SELON VOUS, L’INTERMEDIATION PERMET-ELLE
D’AMELIORER L’EFFICACITE DES SYSTEMES FINANCIERS POUR
PROMOUVOIR LA CROISSANCE ECONOMIQUE ?
Le « credit crunch » terme anglo-saxon, désigne
une contraction volontaire de l’offre de crédits
des banques. En effet, en période inflationniste, la banque
centrale via les banques de second rang peut décider d’agir
sur les taux d’intérêt. Cette action se fait
à l’aide des taux d’intervention de la Banque
centrale et des taux d’escompte. Elle peut aussi diminuer
l’offre de crédits en jouant sur les liquidités
bancaires que doivent détenir les banques commerciales
sous forme de réserves obligatoires. Cet exemple nous montre
le rôle des banques dans une économie plutôt
qualifiée d’endettement où la médiation
entre créditeurs et emprunteurs se fait au sein de celles-ci.
Cependant le système financier évolue et se mondialise
; en effet, selon la BRI (Banque des Règlements Internationaux),
le montant des transactions financières internationales
est cinquante fois plus important que la valeur du commerce international
portant sur les marchandises et les services. Une plus grande
dépendance des économies avec l’étranger
modifie les fonctions des systèmes financiers. Ceux-ci
peuvent se définir comme l’agencement des dettes
et des créances réparties entre différents
acteurs, dont notamment : la Banque centrale, le système
bancaire, les entreprises et les ménages. Les systèmes
financiers varient suivant les pays et les époques. De
nos jours, le modèle est une économie de marchés
financiers qui recourt à la finance directe. Pendant longtemps,
la France a adopté un système d’économie
d’endettement où prédominaient les financements
intermédiés sur les financements directs. L’intermédiation
peut se définir comme une situation dans laquelle la banque,
en général, collecte des ressources et effectue
des prêts entre déposants et débiteurs. On
peut mesurer cette action par le taux d’intermédiation
par rapport au total des crédits des institutions financières
dans le total des emprunts. L’intermédiation financière
concourt à l’allocation des ressources et par là
même à la croissance économique, c’est-à-dire
à une augmentation quantitative d’un indicateur,
généralement on prend le PIB (Produit intérieur
brut). L’intermédiation est-elle une source d’efficacité
des systèmes financiers ? Cette notion d’efficience
d’un marché financier peut se définir par
l’analyse de James Tobin. Il distingue, en effet, quatre
significations d’efficacité ou d’efficience
des marchés financiers : l’efficience en matière
d’arbitrage informationnel (information-arbitrage efficiency)
exclut toute appropriation de l’information, elle laisse
une certaine latitude aux aléas du marché. L’efficience
dans l’évaluation de la valeur des actifs (Fundamental-valuation
efficiency) doit traduire la valeur présente des gains
futurs des titres (actualisation). L’efficience en matière
d’assurance (Full-insurance efficiency) est une garantie
de résultat sous certaines conditions (contrats d’assurance-vie).
Et enfin, l’efficience fonctionnelle (Functional efficiency)
subsume les dimensions précédentes, elle témoigne
du rôle et de la nécessité des marchés
financiers dans nos sociétés.
A partir de ces définitions nous pouvons nous interroger
sur la capacité des marchés financiers à
développer l’économie. L’intermédiation
permet-elle d’accroître, via les systèmes financiers,
la croissance économique ? Avec le phénomène
de la globalisation financière n’assiste-t-on pas
à de nouvelles intermédiations entre épargnants
et investisseurs ? Pour répondre à ces questions
nous verrons d’abord l’évolution des systèmes
financiers en fonction des problèmes rencontrés,
pour nous intéresser ensuite aux mécanismes de l’intermédiation,
et enfin aux conséquences sur la croissance économique.
Depuis le début des années soixante-dix, nous assistons
à une mondialisation des échanges et de l’économie.
Celle-ci se caractérise, en particulier, par une déconnexion
entre sphère financière et sphère réelle.
Après la Première Guerre mondiale, l’importance
des marchés financiers était bien moindre. En effet,
comme le rappellent M. Aglietta, A. Brender et M.Coudert dans
: Globalisation financière : l’aventure obligée
(1990), les stocks des actifs accumulés étaient
de 44 milliards de dollars, soit trois fois le commerce mondial
de marchandises de l’époque. Le système monétaire
de l’époque était basé sur une monnaie
de référence : l’or et le rôle moteur
et directeur de la Banque centrale d’Angleterre dans la
fixation des taux d’intérêt mondiaux. De plus,
et surtout au XIXe siècle, les différents marchés,
celui du travail en particulier, étaient régis par
une certaine flexibilité, donc une absence de rigidité.
De nos jours, le système financier international a pour
fonction d’assurer l’abrocation internationale du
capital. Pendant les années soixante et soixante-dix, l’essentiel
des flux de capitaux suit un axe Nord-Sud. Les pays du Nord financent
le déficit structurel des pays du Sud. Les deux chocs pétroliers
des années soixante-dix réorganisent le système
mondial. L’augmentation du pétrole provoque un accroissement
du taux d’épargne mondial. De plus, les pays producteurs
de pétrole (l’OPEP : l’organisation des pays
exportateurs de pétrole), ont une faible propension à
consommer par rapport aux pays riches. La nécessité
d’une régulation macroéconomique devient impérative
pour éviter que l’élévation de l’épargne
mondiale ne provoque une récession. Les PED (pays en développement)
vont s’endetter, ils vont ainsi participer au « recyclage
des pétro-dollars », c’est la première
étape de la globalisation financière. Les pays du
Nord ont leurs revenus ponctionnés par l’achat de
matières premières énergétiques. Les
pays industrialisés sont obligés de puiser dans
leurs réserves pour faire face à l’augmentation
des dépenses. Progressivement ils arrivent à rééquilibrer
leur balance courante. Le prix des matières premières
s’accroît dans les années soixante-dix.
Les mouvements de capitaux prennent alors une autre orientation
dans les années quatre-vingt et suivent un axe Nord-Nord.
L’épargne des agents privés finance l’économie
américaine. On assiste à une diminution de l’activité
mondiale, du prix des matières premières et à
une montée des taux d’intérêt réels.
L’inflation est à deux chiffres dans les pays riches
et les gouvernements sont contraints de resserrer leur politique
économique et rééquilibrer les finances publiques.
Au Japon et en Allemagne en particulier, le taux d’investissement
baisse ainsi que les dépenses publiques. Par contre, l’épargne
privée est en augmentation. Celle-ci « immigrera
» vers les Etats-Unis qui ont besoin de fonds. En effet,
dans ce pays le taux d’épargne des ménages
est faible, l’investissement maintenu et les déficits
toujours importants. L’épargne japonaise et allemande
finance le déficit extérieur des Etats-Unis.
La décennie quatre-vingt voit aussi le passage d’une
finance intermédiée, assurée par les banques,
à une logique de financement direct (non intermédiée).
De plus, les années quatre-vingt-dix voient apparaître
de nouveaux acteurs sur le marché de la finance mondiale.
Les MFE (Marchés financiers émergents) en provenance
notamment des pays d’Asie du Sud-Est, investissent les places
financières mondiales. La capitalisation boursière
mondiale du MFE atteint neuf pour cent en 1993. Le système
monétaire international est passé d’une prédominance
de financements intermédiés dans les années
soixante, soixante-dix à une finance directe dans les années
quatre-vingt. Il a aussi évolué d’un système
à l’économie d’endettement à
un système de marchés de capitaux déterminé
par des mouvements internationaux. C’est l’analyse
de John Hicks dans : La crise de l’économie keynésienne
(1975) qui fait la distinction entre l’économie d’endettement
et l’économie de marchés financiers. Dans
la première, la monnaie est endogène et le rôle
du crédit bancaire est essentiel pour l’activité
économique. Dans la seconde, l’investissement nécessite
une épargne préalable et les taux d’intérêt
sont flexibles. Nous nous intéresserons au rôle de
l’intermédiation dans les marchés financiers.
Dans une économie d’endettement, l’intermédiation
est forte et permet de mettre en correspondance les agents à
déficit et ceux à excédent. De plus, le contrôle
des pouvoirs publics est plus important que dans une économie
de marchés financiers. Dans sa politique monétaire,
le gouvernement peut agir, via la banque centrale, sur les quantités
de crédit, les prix, le loyer de l’argent et aussi
sur d’autres variables. L’influence de l’Etat
dans les conditions de financement des entreprises en particulier,
est majeure dans une économie d’endettement. De nos
jours, les entreprises ont de forts taux d’autofinancement
et peuvent ne plus faire appel aux crédits bancaires. Cette
situation résulte des politiques de désinflation
compétitive où les gouvernements ont souhaité
réduire le taux d’inflation par rapport à
leurs partenaires pour améliorer le taux de change. Cette
politique est passée par une augmentation des taux d’intérêt
et par la résorption de déséquilibres réels.
Dans un tel cas, les entreprises sont obligées de rétablir
leur rentabilité, d’améliorer leur productivité,
donc leur compétitivité pour faire face notamment,
aux produits importés. Ce processus passe aussi par une
désindexation des salaires et des prix, ce qui a permis
une diminution de l’inflation et un accroissement du taux
de profit des entreprises.
Par contre dans une économie d’endettement, il existe
un écart structurel entre le taux d’épargne
réalisé et le taux d’investissement souhaité
par les firmes. Les entreprises manquent de financement et doivent
faire appel aux crédits bancaires. Elles s’endettent
auprès des banques qui jouent le rôle d’intermédiaire.
Dans ce cadre, la Banque centrale est en position de prêteur
en dernier ressort. Elle régule l’écart structurel
entre offre et demande de monnaie centrale sur le marché
interbancaire. On constate que le fonctionnement d’une économie
d’endettement se fait à deux niveaux. Les entreprises
demandent des crédits auprès des banques et les
banques commerciales en général, auprès de
l’institution d’émission, demandent de la monnaie
banque centrale. Le crédit bancaire a un rôle capital
dans la détermination du niveau de l’activité
économique du pays. C’est le crédit accordé
aux entreprises qui comblera le manque d’épargne
pour atteindre le taux d’investissement souhaité.
Au niveau macroéconomique, les crédits qui stimulent
l’investissement, dynamisent la croissance économique.
Néanmoins, les banques commerciales sont soumises aux directives
de la banque centrale. Les réglementations sont fortes
dans une économie d’endettement où l’intermédiation
prend une place importante.
En effet, les crises financières et boursières,
notamment celle de 1929, ont contraint les gouvernements à
protéger les épargnants et les entrepreneurs. C’est
pourquoi les institutions financières se sont spécialisées,
en particulier dans certaines opérations comme par exemple
: les crédits à court terme, à long terme,
les prises de participations. De plus les banques ne pouvaient
pas pratiquer n’importe quel taux ; le taux d’intérêt
était encadré en fonction de la nature des créances
(dépôts à vue ou à terme) et des crédits
(consommation, logement). La finance intermédiée
était contrainte par des instances supérieures,
c’est pourquoi on peut s’interroger sur l’optimalité
de l’allocation de ressources. On peut reprocher à
ce système financier la faible concurrence entre institutions
qui peut rendre l’intermédiation peu efficace et
coûteuse. Existe-t-il une efficience « fonctionnelle
« au sens de Tobin dans un tel système ?
Pendant les années soixante et soixante-dix, les taux
d’intérêt réels furent souvent négatifs,
ce qui a entraîné des distorsions dans l’allocation
des ressources entre investissements rentables et non rentables.
Les relations bilatérales individualisées entre
banques et clients ne contribuèrent pas toutes à
la croissance de l’économie. Cependant, le crédit
constitua le principal mode de financement de l’activité
productive de la France jusqu’au début des années
quatre-vingt.
De nos jours, l’intermédiation a changé de
nature. Elle assure des fonctions de négociation, de courtage,
de transformation des actifs. Le passage d’une économie
d’endettement à une économie de marchés
financiers ne supprime pas le rôle d’intermédiation
des banques, il évolue et peut même participer à
augmenter l’efficience globale du système.
Dans un article : « Efficacité des systèmes
financiers et développement économique »,
de la revue Economie internationale, Bruno Amable et Jean-Bernard
Chatelain développent les relations entre croissance économique
et systèmes financiers. L’efficacité du système
financier permet d’accroître l’épargne
qui peut développer l’investissement. En général,
le secteur financier permet une meilleure allocation des ressources.
Cette approche s’appuie sur d’une part la capacité
à gérer le risque et d’autre part sur les
problèmes d’asymétrie d’information.
Les modèles d’analyse présentés dans
cet article, dans le domaine de la gestion du risque de liquidité
se centrent sur la crainte des individus dans des engagements
d’investissements productifs et la préférence
dans des placements (dépôts bancaires par exemple),
moins rémunérateurs mais plus liquides. Les banques
en tant qu’intermédiaires, utilisent cette monnaie
et peuvent ainsi accorder des prêts aux entrepreneurs. De
plus, les banques devant la faible demande de monnaie fiduciaire
et le grand nombre de dépôts, peuvent réallouer
cette masse monétaire à des fins productives. En
outre les chefs d’entreprise n’ont pas de problèmes
de risques de liquidation qu’ils auraient face à
un créditeur unique souhaitant retrouver son capital. Les
banques minimisent les liquidités, augmentent l’épargne
disponible pour des investissements productifs et favorisent ainsi
la croissance. L’intermédiation bancaire concourt
à la croissance économique.
Par la diversification des risques, les intermédiaires
financiers peuvent stimuler la croissance économique en
encourageant des projets plus novateurs chez les industriels.
Cette répartition favorise l’emploi de techniques
plus productives, l’audace, et l’accumulation du capital
physique et humain. Des modèles de croissance endogène
montrent les externalités positives, qui sont à
terme, une source de croissance.
Un autre problème est dû à l’asymétrie
d’information. Le créancier n’a pas forcément
la totalité des informations sur le débiteur. De
part leur rôle de contrôle, les intermédiaires
financiers essaient de soutenir des projets rentables et d’écarter
ceux qui sont trop risqués. Comme dans l’analyse
de Schumpeter dans Théorie de l’évolution
économique (1911), seuls les entrepreneurs audacieux et
déterminés sont susceptibles de réussir.
La médiation bancaire doit encourager ces initiatives en
contrôlant les projets des entrepreneurs, celle-ci est à
l’origine de la croissance. Comme le remarquent B. Amable
et J-B Chatelain, le contrôle par les banques de l’activité
des entreprises peut conduire celles-ci à retenir une rente
de l’information. « l’avantage informationnel
» dont disposent les banques sur leurs clients peut être
favorable à la croissance économique, notamment
dans le long terme.
L’exemple de la banque « universelle » allemande
montre le rôle de l’intermédiation bancaire
dans la croissance économique. Celle-ci est à la
fois banques d’affaires, de dépôts, de prêts,
d’investissements directs, par sa large gamme de produits
et de services, et des économies d’échelle
qui en résultent, elle peut proposer ses fonctions à
moindre coût. L’évaluation des projets des
entrepreneurs se fait au sein de la banque et celle-ci accorde
ou non des prêts. La banque est en synergie avec l’entreprise.
De même, comme le remarque Masahiko Aoki dans un article
de la revue : Journal of Economic Literature, la banque japonaise
n’intervient qu’en cas de faillite de l’entreprise.
« la réorganisation d’une entreprise défaillante
par la banque principale » permet d’intervenir plus
vite que les seules forces du marché. L’intermédiation
bancaire japonaise serait aussi une preuve, selon Aoki, de l’efficacité
du système financier et donc à terme une source
de croissance économique. L’intermédiation
financière, outre la gestion des risques et les problèmes
d’asymétrie d’informations, permet d’entretenir
avec les firmes des relations sur le long terme. Contrairement
aux marchés financiers où le « court termisme
» est souvent de mise, l’agent pouvant vendre des
actifs pour empocher des plus-values ; la médiation bancaire
permet de pérenniser des relations d’affaires. L’intermédiation
financière, permet, outre l’affectation d’une
épargne disponible à un besoin d’investissement,
de réguler les relations entre partenaires économiques
(banques clients, entrepreneurs), dans un souci de gestion des
risques et de réduction des différences d’information.
La diminution de l’incertitude, l’efficacité
du système financier sont sources de croissance économique.
L’intermédiation a permis d’accorder des crédits
aux entreprises qui ne disposaient pas à l’époque
d’une épargne suffisante par rapport à leur
formation brute de capital fixe.
Le ratio endettement sur fonds propres et provisions atteignait
presque cent pour cent au début des années quatre-vingt.
La finance était indirecte et contrôlée, via
la Banque centrale et ses instruments, par la politique monétaire
du gouvernement. L’encadrement du crédit fut instauré
en 1992. Le refinancement des banques joue toujours un rôle
déterminant dans l’équilibre entre offre et
demande fonds prêtables et dans le niveau des taux qu’il
peut consentir plus librement. L’intermédiation permet
de transformer l’épargne courte en crédit
long, ce qui est favorable à la croissance économique.
Dans un système financier et bancaire, les emprunteurs
devraient trouver des prêteurs qui seraient susceptibles
d’immobiliser des fonds pendant une longue période.
Dans cette optique, les systèmes financiers apparaissent
efficaces, d’une efficience fonctionnelle au sens de Tobin,
pour permettre la médiation entre agents à excédent
et ceux à déficit. L’intermédiation
bancaire, par l’octroi de crédits qu’elle permet,
parie sur l’augmentation de gains futurs. Ce mécanisme
contribue à la croissance économique mais implique
aussi des risques que les banques essaient de contrôler.
Malgré des problèmes d’allocation de ressources,
d’asymétrie d’information, l’intermédiation
contribue à améliorer l’efficacité
des systèmes financiers et à favoriser la croissance
économique. Pendant les Trente glorieuses, la planification,
l’influence de la Banque centrale, ont participé
au développement économique du pays, l’intermédiation
joua un rôle prépondérant même si certaines
mesures n’ont pas permis de rendre plus effficients les
marchés financiers.
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