 - Le marché des "droits à polluer" commence à susciter l'intérêt de la sphère financière

Le Nouvel observateur 20-26 janvier 2005 - Le CO2 à la corbeille

Alternatives économiques n°233 - février 2005 - Effet de serre : Kyoto ne suffira pas

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