LA CAPACITE D’INNOVATION DANS L’OFFRE
DE CREDIT DES BANQUES FRANCAISES ET ANGLAISES (1840-1981)
Dans le haut Moyen Age, l’Eglise catholique condamne le
prêt à intérêt, ce qui permet aux banquiers
étrangers de s’occuper de la gestion de la monnaie.
Les Israélites et les Lombards peuvent ainsi faire des
crédits aux commerçants et industriels en particulier.
La lettre de change fut introduite et facilita les échanges,
notamment quand le commerce international se développa.
Les banquiers italiens furent les premiers à utiliser la
lettre de change pour régler leurs dépenses par
une reconnaissance de dette. La lettre de change fut à
la fois un moyen de paiement et un instrument de crédit.
Celui qui l’accepte en paiement peut aussi l’endosser.
La qualité de la signature est un gage sur le futur règlement.
L’usage de la lettre de change dans l’Europe des marchands
fut à l’origine des prémices du réseau
bancaire et des échanges financiers internationaux. De
nos jours cette pratique est nettement moins usitée et
remplacée par des échanges, notamment scripturaux,
qui permettent d’effectuer des règlements par simple
jeu d’écriture. L’offre de crédit est
réalisée par les banques ou des établissements
parabancaires ; elle consiste à accorder un prêt
à un débiteur, d’un créancier (en général
la banque) en échange de la promesse d’un paiement
différé de la contrepartie, majoré d’un
intérêt. Nous étudierons cette offre de crédit,
en nous intéressant aux banques anglaises et françaises,
pour une période allant de 1840 à 1981.
Cette offre de crédit évolue-t-elle, fait-elle
preuve d’innovations ? Pour répondre à ces
questions, nous nous intéresserons au cas français
et anglais pour le XIXe siècle, pour ensuite aborder les
évolutions et changements du XXe siècle.
Pendant les années 1830-1860, les entreprises n’ont
pas systématiquement recours au crédit, elles s’autofinancent
en partie ou font appel à des capitaux familiaux. De plus,
les relations entre négociants et entrepreneurs leur permettent
de s’accorder mutuellement sur les délais de paiement.
Cependant on peut noter la participation des banques dans l’essor
des entreprises, notamment en leur accordant des avances et crédits
à court terme. Elles pratiquent la « commandite industrielle
», c’est-à-dire que la société
regroupe deux sortes d’associés, ceux qui la dirigent
et les commanditaires qui apportent du capital (les banques) et
qui sont tenus dans les limites de leurs apports. C’est
l’exemple de la banque Seillière qui fournit des
crédits à l’entreprise de Wendel et plus tard
à la famille Schneider. Certaines banquiers créent
eux-mêmes leurs entreprises comme nous le montre l’exemple
de la maison de Haute Banque des Rothschild qui fonda une compagnie
ferroviaire : la compagnie du Nord en 1840.
Néanmoins on remarque que pendant cette période,
les banques en général ne s’engagent que dans
le court terme et restent prudentes pour des avances de fonds
plus longues. C’est pendant le Second Empire que les évolutions
se feront et surtout quand les grandes entreprises bancaires se
formeront dans les années 1860-1870. Il faut remarquer
aussi de fortes disparités à la fois régionales,
industrielles et suivant le type de secteurs.
Jean Bouvier, dans son livre : Le Crédit Lyonnais de 1863
à 1882 (1961), remarque les plaintes des petites et moyennes
entreprises en ce qui concerne la distribution des crédits
pendant cette période. En effet, les directeurs d’agences
pratiquent une politique « sélective des crédits
» d’autant plus contraignante que les entreprises
en ont besoin pour assurer leur développement. «
La logique de la gestion de l’entreprise exige précisément
que la banque réserve ses opérations aux moments
où l’organisme économique la sollicite davantage
». Les banquiers sont d’autant plus prudents que le
chef d’entreprise est l’unique propriétaire
de sa société. En cas de faillite, celle-ci fait
disparaître avec elle les emprunts préalablement
contractés. « Le fondateur n’a ni seconds,
ni répondants. Sa comptabilité est d’ailleurs
trop fréquemment malsaine ». J. Bouvier note aussi
la méfiance réciproque entre prêteurs et emprunteurs,
les uns cherchant à contrôler les finances, les autres
ne voulant pas céder leurs prérogatives de chefs
d’entreprise. La politique de crédit pendant les
décennies soixante et soixante-dix ne convenait pas aux
petites et moyennes entreprises. De plus, l’ "impératif
de sécurité", les « règles d’or
» du président Germain font que le Crédit
Lyonnais ne souhaite pas développe et prendre des risques
dans des opérations industrielles. De nombreuses banques
de l’époque préfèrent investir, par
exemple sur les marchés internationaux des capitaux comme
le souligne J. Bouvier, c’est « l’époque
de l’exportation du capital ».
En Angleterre, l’organisation du système financier
est différente. En effet, sur la place de Londres s’organise
dans les années 1890-1970, un marché interbancaire
important qui permet de dynamiser le rôle des banques. Les
banques d’escompte ou discount houses comme The Union Discount
Company sont des intermédiaires importants dans le marché
de l’argent au jour le jour. De plus, les courtiers d’escompte
ou bill bookers, se chargent des effets de commerce à escompter.
Ce marché va de pair avec l’activité des grandes
banques de dépôts ou Clearing banks (Big Five) qui
participent au mouvement de concentration.
Pendant cette période, en Angleterre, le crédit
bancaire reste la plus importante source de financement externe.
Les banques font peu appel aux marchés financiers et à
l’émission de titres. Elles n’assurent pas
la cogestion des entreprises dans lesquelles elles avancent des
fonds mais, en général, se contentent de contrôler
les bilans, d’où une approche bilantielle. Pendant
les périodes de récession, le renouvellement des
découverts permet aux banques anglaises de tendre vers
une pratique germanique de « banques mixtes ». Le
renouvellement à court terme des découverts est
un usage courant en Angleterre.
Il faut noter, en France, l’apport essentiel pour l’activité
économique des entreprises, des banques régionales.
L’exemple des villes de Nancy et Grenoble montre bien que
les banques locales ont participé au développement
industriel. Ces institutions ont pour atouts d’être
proches des sociétés qu’elles souhaitent aider.
La proximité facilite les relations.
De plus, on constate à partir des années 1910-1920,
une pratique de l’escompte qui s’amplifie, sauf pendant
la Première guerre mondiale où l’on privilégie
le paiement comptant. L’escompte participa au développement
de l’activité économique et le réescompte
fut assuré par la Banque de France. La pratique de l’escompte
sur une durée courte de trois mois permettait de limiter
les risques et apportait des liquidités à une clientèle
importante. L’escompte sert pour la trésorerie courante
des entreprises.
Déjà, dès 1848, des réformes ont
permis de relancer le crédit et la consommation. En effet,
comme le souligne M.Lévy-leboyer dans : Histoire économique
et sociale de la France, les Pouvoirs publics ont créé
des comptoirs nationaux d’escompte pour remédier
au problème des remboursements, surtout si les créanciers
souhaitent retrouver rapidement leur mise de fonds. Plus d’une
soixantaine de comptoirs nationaux d’escompte furent fondés.
Le capital de ces institutions était partagé entre
l’Etat, la ville et les particuliers. Les effets de commerce
à deux signatures devaient être escomptés
entre 60 et 105 jours au maximum. Ce système financier
a fonctionné avec efficacité, le chiffre d’affaires
s’est élevé, entre 1848 et 1850 à plus
de 350 millions de francs.
Le XIX siècle est marqué par l’escompte,
mais les transactions restent moindres que dans le siècle
suivant. L’autofinancement, la prudence des banquiers, font
que le développement du crédit et surtout les innovations
se feront au XXe siècle.
De plus, dès 1919, avec la création de l’Union
pour le crédit à l’industrie nationale (Ucina),
parallèlement à l’escompte, se développe
le crédit à moyen terme. Cette institution pratique
d’une part un escompte qui dépasse les trois mois,
c’est par exemple le cas lors de la création de la
DIAC (Diffusion industrielle et automobile par le crédit),
par l’entreprise Renault qui par l’intermédiaire
de l’Ucina fait escompter les traites sur six mois à
d'autres filiales de grandes banques comme par exemple la CALIF
(Crédit à l’industrie française) pour
la Société générale ou l’Union
bancaire du Nord pour le Crédit du Nord, feront du crédit
à moyen terme notamment à partir de 1928. Cependant
ces financements apparaissent plutôt comme des compléments
que comme la source principale du financement.
C’est après la Seconde guerre mondiale que le crédit
à moyen et long terme se développera véritablement
en France. A l’aide du refinancement par la banque de France,
les entreprises peuvent disposer de crédits et prendre
ainsi plus de risques. Les banques commerciales prennent moins
de risques de trésorerie en ayant la banque centrale comme
payeur en dernier recours. Ces crédits atteignent un maximum
de 20 % des crédits à l’économie en
1958. De plus, le Crédit national qui bénéficie
d’une partie des fonds du plan Marshall, assume une mission
de service public de financier du crédit à moyen
et long terme. Il distribue des prêts en direct et réescompte
aussi d’autres prêts de banques commerciales. Parallèlement,
les Banques populaires, le Crédit Agricole, participent
au lancement des crédits dans l’économie française.
De plus, l’Etat, avec les prêts bonifiés pour
lesquels il concourt à un certain niveau, permet le développement
du pays.
André Gueslin dans son livre : Histoire des crédits
agricoles (1984) montre, contrairement à l’exemple
du Crédit Lyonnais et à un siècle de différence,
une politique bien différente. L’auteur a fait une
thèse sur l’histoire des Crédits agricoles
pendant une longue durée, allant de 1910 à 1970.
Il montre l’originalité de ces institutions qui évoluent
entre le contrôle toujours présent de l’Etat
et la volonté d’en faire des institutions mutualistes.
Les Crédits agricoles ont permis à l’agriculture
française, notamment pendant la période des Trente
glorieuses de l’après-guerre, de se développer
en prenant en compte la diversité régionale du monde
agricole. André Gueslin souligne l’évolution
des Crédits agricoles et remarque notamment que «
désormais à l’emprunt ex-port, ou à
l’emprunt hypothécaire pour la terre, se substitue
d’une façon structurelle l’emprunt pour investir.
L’institution aide plus ou moins consciemment cette «
fuite en avant » par le Crédit. Cette banque décentralisée
et proche de ses clients arrive à délivrer des crédits
rapidement à l’aide de la souplesse des mécanismes
malgré une certaine lourdeur du fonctionnement de l’institution.
Les innovations dans le domaine du crédit s’accentuent
au cours des années soixante en France. C‘est la
création du crédit bail ou leasing qui permet de
financer une partie des emplois des entreprises. C’est une
forme de location portant sur des biens à usage professionnel
et dont le locataire (l’entreprise), peut devenir propriétaire
au terme du contrat. La Société générale
crée la Sogébail et le Crédit lyonnais Sliminco.
En outre, cette période voit aussi le développement
de l’affacturage (ou factoring) qui consiste à faire
recouvrer les créances d’une entreprise par un organisme
de contentieux extérieur à elle. Le recouvrement
des créances de l’entreprise est rémunéré
par un intérêt, l’entreprise reçoit
le montant des factures diminué de cet intérêt.
C’ est une avance d’argent qu’elle peut utiliser
pour continuer son activité économique. La SFAC
(Société française d’assurance crédit)
est représentative de cette activité en France,
comme par exemple : Forward Trust en Angleterre. De plus Outre-manche,
des banques « secondaires », les Secondary Banks ou
Fringe Banks se spécialisent dans les crédits aux
promoteurs immobiliers en particulier.
Dans les deux pays, surtout après la Seconde guerre mondiale
se mettent en place des crédits pour stimuler les exportations.
Les crédits export qui ne sont pas soumis à l’encadrement
du crédit des années soixante et soixante-dix, aident
les entreprises à conquérir des marchés étrangers.
La COFACE, en particulier, surveille et participe aux opérations
financières avec l’extérieur. Une banque comme
Paribas fait aussi des avances aux sociétés françaises,
notamment par le biais de prêts à moyen terme, réescomptables
auprès du Crédit national.
Le Crédit est un moyen essentiel du financement de l’économie.
Il a un coût qui est à la charge du débiteur,
en effet, sa dette sera majorée d’un intérêt.
Au XIXe siècle, le crédit était financé
par une épargne préalable, de nos jours, des banques
commerciales ont le pouvoir de création monétaire
nette. Une banque accorde ainsi un crédit à son
client par le simple jeu d’une écriture sur une ligne
de comptes. La banque crée ainsi de la monnaie scripturale
en créditant par un prêt le compte d’un client.
La durée des crédits varie ; ils sont courts, moyens
ou longs suivant la relation de confiance, le taux d’intérêt
et les différentes facettes du contrat. Ils ont des destinations
différentes : équipement, consommation, immobilier,
exportation et les banques, surtout depuis le début des
années soixante-dix font preuve d’innovations. Le
crédit a fortement évolué, depuis la relation
d’escompte au XIXe siècle jusqu’aux différentes
formes des crédits contemporains. Il a su accompagner le
développement économique et financier des deux pays.
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