Les auteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du citoyen du 26 août 1789 mentionnaient : « les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits
». L’esprit de la Déclaration était
de montrer l’unicité d’appartenance des citoyens
à une communauté. Dans ce cas-là, la citoyenneté
est surtout civique, elle concerne le rôle du citoyen dans
la vie politique. Quelques années plus tard, la Déclaration
de 1793 souligne un aspect plus social, « la société
doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant
du travail… ». La solidarité devient une des
dimensions de la citoyenneté.
Pour J.J. Rousseau, dans Du Contrat social, en 1762, c’est
le contrat comme « forme d’association »entre
les hommes qui permet la vie commune. Pour Emile Durkheim, plus
d’un siècle plus tard, ce n’est pas le contrat
mais la division du travail, qui par l’interdépendance
qu’elle crée entre les individus, permet la cohésion
sociale et facilite les rapports entre les hommes.
Le mot citoyenneté est polysémique. D’un
point de vue juridique il définit les droits civiques d’un
individu dans un pays, comme le droit de vote, éligibilité
mais aussi la possibilité d’accéder à
la fonction publique. D. Lochak dans Comment définir la
citoyenneté ? Etranger et citoyen, en 1996, relève
que la citoyenneté est un « statut juridique conférant
des droits et des obligations vis-à-vis de la collectivité
publique ». De nos jours, la citoyenneté peut prendre
un aspect plus social (via l'intégration), elle n’est
plus uniquement relative à la vie politique mais tient
compte des conditions d’existence des individus. La citoyenneté
se confond souvent avec la nationalité, même si on
peut réfléchir à une citoyenneté transnationale.
La citoyenneté est inséparable de la vie sociale,
elle participe aux règles de bon fonctionnement dans la
communauté. Elle est liée aux rapports que les individus
établissent entre eux et de l’individu par rapport
à l’Etat ou à des groupes intermédiaires.
Autrui est un autre, le prochain, et dans le cas qui nous intéresse,
il sera fait référence aux relations entre les autochtones
et les immigrés surtout dans le cas français et
depuis la Seconde guerre mondiale.
La citoyenneté donne-t-elle un sens commun aux rapports
sociaux ?
Nous cernerons d’abord les différentes « facettes
» de la citoyenneté et les rapports sociaux qu’elle
permet pour examiner ensuite une citoyenneté plus sociale
qui s’attache à prendre compte les difficultés
d’insertion des individus et des immigrés en particulier.
Ans un texte de 1908, « Digressions sur l’étranger
», Georg Simmel décrit les relations entre l’étranger
et la société susceptible de l’accueillir.
Pour Simmel (dialectique de l'intériorité et de
l'extériorité), l’étranger est «
la personne arrivée aujourd’hui et qui restera demain
». L’obligation ou le désir de rester dans
le pays provoque, de facto, la naissance de relations entre l’immigré
et le pays. A la fin de l’article, Simmel mentionne : «
L’étranger est cependant membre du groupe et la cohésion
du groupe est déterminée par le rapport particulier
qu’il entretient avec cet élément ».
Simmel nous montre ainsi l’importance des rapports sociaux
dans la communauté. Relations qui sont à la base
d’une nouvelle citoyenneté comme le décrit
Catherine Whitol de Wenden.
Dans son article de la revue : Hommes et Migrations, en 1996,
C. Whitol de Wenden aborde ce problème de la « nouvelle
citoyenneté. Une citoyenneté qui ne serait plus
« purement représentative », mais « participative
et collective », liée à une implication effective
dans la vie locale ». Cette « citoyenneté de
proximité », plus proche des individus, montre bien
le souci des pouvoirs publics, mais aussi des associations et
des acteurs eux-mêmes de nouer des relations plus étroites,
basées sur la volonté de vie commune. On désire
abandonner la « tradition assimilationniste » (voir
l'évolution sémantique du terme) pour créer
une citoyenneté en devenir où chacun pourra proposer
son point de vue. Cette détermination est née des
courants franco-maghrébins de la seconde moitié
des années quatre-vingt et en particulier des associations
comme France-plus qui souhaite défendre et promouvoir les
droits civiques.
Ces mobilisations politiques comme le définit F. Chazel
dans un article : " La mobilisation politique " de la
Revue française de science politique en 1975, sont de «
nouvelles identifications », de « nouveaux engagements
». Les Jeunes issus de l’immigration désirent
avoir d’autres rapports avec leur pays, rapports qui sont
plus constructifs, ils définissent ainsi une nouvelle citoyenneté.
Le Haut Conseil à l’Intégration, en 1990,
mais aussi la Commission des Sages, en 1987 relative au projet
de réforme du Code de la nationalité, ont auditionné
les Jeunes issus de l’immigration pour écouter leurs
projets.
C. Whitol de Wenden, définit la « nouvelle citoyenneté
» comme une « citoyenneté de résidence
», c’est-à-dire que ce qui compte n’est
plus le rapport à la nationalité et à ses
droits mais le lieu géographique d’habitation. La
résidence est la condition d’accès aux droits
et aux devoirs. Le fait d’habiter un endroit est créateur
de lieu social, de rapports avec l’environnement économique,
politique et social. Cette citoyenneté est aussi «
participative » mais les rapports avec l’Etat ne sont
plus du haut vers le bas de la hiérarchie mais c’est
l’inverse, c’est une participation « par le
bas ». Cette citoyenneté a la volonté d’établir
des rapports de « négociation collective ».
C.Whitol de Wenden reconnaît aussi que cette nouvelle citoyenneté
subit les difficultés de rapprochement entre des mondes
qui sont souvent lointains comme le quartier, l’Etat ou
l’Europe et l’espace local.
Nous avons vu que la citoyenneté pouvait revêtir
plusieurs aspects, une citoyenneté participative, collective,
de proximité ou de résidence, il serait intéressant
d’exemplifier notamment dans le domaine de l’immigration.
Jocelyne Cesari, dans un article : « Citoyenneté
et acte de vote des individus issus de l’immigration maghrébine
» retrace les mouvements des droits civiques. Elle montre
qu’un des premiers actes de passage à la citoyenneté
est l’inscription sur les listes électorales. Ce
rite est le premier rapport entre un individu issu de l’immigration
et l’accession à la citoyenneté. Il nécessite
de faire des démarches préalables et est souvent
concomitant à l’obtention de la nationalité.
J. Cesari relève que les jeunes sont souvent distants vis-à-vis
des institutions politiques et que la démarche d’inscription
sur les listes électorales ne se fait pas. Les rapports
administratifs, qui sont à la base des rapports sociaux
ne se font pas. Les jeunes sont réticents et ont un «
sentiment d’exclusion qui favorise l’inertie et la
passivité ». Cependant pour ceux qui sont généralement
plus âgés, l’accès à la citoyenneté
civique est une « volonté de rupture ».
En effet, l’individu ne souhaite plus être considéré
comme immigré ou « assisté et objet de la
politique », mais comme citoyen à part entière
ayant des droits et des devoirs. Il veut ainsi établir
de nouveaux rapports non plus d’assistance ou d’entraide,
mais les mêmes que les autres. L’accès à
la citoyenneté marque de nouveaux rapports avec autrui
d’égal à égal. La citoyenneté
effacerait ainsi toutes différences, en particulier dans
la vie civique. C’est par exemple le cas pour l’association
France plus, relevé par J. Cesari, qui se présente
comme une association de « citoyens français d’origine
maghrébine » et non comme une association d’immigrés.
Le mouvement associatif dans le domaine de l’immigration
nous montre bien que la citoyenneté revendiquée
est un moyen d’obtenir une égalité de rapports
avec autrui.
J. Cesari note aussi d’autres problèmes, le souci
des individus issus de l’immigration d’apparaître
comme des « interlocuteurs légitimes ». Ils
refusent toute « immigritude ». la montée d’une
opinion raciste peut conduire ceux qui sont issus de l’immigration
à s’inscrire et à voter contre ces courants
xénophobes. Quand le rapport à autrui se «
durcit », l’accès à la citoyenneté
se fait plus pressant. La citoyenneté est un enjeu, notamment
face au Front national.
Les rapports sociaux modifient la citoyenneté notamment
pour ceux qui sont issus de l’immigration. De plus, l’accès
à la citoyenneté est une marque d’égalité
dans les rapports, les immigrés ne souhaitent pas être
l’objet d’un enjeu politique qui ne leur appartient
pas.
Dans Avis et Rapports du conseil économique et social,
en juillet 1996, on peut relever trois types de citoyenneté.
Une citoyenneté politique rattachée à la
dimension civique, vote et éligibilité en particulier.
Une citoyenneté territoriale qui concerne l’aménagement
du territoire national. Une citoyenneté économique,
sociale et culturelle qui s’intéresse aux «
liens sociaux choisis ou rendus nécessaires ». Cette
dernière nous intéresse, elle met en avant la nécessité
de la réflexion pour redéfinir les rapports aux
autres dans une société en crise. C’est notamment
le cas en Europe.
Comme le souligne S. Milano dans Le Revenu minimum garanti dans
la CEE, le système européen combine trois sources
de droits : le travail qui permet de gagner sa vie, la solidarité
sociale et la citoyenneté. La citoyenneté est le
« pôle politique d’une protection sociale »
et permet à chaque membre de la Cité de vivre dignement.
Le revenu minimum d’existence (revenu minimum d’insertion
en France ou allocation de subsistance en Allemagne), permet de
garantir, même à la marge, à ses bénéficiaires,
les moyens de subsistance. Le RMI (revenu minimum d’insertion)
est un droit à disposer d’un minimum de ressources
pour toute personne en état de besoin. Le RMI donne droit
à la couverture sociale et à l’allocation
logement. Mais c’est aussi un droit conditionnel, c’est-à-dire,
qu’il implique d’accepter une activité d’insertion
sociale ou professionnelle. Le bénéficiaire s’engage
pour définir un projet d’insertion avec l’administration.
Pour en bénéficier, les étrangers doivent
être titulaires d’une carte de résidence d’au
moins trois mois.
Cet exemple montre bien la volonté d’élargir
les bases de la citoyenneté, elle n’est plus seulement
civique mais devient surtout sociale. Cette citoyenneté
sociale permet de construire et d’établir de nouveaux
rapports avec autrui, et avec les immigrés en particulier.
Les Pouvoirs publics veulent permettre à tous ceux qui
sont dans le besoin de vivre avec un minimum vital. Des rapports
d’établissent entre l’Etat, les collectivités
locales et les « rmistes » en particulier. On constate
que la population immigrée est fortement touchée
par ce problème.
Le Haut Conseil à l’Intégration publie en
1993 le résultat de ses audiences et réflexions
dans un ouvrage : L’Intégration à la française.
Il remarque, en particulier, qu’il faut « rendre solidaires
les différentes composantes ethniques et culturelles de
notre société ». Il montre bien par là
la nécessité de l’intégration dans
notre société, mais aussi la volonté d’établir
des relations de solidarité entre les différentes
communautés qui s’installent dans la société.
La citoyenneté purement civique ne suffit plus, encore
faut-il qu’elle soit mise en actes. Les rapports avec les
populations d’origine immigrée intègrent une
dimension plus sociale et notamment en faveur de ceux qui sont
défavorisés.
C’est la question posée par D. Schnapper, dans son
livre en 1992 : L'Europe des immigrés, comment peut-on
accéder à l’ "exercice de la véritable
citoyenneté démocratique" dans disposer d’un
minimum de revenus ?
Par l’intermédiaire des différentes allocations,
l’Etat permet aux immigrés de s’intégrer
et d’établir des rapports d’égalité
avec les autres. Des relations s’établissent entre
l’Etat et let minorités et ces mêmes relations
sont créatrices d’autres relations entre les minorités
et les autres groupes de la population.
C’est notamment le cas en ce qui concerne le DSQ (Développement
social des quartiers) créé par la Commission nationale
pour le DSQ. Ces structures de « concertation et de médiation
dans les quartiers d’habitat social », comme le souligne
M. Blanc dans le livre : Vie quotidienne et démocratie,
en 1994, permettent d’officialiser et de rendre possible
la création de relations entre les différents individus
d’un quartier. La mise en place d’une structure, d’une
« petite » institution, est une condition nécessaire,
peut-être insuffisante, de création de liens sociaux
qui permettront l’exercice d’une véritable
citoyenneté. M. Blanc relève aussi un effet pervers
de cette nouvelle structure, c’est le passage d’une
« concertation réelle » à une «
concertation idéale ». Les individus en restent au
niveau des conjectures sans passer à l’acte.
Le terme citoyenneté est difficile à définir,
il recouvre différents sens et peut être employé
pour décrire des situations sociales diverses. Néanmoins,
nous voyons apparaître une citoyenneté qui ne serait
plus simplement civique rattachée aux droits et aux devoirs
du citoyen mais aussi fortement sociale. Cette citoyenneté
qui dépasserait même le cadre national, c’est
notamment le cas en Europe, est créatrice de lien social.
Ces liens montrent la prise en compte de la reconnaissance d’autrui,
des rapports s’établissent entre les individus, les
groupes ou communautés et les Pouvoirs publics. La citoyenneté
sociale est créatrice de rapports sociaux, c’est
une condition nécessaire, il serait intéressant
de s’interroger si c’est une condition suffisante.
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