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Les crises bancaires des années 80 et 90 : enjeux et enseignements pour la stabilité des systèmes financiers

Les 100 milliards de francs de pertes du Crédit Lyonnais, les 1200 milliards des Caisses d’Epargne américaines, les 90 milliards pour la Nordbanken en Suède, montrent que nous avons connu, ces dernières années, de nombreux déboires dans le domaine bancaire. Les pays d’Asie du Sud-Est connaissent aussi de multiples échecs dans la banque en particulier. Un article du journal Le Monde de novembre 1997 explique le processus de défaillances bancaires. Les banques « imprudentes » investissaient trop sur certains actifs : par exemple l’immobilier dans les années quatre-vingt, créant ainsi des bulles spéculatives. Un ralentissement dans le secteur ou un choc de nature exogène pouvaient arrêter la croissance et mettre en faillite de nombreux participants. Les analyses de Keynes sur le mimétisme des marchés se retrouvent en filigrane dans ce genre d’approche du problème des crises bancaires et monétaires. A la phase d’euphorie succède une période de crise, d’attentisme, et aussi d’assainissement. D’après cet article, le coût des crises bancaires en France, entre 1992 et 1996, a été estimé à 300 milliards de francs, supportés par la collectivité et le contribuable en ce qui concerne le passif du crédit Lyonnais.

La crise en général, bancaire en particulier, est une période de dépression durable de la conjoncture économique. Elle se manifeste par un retournement du cycle économique, interrompt la phase d’expansion et engage ici le domaine bancaire dans la dépression. Nous étudierons les crises bancaires dans les principaux pays industrialisés, pour une période couvrant les décennies quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Les crises bancaires sont intervenues dans les marchés financiers. Ces derniers doivent être compris comme un ensemble permettant l’agencement des dettes et des créances réparties entre différents acteurs. La banque centrale, les entreprises, les ménages et les banques commerciales sont des agents des systèmes financiers.

La crise bancaire récente, par exemple au japon, peut-elle servir de leçon aux autres pays industrialisés ? Les causes des crises sont-elles toujours les mêmes ? Peut-on s’entendre sur une théorie explicative de ces phénomènes ?

Pour répondre à ces questions nous verrons d’abord les différentes écoles de pensée qui ont théorisé sur les crises, pour nous intéresser ensuite aux solutions proposées pour éviter les crises, pour enfin s’attacher aux mécanismes mis à jour dans le cas de la crise récente des pays du Sud-Est asiatique.

Les crises bancaires des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont été étudiées par différents courants de la pensée économique. Chaque école essaie de tirer des enseignements d’une crise bancaire et peut influencer les acteurs politiques du moment. Les solutions proposées sont des choix politiques et constituent en ce sens un enjeu essentiel de la vie sociale.

L’école des marchés parfaits et des anticipations traditionnelles base son analyse des crises bancaires en particulier, sur les problèmes dus aux chocs exogènes aléatoires, donc sur une difficile prévisibilité des phénomènes. Ils introduisent le concept de rationalité et en particulier celui des anticipations rationnelles. Il est difficile pour un individu intervenant sur un marché de connaître l’ensemble des informations, par contre on peut essayer de prévoir à l’aide de calculs de probabilités les chances de connaître une crise financière.

L’école monétariste qui s’inscrit dans ce courant de pensées donne une explication des crises bancaires par le risque de liquidité des banques. Après un choc exogène, les épargnants voudront retirer leurs dépôts et cela d’autant plus vite que la confiance diminuera. La crise thaïlandaise s’explique par cette approche. Le baht avait une parité fixe avec le dollar quand les Thaïlandais ont pris conscience de la gravité de la crise, ils ont souhaité échanger leur monnaie contre des dollars, créant de facto une crise de liquidité. Les banques ayant des avoirs en change inférieurs aux dépôts. Le rationnement se fait par les quantités plutôt que par les prix. Les explications permettent de comprendre les crises bancaires notamment celle récente survenue au japon et dans les pays de l’Asie du Sud-est. Les enjeux sont importants dans ce cas-là puisque le rationnement par les quantités conduit à une restriction drastique des crédits. Les capitaux privés sont passés de 90 milliards de dollars en 1996 à un déficit de 6 milliards en 1997. La pénurie de capitaux entraîne un fort ralentissement de l’économie.

L’analyse en termes d’asymétrie d’information complète ces explications, notamment pour la Corée. La mauvaise connaissance de la participation extérieure de ce pays a créé une incertitude sur les marchés. Les coûts de transaction sont importants, un acteur non solvable peut perturber l’ensemble du marché. Une crise bancaire peut survenir suite à la non connaissance de l’ensemble des informations.

Dans de nombreuses crises bancaires, on remarque souvent la formation de bulles spéculatives. Les analyses de Keynes sur l’économie-casino peuvent s’appliquer, les agents font tous des choix plus ou moins identiques, en cas d’échec, les blâmes seront partagés par l’ensemble des membres de la communauté financière. Les individus se détachent de la connaissance de la valeur réelle des actifs pour ne s’intéresser qu’à la rentabilité des placements boursiers. Les moments d’euphorie ont entraîné de nombreuses banques à prendre des risques injustifiés.

Les mécanismes liés aux bulles spéculatives se retrouvent souvent dans les analyses des crises bancaires des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Les économistes peuvent en tirer des enseignements pour la communauté scientifique. Le gonflement de la bulle spéculative entraîne une diminution progressive des fonds propres et une augmentation des crédits. Au départ, le service de la dette est couvert par les revenus d’exploitation des sociétés, puis dans un second temps il ne couvre que le paiement des intérêts, le remboursement du capital ne se fait que par la vente d’un actif ou d’un nouveau prêt. On assiste à la montée en puissance de mécanismes pyramidaux, le processus ne peut se poursuivre que dans la mesure où de nouveaux entrants accèdent au marché. La confiance finit par diminuer, la bulle éclate, "les intervenants veulent retrouver leur capital et la panique s’installe. Les banques les plus solides peuvent se maintenir mais les plus fragiles doivent fermer boutique". Cette frénésie financière peut expliquer les crises bancaires récentes, notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est.

L’évolution du système monétaire international, depuis le début des années soixante-dix, témoigne d’une plus grande libéralisation. Depuis le passage du régime de changes fixes à un régime de changes flottants, nous n’avons plus de points d’ancrage comme le fut le régime de l’étalon-or et le système de Bretton Woods. De plus, le développement de l’informatisation, l’interconnexion des bourses financières, une monnaie fiduciaire et scripturale, la multiplicité des régimes de change rendent le système monétaire international instable et imprévisible. Mis à part l’Accord de Plaza en 1985 et deux années plus tard l’Accord du Louvre, la concertation internationale fut faible pour limiter les risques de changes à moyen terme.

Néanmoins on assiste à la création du Comité de Bâle en 1974 qui fut chargé au départ de réguler l’activité internationale entre établissements prêteurs et emprunteurs. En 1988, les pays membres de ce comité mettent au point un accord sur les fonds propres pour définir un nouveau point d’ancrage d’une politique de coopération monétaire. Ce souci partagé de régulation monétaire a pour principal objectif d’éviter les crises bancaires et fait suite en particulier à la faillite de la banque Herstatt. Cette stratégie passe par la mise au point de normes prudentielles, notamment l’accord précité sur les fonds propres. Il impose un ratio global minimal de détention de fonds propres. Le rapport Cooke en 1988, s’inscrit dans cette démarche afin de renforcer les fonds propres pour éviter aux banques des engagements trop risqués. L’Accord de Bâle ne s’occupe que du risque de crédit. D’autres initiatives ont vu le jour et on peut citer notamment : en 1992, l’instauration de normes minimales pour le contrôle de groupes bancaires internationaux et aussi un amendement à l’accord sur les fonds propres de 1988, en 1992.

Diverses mesures, recommandations ou normes, permettent de prévenir essentiellement les risques de crédits. Ces actions ont fait suite à la montée en puissance du système monétaire international. Elles s’attachent en particulier aux risques de crédits et de liquidités encourus dans les transactions financières. Elles essaient de prévenir aussi les faillites bancaires comme celles de la banque Drexel Burnham Lambert en 1990, ou plus récemment la banque Barings en 1995.

A un niveau macroéconomique, on assiste aussi à la mise en plan de systèmes prudentiels visant à prévenir les risques bancaires. C’est en particulier le rapport Lamfalussy en 1990 sur la compensation interbancaire. Ce système prévoit des normes minimales pour le fonctionnement dans la compensation multidevises. Si un acteur fait défaut dans le règlement, le système se substitue au paiement manquant. De même, à partir de 1986, le GIO (dix principaux pays industrialisés), met en place une série de feuillets mettant en garde dans les règlements des opérations sur titres. Par exemple dans cette dernière, la livraison des titres se fait contre paiement (LCP), ce qui permet de fiabiliser les relations entre vendeurs et acheteurs. On voit par là le rôle essentiel des banques centrales qui sont chargées de contrôler le système monétaire mondial. Les crises bancaires ont suscité la réflexion et la concertation entre différentes instances, notamment les banques centrales. Le cadre institutionnel résultant a évolué en fonction, en particulier, des défaillances bancaires. Dans l’ancien système, de l’étalon-or, il y avait un double ancrage nominal et financier, ce qui permettait de réduire les crédits. Dans le nouveau système, des normes prudentielles se mettent en place. Des enseignements, suite aux crises bancaires, sont tirés pour accroître la stabilité des systèmes financiers.

Les bulles spéculatives entraînent une déconnexion entre sphère réelle et sphère monétaire. On constate une augmentation de la vitesse de circulation de la monnaie, ou pour les Anglosaxons, l’apparition d’un phénomène d’overtrading. La circulation monétaire augmente dans les marchés financiers et diminue dans la sphère réelle. La capitalisation boursière augmente et de facto, fait diminuer le pouvoir d’achat du stock de monnaie, le prix des titres des sociétés cotées s’enflamme par rapport aux liquidités réellement disponibles. Les liquidités deviennent de plus en plus rares relativement aux apparences données par l’activité des marchés financiers. Ce sont les prêts qui font les dépôts, les banques pendant ces périodes peuvent s’engager dans une distribution de crédits peu rigoureux. Les sociétés, quant à elles, prennent des risques, la rémunération sur les marchés financiers leur rapportant plus que la vente de leur production. De plus, cette augmentation des demandes de fonds peut entraîner des déséquilibres sur le marché des fonds prêtables.

Un choc exogène peut provoquer une crise de confiance comme le pensent les économistes classiques ou d’une manière plus endogène comme le suggèrent des économistes moins orthodoxes. Les marchés à terme introduisent des éléments perturbateurs dans l’appréciation de la valeur réelle des actions, il y a des problèmes d’asymétrie entre hausse et baisse des prix. Les professionnels auront tendance à vendre rapidement pour limiter les pertes, comprenant que le marché est devenu baissier. La baisse des titres devenant plus rapide que leur ascension. L’effet de levier peut jouer et amplifier les pertes des acteurs financiers. Les crises bancaires des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix peuvent trouver des explications dans ces phénomènes. Ces enseignements serviront-ils les acteurs pour mieux orienter leurs décisions futures ou essayer d’organiser plus rationnellement le marché ?

La crise bancaire récente des pays d’Asie du Sud-Est nous montre après-coup les erreurs d’une crise qui se révéla systémique. L’exemple des banques coréennes est à ce titre démonstratif d’une mauvaise gestion et de prises de risques peu contrôlées. Malgré les recommandations de la BRI (Banque des règlements internationaux) pour la constitution de normes de fonds propres, le système bancaire coréen était vulnérable, notamment dans la distribution des crédits.

Les banques coréennes ont beaucoup prêté aux entreprises, en particulier les chaebols cette concentration des crédits dans ce secteur a participé à l’augmentation des risques. De plus, elles ont fortement investi dans le marché monétaire et obligataire, s’obligeant à prendre d’autant plus de risques que la rentabilité diminuait. Ces deux causes expliquent, en partie, la crise bancaire coréenne.

Les difficultés des grands conglomérats ou chaebols ont eu des répercussions dans le système bancaire. En novembre 1997, les banques ont proposé un moratoire de deux mois pour leurs créances. Mais cette solution fut insuffisante, les chaebols n’ont pas pu redresser la situation. Un Fonds de liquidation des prêts improductifs a été mis en place pour s’occuper des créances douteuses. Cette société coréenne de gestion des actifs appelée KAMCO a permis aux banques de se restructurer. C’est un des enseignements de la crise bancaire qu’a connue la Corée pour répondre au besoin d’assainissement du secteur. D’autres pays ont adopté la même solution, c’est-à-dire : la mise en place d’institutions chargées du recouvrement de prêts compromis afin d’éviter aux acteurs eux-mêmes, les banques, de faire ce travail.

Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix sont marquées par une période de désinflation et sur le plan de la politique économique d’un retour au libéralisme. Les Etats-Unis, en particulier, ont entrepris dès 1979 avec Paul Vocker à la tête de la Fed, cette nouvelle politique. Le monétarisme supplante le keynésianisme, l’inflation est maîtrisée dans les pays occidentaux, notamment par la limitation de la création de monnaie centrale ; ce qui a pour répercussions d’augmenter les taux d’intérêts réels, de réduire les marges des entreprises qui préfèrent s’autofinancer, d’obérer de charges financières les emprunteurs dont notamment les pays en développement qui ne peuvent rembourser, d’amplifier le chômage et plus généralement la pauvreté. Il en résulte une augmentation des crises bancaires. Ces crises ont de nombreuses causes, on peut citer un retournement de conjoncture dans certains secteurs comme l’immobilier, la difficulté de recouvrer des créances douteuses, des normes prudentielles non respectées, un ancrage sur une monnaie forte comme le dollar, la multiplication des moyens de communication et d’interconnexion… Des institutions internationales essaient de se mettre en place et de tirer partie des conséquences des crises pour trouver des enseignements pour la stabilité des systèmes financiers.

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