De la même façon que François Quesnay,
au XVIIIe siècle, avait construit le tableau économique,
et que Léon Walras, un siècle plus tard, décrivait
le fonctionnement global de l'économie, W.Léontieff
entreprend à son tour, dans les années 1930, la
construction d'un cadre de l'économie dans son ensemble,
qui lui vaut le prix Nobel en 1973.
Dès le début de ses travaux, Léontieff
combine une approche théorique puissante et de lourds
travaux statistiques. Il s'efforce d'étudier empiriquement
les interrelations entre les différents secteurs de l'économie.
En 1941, il établit le "tableau d'échanges
interindustriels" (TEI), qui décrit les interdépendances
entre les secteurs de production, en reliant les flux d'entrée
(facteurs de production) aux flux de sortie (produits). L'auteur
contribue ainsi à la naissance de la comptabilité
nationale moderne. L'utilisation du TEI de Léontieff
inaugure l'usage des "tableaux d'entrée-sortie"
pour la planification.
Le TEI permet également l'élaboration des "coefficients
techniques", qui représentent la quantité
"d'input" nécessaires à la fabrication
d'une unité de bien. Ces coefficients, fixes à
court terme, deviennent à long terme un précieux
outil de prévision, mettent en évidence les secteurs
d'entraînement de l'économie et permettent d'étudier
les effets des politiques économiques.
Le modèle de Léontieff est applicable à
de nombreuses situations, comme l'économie de guerre
ou les effets de la production sur l'environnement.
Dans les années cinquante, l'auteur cherche à
connaître les proportions de travail et de capital incorporées
aux divers échelons de la production américaine.
Il montre alors que les Etats-Unis exportent des biens moins
intensifs en capital que ne le sont leurs importations, résultat
paradoxal pour un pays développé devant plutôt
exporter des biens à fort contenu capitalistique. Ce
résultat, connu sous le nom de "paradoxe de Léontieff",
entre en contradiction avec le théorème de Heckscher-Ohlin-Samuelson
(HOS). On a expliqué ce paradoxe par la différence
des fonctions de production entre les pays, par le protectionnisme
sectoriel (qui pèse sur les importations intensives en
travail), et par la non prise en compte d'un troisième
facteur de production, les ressources naturelles, qui sont susceptibles
de modifier les résultats statistiques.