Une longue tradition favorable
au développement du libre-échange
Un socle théorique
commun favorable au libre-échange
1. L’analyse fondatrice
de Ricardo
les hypothèses
il n’y a pas d’obstacles aux échanges
entre les deux pays (contingentement, droits de douane,
discrimination) qui fausseraient la concurrence.
La concurrence est pure et parfaite
dans les deux pays et elle conduit donc chacun des deux pays
à sa " frontière de production " :
on a donc plein emploi des facteurs dans les deux pays :
pas de chômage, pas de sous-utilisation des capacités
de production. Puisqu’on se situe dans le cadre de la concurrence
pure et parfaite, il n’y a pas de rendements croissants, les
coûts de production sont indépendants des
quantités produites. Il résulte aussi de ces hypothèses
qu’à l’équilibre, les balances commerciales sont
équilibrées.
Les facteurs de production sont immobiles,
ils restent attachés à un territoire. Il n’y a
pas libre circulation du travail et du capital
Le raisonnement : la démonstration
des gains associés au libre-échange
L’objectif est de montrer
qu’en se spécialisant dans les productions pour lesquelles
ils disposent d’avantages comparatifs, deux pays ont intérêt
à pratiquer le libre-échange, qui améliore
leur situation par rapport à une situation d’autarcie,
où ils produiraient chacun tous les biens dont ils ont
besoin.
Ricardo souhaite
donc aller plus loin qu’Adam Smith, qui raisonnait en termes
d’avantages absolus : si dans un domaine, les coûts
de production sont plus élevés qu’à l’étranger,
on a intérêt à acheter le bien à l’étranger
plutôt que de le produire sur place, cela permet d’économiser
des facteurs de production, qui sont disponibles en plus
grande quantité pour réaliser les productions pour
lesquelles le pays possède un avantage absolu en termes
de coûts de production. De cette spécialisation en
fonction des avantages absolus, il résulte une division
internationale du travail qui provoque l’abondance.
Ricardo cherche à
aller plus loin dans la démonstration des gains associés
au développement du libre-échange en montrant que
même dans le cas où un pays n’a pas d’avantage absolu
dans un domaine, il peut avoir intérêt à se
spécialiser malgré tout, non pas en fonction des
avantages absolus qu’il n’a pas, mais en fonction des avantages
relatifs.
Démonstration :
Comme chaque pays est sur
sa frontière de production, il n’est pas possible d’augmenter
en même temps la production de tous les biens : si
on augmente la production d’un bien 1, alors il faut renoncer
à produire un peu de bien 2.
C’est l’exemple célèbre
du drap et du vin :
Les coûts de production
sont exprimés en quantité de travail nécessaire
pour produire 1 unité de ces biens :
Portugal
Angleterre
Drap
90
100
Vin
80
120
en avantages absolus : le
Portugal dispose d’un avantage absolu pour les 2 productions,
puisque ses coûts de production (en travail, c’est le
seul facteur utilisé dans le raisonnement de Ricardo)
sont plus faibles pour les deux productions.
Raisonnement en avantages comparatifs :
®
au Portugal, pour produire une unité de drap supplémentaire,
il faut renoncer à produire 90/80 = 1.125 unités
de vin
pour produire une unité
de vin supplémentaire, il faut renoncer à produire
80/90 = 0.888 unités de drap.
®
en Angleterre, pour produire une unité de drap supplémentaire,
il faut renoncer à produire 100/120 = 0.833 unités
de vin
pour produire une unité
de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire
120/100 = 1.2 unités de vin
La conclusion, c’est que
l’Angleterre dispose d’un avantage comparatif dans la production
de drap, puisque le coût relatif d’une unité de drap
par rapport à une unité de vin y est plus faible
qu’au Portugal (0.833 comparé à 1.125). Symétriquement,
le Portugal dispose d’un avantage relatif pour la production du
vin.
pourquoi ces deux pays ont-ils intérêt
à se spécialiser dans la production pour laquelle
ils disposent d’un avantage comparatif ?
®
si le Portugal se spécialise dans le vin, quand il produit
une unité de vin supplémentaire pour l’exporter,
il recevra en échange sur le marché anglais 1.2
unités de drap, c'est-à-dire plus que la quantité
de drap qu’il a renoncé à produire sur son territoire
(0.888 unités). En se spécialisant dans le vin,
le Portugal disposera en définitive de plus de drap que
s’il avait continué à produire et du drap et du
vin.
®
si l’Angleterre se spécialise dans le drap, elle y gagne
elle aussi. A chaque fois qu’elle produit une unité supplémentaire
de drap pour l’exporter, elle renonce à produire 0.833
unités de vin, mais elle obtiendra en échange de
son drap, 1.125 unité de vin. Elle disposera donc de plus
de drap que si elle avait continué à produire tout.
La modification de la répartition
des revenus qui en résulte.
Les deux pays ont intérêt
à se spécialiser, mais l’ouverture des frontières
va modifier le prix relatif du drap et du vin dans les deux pays.
En Angleterre, le prix
relatif du drap va augmenter et il va baisser au Portugal. Ce
sera le contraire pour le vin. Cette conclusion est importante
pour les effets du libre-échange : cette modification
des prix relatifs lèse certains groupes au profit de l’intérêt
général, ce qui peut expliquer au moins en partie
les résistances au libre-échange.
le Portugal a intérêt à
se spécialiser dans le vin, tant que ça lui permet
d’obtenir plus de drap qu’en autarcie, c'est-à-dire tant
que p, le prix relatif du drap en fonction du vin reste tel
que p< 1.2
l’Angleterre a intérêt
à se spécialiser dans le drap, tant que p’ le
prix relatif du vin par rapport au drap reste tel p’<
1.125
on a donc p’ = 1/p <
1.125 (90 /80) , c'est-à-dire p>
0.888 (80/90)
les bornes de l’échange sont
donc :
0.888 <
p < 1.125
il y a modification des
prix relatifs et donc modification de la répartition
des revenus. On verra ensuite le même raisonnement transposé
à des productions qui nécessitent l’emploi de plusieurs
facteurs de production avec les analyses de Hecksher et Ohlin.
Ils insistent eux aussi sur le rôle du commerce extérieur
dans la répartition des revenus. Ils montrent que si l’exploitation
des avantages comparatifs augmente le bien-être général
des nations, il implique aussi une utilisation différente
des facteurs de production et donc une modification de leur rémunération
relative. Si un pays se spécialise dans l’industrie textile
et délaisse son agriculture, les prix relatifs de l’industrie
textile par rapport aux prix agricoles vont augmenter. On observera
une hausse des salaires et des profits dans l’industrie textile
et au contraire une baisse des revenus dans l’agriculture.
Cette modification du partage
des revenus, qui résulte de l’ouverture du marché
intérieur est d’ailleurs un des avantages du libre-échange
souligné par Ricardo : l’abolition des corn laws
doit entraîner une baisse des prix du blé et donc
une baisse de la rente, mais aussi une baisse des salaires, qui
sont indexés sur le prix du blé, puisque ce sont
des salaires de subsistance. La baisse des salaires et des rentes
permet une hausse de la part relative des profits et donc une
meilleure accumulation du capital , source essentielle de
croissance.
2.
Les prolongements du modèle des avantages comparatifs
Les raffinements de l’analyse
en termes d’avantages comparatifs portent sur l’origine de ces
avantages comparatifs. Ricardo ne raisonnait que sur les coûts
en travail, donc avec un seul facteur, c’est donc les productivités
comparées d travail qui étaient la source des avantages
comparatifs.
Heckscher-Ohlin et la dotation
factorielle.
®
en 1919, Elie Heckscher, économiste suédois,
publie un article intitulé " les effets du commerce
international sur la distribution du revenu ". Il y
présente les grandes lignes de ce qui deviendra le modèle
HOS. Ohlin, son élève, a repris ses
idées en 1933 dans un livre sur le commerce international.
C’est Samuelson qui formalisera ces analyses à la fin des
années 40.
Chez Ricardo, c’était
les différences de savoir-faire et donc de technologie
entre deux pays qui étaient la base des avantages comparatifs.
Chez Heckscher et Ohlin, ce sont les différences de dotation
de facteurs.
®
les hypothèses de base sont les suivantes :
les pays connaissent les mêmes
technologies
les pays se distinguent par leurs
dotations factorielles
®
un pays a un avantage comparatif dans le produit intensif dans
le facteur pour lequel il est comparativement le mieux doté.
Cette spécialisation
en fonction des dotations factorielles engendre l’égalisation
de la rémunération des facteurs ente pays partenaires.
Les deux auteurs font remarquer que l’échange de produits
a, de ce point de vue, le même effet que si on avait procédé
à un échange de facteurs. Cela s’explique par l’utilisation
du théorème de Stolper-Samuelson : lorsque
le prix d’un produit augmente, cela augmente la rémunération
du facteur qui est intensif dans la production de ce bien et cela
diminue parallèlement la rémunération de
l’autre facteur. Un pays abondant en travail, va produire des
biens intensifs en travail et il y aura donc une augmentation
de la demande de travail suite à l’ouverture des échanges.
La rémunération du travail va augmenter et celle
du capital va baisser.
On retrouve l’idée
selon laquelle l’échange international modifie la
répartition des revenus : elle détériore
la rémunération des détenteurs du facteur
rare dans l’économie, ces détenteurs seront dons
sans doute hostiles à l’ouverture.
Le paradoxe de Léontieff
®
il réalise le premier test empirique du modèle HOS
en 1953, à partir de données commerce américain
en 1947. Il obtient un résultat paradoxal, puisque les
Etats-Unis sont sensés être bien dotés en
capital et qu’il observe une forte spécialisation dans
des biens intensifs en travail. Il procède de la façon
suivante : pour les biens exportés et pour les biens
produits sur le territoire qui pourraient servir de substituts
aux importations, il calcule le ratio suivant :
K/L = quantité
de capital /quantité de travail (quantités nécessaires
pour produire le bien exprimées en $ pour le capital et
en hommes /an pour le travail)
Il trouve 13.99 pour les
exportations et 18.18 pour les importations.
On a donc le ratio = 1.3
> 1
alors que ce ratio devrait
être inférieur à 1 étant donné
la dotation factorielle des Etats-Unis.
Ce premier test est suivi
par d’autres études empiriques, portant sur différents
pays, qui tantôt confirment, tantôt infirment le modèle
HOS.
®
ce test a été l’objet de différentes critiques :
d’abord sur sa validité :
Léontieff lui-même avait indiqué un premier
problème : la productivité des travailleurs
américains est trois fois supérieure à
celle des autres travailleurs, il faut donc multiplier la quantité
de travail dont disposent réelement les Etats-Unis par
3, ils apparaissent alors comme un pays richement doté
en travail.
Mais, outre le fait que
cette évaluation de l’écart de productivité
était un peu arbitraire, le raisonnement vaudrait aussi
pour la productivité du capital. Si les deux facteurs sont
multipliés par 3, alors on retombe sur le même paradoxe.
On ne prend en compte que les importations
qui ont un substitut possible sur le territoire américain,
on élimine donc une grande partie des matières
premières.
Les tarifs douaniers peuvent expliquer
une partie du résultat : les industires les plus
protégées sont aussi celles qui sont les plus
intensives en travail, cela limite le montant des importations
riches en travail.
L’année 1947 est atypique, car
juste après la guerre.
Le test HO ne doit s’effectuer que sur
des bases bilatérales. Ichimura et Tatemoto (1956) ont
étudié le commerce japonais pour l’année
1950. Ils observent que le pays est plutôt abondant en
travail et que les exportations sont intensives en capital,
plus intensives en capital que les importations. Ils ont alors
décomposé le commerce japonais en deux zones :
le commerce avec les PVD et le commerce avec les pays développés.
Cette décomposition a permis de lever le paradoxe :
le japon exportait des biens intensifs en main-d'œuvre vers
les pays développés et des biens intensifs en
capital vers les PVD. On observe la structure inverse pour ses
importations. Or, le Japon réalisait les ¾ de son commerce
avec des PVD. C’était donc une erreur de considérer
sa dotation par rapport aux pays développés. Cette
décomposition a fait apparaître le japon comme
un pays intermédiaire dans la hiérarchie internationale.
Une étude de Lassuderie-Duchêne et Mucchieli a
abouti par la suite à la même conclusion au sujet
de la France.
c. Le développement
des analyses néo-factorielles et des analyses néo-technologiques.
La critique de fond adressée
au modèle HOS c’est l’idée qu’il y aurait une irréversibilité
des intensités factorielles : en fait, un même
bien peut être intensif en travail dans un pays bien doté
en travail et intensif en capital dans un autre pays. Dans ce
cas, le théorème HOS n’est pas vérifié,
pas plus que celui de Stolper-Samuelson sur l’égalisation
des prix de facteurs.
®
les analyses néo-factorielles : elles visent à
mieux mesurer la dotation factorielle. Léontieff dès
1956 avait montré que les exportations américaines
nécessitaient l’emploi d’une main-d'œuvre plus qualifiée
que dans les industries produisant des biens substituts d’importation.
Kravis (1956) observait
aussi que les salaires étaient plus élevés
dans les industries d’exportation que dans les autres. Le capital
humain et la qualification du travail deviennent importante des
avantages comparatifs.
Une étude de Wood
(1964) montre que les différences de qualification expliquent
bien la structure des échanges commerciaux Nord/Sud.
®
les analyses néo-technologiques : elles essaient
d’expliquer le paradoxe de Léontieff en revenant sur une
des hypothèses de HOS, à savoir que tous les pays
sont capables de produire le mêmes biens car ils disposent
de la même technologie. Elles introduisent au contraire
l’idée qu’il existence des différences d’évolution
technologique selon les pays. On distingue deux types d’approches
néo-technologiques :
·
l’écart technologique , théorisé
par Posner en 1961.
Son idée est la
suivante : le pays dans lequel apparaît une innovation
bénéficie d’un avantage absolu sur les autres partenaires
commerciaux pendant un certain temps, il pourra donc exporter
ces nouveaux produits issus de l’innovation. Ces nouveaux produits
sont ensuite imités, en raison de la diffusion des technologies,
mais d’autres innovations viennent prendre le relais.
Dans cette analyse, la
source des avantages comparatifs c’est l’écart technologique
qui existe avec les autres pays. Les pays qui possèdent
une avance technologique exportent des biens intensifs en nouvelles
technologies, les autres des biens banalisés.
Ces intuitions de Posner
ont été formalisées ensuite par Krugman (1979).
Dans son modèle, il existe deux zones :
- Les pays du Nord, qui innovent.
- Les pays du Sud, qui n’innovent pas
L’innovation prend la forme
d’innovations de produits, qui sont d’abord fabriqués au
Nord, puis ensuite au Sud. Krugman montre que le Nord est condamné
à innover sans arrêt, pour maintenir l’écart
technologique avec le Sud, sinon ses industries déclinent
et disparaissent à cause de la concurrence des pays à
bas salaires. Les hauts salaires du Nord reflètent selon
lui la rente de monopole associée aux innovations :
si l’écart technologique disparaît, cette rente disparaîtra
aussi, il ne sera plus possible de verser de hauts salaires.
·
le cycle du produit, théorisé par Vernon (1966) :
il insiste sur le lien entre le cycle de vie d’un produit et les
évolutions des échanges internationaux.
pour le cycle de vie du produite, il
distingue 4 phases du volume des ventes : introduction,
croissance, maturité et déclin
à chaque phase du cycle de vie
du produit, correspond une configuration des échanges
internationaux. Il distingue trois zones : le pays innovateur,
les pays suiveurs développés (qui sont au même
niveau de développement technologique) et les PVD.
pendant la phase d’introduction le produit
est intensif en technologie. Seul le pays innovateur en exporte
et c’est dans ce pays que la consommation de ce produit commence,
suivi par les pays suiveurs, qui sont alors importateurs nets.
Pendant la phase de croissance, on observe
une forte croissance des exportations du pays innovateur et
aussi de celles des pays suiveurs, qui deviennent progressivement
exportateurs nets. Les PVD commencent juste à consommer
ce produit, mais ils n’en produisent pas encore, ils sont donc
importateurs nets.
Pendant la phase de maturité,
la consommation dans le pays innovateur stagne et ses exportations
commencent à décliner, il devient importateur
net à la fin de la période. Pour les pays suiveurs,
les exportations continuent à augmenter, ils restent
exportateurs nets. Les PVD deviennent exportateurs, puis exportateurs
nets.
Pendant la phase de déclin, le
pays d’origine est importateur net, le déficit commercial
pour ce bien devient de plus en plus important. Les exportations
des pays suiveurs baissent. Ce sont les PVD qui assurent la
production du bien pour l’économie mondiale, c’est devenu
un bien banalisé.
Bilan : les pays en début
de cycle de vie sont exportés par les pays qui possèdent
une avance technologique, les pays en fin de cycle de vie sont exportés
par les pays abondants en travail peu qualifié.
De nombreuses vérifications empiriques
semblent valider cette thèse. Elles ont conclu à
une forte corrélation entre les performances américaines
à l’exportation et l’importance de la R&D et du nombre
de brevets déposés dans le pays. Plus les pays innovent
et plus ils exportent des biens nouveaux et différenciés,
pas encore banalisés.
Ce socle théorique,
lié aux avantages comparatifs, est longtemps resté
le seul, on verra dans la seconde partie, comment il a été
partiellement remis en cause. L’idée commune à toutes
ces analyses, c’est que les pays étant différents,
ils ont intérêt à échanger pour tirer
partie de ces différences et que le libre-échange
est plus efficace, plus profitable que l’autarcie pour le bien-être
général, ce qui ne signifie pas pour autant que
certains groupes ne puissent pas être lésés.
Ce socle a servi de base
à un certain nombre de pratiques visant à développer
le libre-échange (partie B), au nom du fait que le protectionnisme
présentait trop d’inconvénients, trop d’effets pervers,
dont on peut faire la liste :
il supprime les effets stimulants de
la concurrence étrangère
il annule les effets bénéfiques
de l’ouverture pour le consommateur, il entraîne un surcoût
pour le consommateur.
Il entraîne un risque de représailles
Pour les PED, les exportations permettent
de se procurer des devises.
Les arguments empiriques
en faveur du développement du libre-échange
Constat empirique
® les partisans
du libre-échange rappellent d’abord que les périodes
de développement du libre-échange sont aussi des
périodes de forte croissance, c’est déjà
le cas pendant la parenthèse libre-échangiste
de la seconde moitié du XIXème siècle,
qui se clôt avec les difficultés économiques
de la fin du siècle. C’est vrai aussi des Trente Glorieuses,
pendant lesquelles on observe un très fort développement
des échanges, le commerce international progressant d’ailleurs
plus vite que le PIB mondial entre1947 et 1992, les échanges
ont été multiplié par 64 en valeur, en
volume, ils ont progressé de 40% de plus que la production
mondiale. Au contraire, pendant l’entre-deux-guerres, on constate
une contraction des échanges, en même temps que
la crise des années 30.
® sur la période
de l’après-guerre, les deux grands pays qui ont connu
la plus forte intégration aux échanges sont le
japon et la Corée du Sud, ce sont aussi eux qui ont connu
la croissance la plus forte. En Europe, c’est l’Allemagne et
la Suède (par opposition à la grande Bretagne).
Si on raisonne par secteurs, aux Etats-Unis, on peut opposer
l’évolution des services et celle de l’agriculture.
Même chose pour les pays en développement :
ceux qui s’en sont le mieux sortis, compris dans le contexte
difficile de la crise de la dette, sont : la Corée
du Sud, Taïwan, la Thaïlande en Asie ; en Amérique
latine : Mexique, Chili et Brésil ; en Europe
de l’Est : Pologne et Hongrie et en Méditerranée :
Turquie, Tunisie et Maroc. Les pays qui avaient essayé
de mener des stratégies auto-centrées ont connu
des échecs : industries industrialisantes en Algérie,
les stratégies de substitution des importations aux exportations,…
La mise en place
d’institutions et d’accords internationaux pour favoriser le
développement du libre-échange.
Les principes fondateurs du GATT
Le GATT est créé en 1947
(General Agreement on tarif and trade). C’est un accord
signé par 23 pays (d’autres s’y sont ajoutés par
la suite) avec 38 articles, qui précisent les principes
qui doivent guider la libéralisation des échanges.
Il est né de la même volonté que celle qui
a guidé la signature des accords de Bretton Woods :
éviter de revenir aux conflits de l’entre-deux-guerres
et donc nécessité de lutter contre les obstacles
au libre-échange pour éviter le retour à
une spirale protectionniste.
Les pays signataires s’engagent à respecter
différentes obligations :
® les obligations
centrales, qui constituent la partie I du traité :
consentir à toutes les autres
nations signataires, la clause de la nation la plus favorisée.
L’objectif est de passer le plus rapidement possible au multi-latéralisme :
tous les pays bénéficient des avantages fixés
lors de négociations bilatérales.
Limiter les droits de douanes imposés
aux importations des nations signataires de l’accord.
® le code de
conduite : il s’agit de promouvoir un " fair trade ",
commerce loyal en ne recourant pas à des formes déloyales
de concurrence et de protectionnisme déguisé. Les
nations signataires s’engagent donc à pratiquer ce " fair
trade ", c'est-à-dire :
ne pas établir de discriminations
entre producteurs nationaux et exportateurs vendant sur le marché
national
ne pas pratiquer le dumping, en vendant
sur les marchés extérieurs à un prix inférieur
à celui pratiqué sur le marché intérieur
prohiber les mesures de restrictions
quantitatives, avec quelques exceptions tolérées
en cas de déficit grave de la balance des paiements.
Réglementer les subventions :
les subventions à l’exportations sont interdites pour
les produits industriels, elles sont tolérées
pour les produits de base, notamment agricoles, dans la mesure
où elles ne conduisent pas le pays à occuper une
part non équitable du commerce mondial pour les produits
concernés. Les subventions à la production sont
autorisées, tant qu’elles ne créent pas préjudice
aux autres pays, qui peuvent porter plainte, s’ils se sentent
lésés.
Il y a des exceptions à ces obligations :
les échanges de services ne sont
pas concernés. C’est seulement au cours de l’Uruguay
Round (1986) que les négociations pour élargir
l’accord aux services, qui représentent 20% du commerce
mondial, débutent.
L’agriculture, qui représente
15% du commerce mondial : il existe une vieille tradition
de subventions ou de restriction des importations aux Etats-Unis,
ces pratiques sont dénoncées par les autres pays.
C’était un des objectifs de l’Uruguay Round de revenir
sur cette exception.
Le textile : de 1962 à 1973
sont signés toute une série d’accords multifibres.
Ces accords permettent aux pays importateurs (du Nord) de négocier
des contingentements avec des pays exportateurs (du Sud). C’est
une exception très claire aux principes de libre-échange,
elle vient de la crainte des pays de vieille industrie de voir
leur industrie textile nationale disparaître. On empêche,
par ces mesures, les pas du sud de tirer profit de leurs avantages
comparatifs, pour une industrie qui nécessite des machines
relativement simples et beaucoup de main-d'œuvre. C’est un exemple
important à retenir à l’appui des thèses
qui critiquent les positions libre-échangistes au nom
du fait qu’elles sont toujours développées et
soutenues par les pays en position de force dans la hiérarchie
internationale. Le coût, pour les consommateurs, de telles
mesures semble élevé une étude américaine
de 1984 montre que chaque emploi sauvegardé dans le textile
coûte 50000$ pour un an, alors que le salaire moyen dans
ce secteur est de 13400$. On peut retenir aussi le fait qu’il
existe une dimension politique importante : la disparition
des industries textiles et des emplois qui leur sont liés
peut avoir un coût symbolique important, alors que leur
maintien est coûteux financièrement pour la collectivité.
On ne cherche donc pas toujours dans ce domaine à promouvoir
l’intérêt général.
Les pays en développement ont
le droit de protéger leurs industries naissantes en relevant
les droits de douane. La partie IV de l’accord, ajoutée
en 1964, les dispensent de l’obligation de réciprocité :
ils peuvent s’accorder entre eux des avantages, sans concéder
les mêmes aux pays développés.
La question des zones de libre-échange
et des unions douanières, comme la CEE ou l’ALENA (qui
regroupe le Canada, les Etats-Unis et le Mexique). Dans ces
cas, le principe d’application à tous de la clause de
la nation la plus favorisée n’est pas respectée.
Il y a un article du traité, qui autorise la création
de ces zones, à deux conditions :
les accords préférentiels
ne doivent pas entraîner une hausse des barrières
douanières pour les pays situés à l’extérieur
de la zone
les barrières internes doivent
être totalement supprimées dans un délai
assez court. Cette condition n’a en fait été respectée
que par la CEE, dans les autres accords, les produits agricoles
sont souvent exclus, il n’y a pas suppression totale des barrières.
Ces accords régionaux
doivent être notifiés au GATT, qui examine le respect
des deux conditions. Si on examine la liste des accords régionaux
notifiés au GATT depuis sa création, on observe
qu’ils sont relativement nombreux, on désigne généralement
ce phénomène par l’expression de " montée
du régionalisme ". Il existe tout un débat
pour savoir si c’est un obstacle ou pas au développement
du libre-échange.
Les résultats du GATT
Il y a eu tout un cycle
de négociations multilatérales que l’on a appelées
des " rounds ".
Les quatre premiers rounds, entre
1947 et 1961 (Genève, 1947 ; Annecy, 1949 ;
Torquay, 1951 et Dillon Round, 1960-1961), ont pour objectif
la diminution rapide des droits de douane, qui atteignaient
des niveaux encore très élevés dans l’après-guerre.
On estime que les droits de douane sont divisés par 3
sur la période. Le taux moyen est d’environ 40% en 1947.
Aujourd’hui, il est seulement de 5% environ (petit retour en
arrière : au XIXème siècle, les droits
de douane avaient été divisés par deux,
pour atteindre seulement 10%, c’est dans l’entre-deux-guerres
qu’ils remontent pour atteindre 30% à 40%. Cette baisse
des droits de douane s’accompagne d’un fort développement
des échanges : entre 1953 et 1963, les échanges
mondiaux progressent de 6%/an en moyenne, le PIB de 4.3% seulement.
Malgré cette réussite,
deux problèmes demeurent : au delà de la baisse
des taux moyens, il existe des " pics tarifaires "
très élevés (c’est le cas aux Etats-Unis)
pour certains produits, d’autre part les protections non tarifaires
demeurent.
Le Kennedy Round se déroule
entre 1964 et 1967. Il est marqué par des conflits entre
les Etats-Unis et la CEE. Les Etats-Unis passent d’une attitude
défensive (ils recherchaient une baisse assez lente des
protections tarifaires, pour protéger leurs industries
de main-d'œuvre) à une attitude plus offensive pour soutenir
leurs exportateurs : ils réclament une baisse importante
des droits de douane pratiqués par les pays de la CEE.
Cet affrontement est marqué par la montée en puissance
de la CEE, qui devient premier exportateur mondial (25% des
échanges en 1961 et 18.5% pour les Etats-Unis).
les propositions américaines :
baisse de 50% de tous les droits de douane, linéairement.
Suppression totale des droits de douane pour les biens pour
lesquels les Etats-Unis et la CEE rassemblés assurent
plus de 80% du commerce mondial.
La CEE souhaite que les structures
des droits de douane soient harmonisées : les taux
moyens sont plus élevés aux Etats-Unis (11.7%
pour la CEE et 17.8% pour les Etats-Unis) mais surtout, il existe
de nombreux pics tarifaires aux Etats-Unis, ce qui n’est pas
le cas pour la CEE (plus de 400 produits sont taxés à
plus de 35%). Si il y a diminution linéaire, ce serait
plus avantageux pour les Etats-Unis.
Les résultats :
la CEE n’obtient pas d’harmonisation des tarifs américains
sur les siens : les droits sur les produits textiles restent
à 35%, 48% pour les chaussures, il y a 100 produits, pour
lesquels les droits restent supérieurs à 30%. Le
principe de diminution linéaire n’est pas non plus adopté.
Malgré tout, les droits de douane ont bien diminué :
-35% pour les produits industriels et –20% pour les produits agricoles.
Les taux moyens des droits de douane sont de 8% pour la CEE et
de 13.4% pour les Etats-Unis. Un accord est signé sur les
pratiques anti-dumping. En échange de concessions sur les
tarifs douaniers, les Etats-Unis s’engagent à supprimer
l’American Selling Price, c'est-à-dire une pratique qui
consistait à calculer les droits de douane sur le prix
des produits importés à partir des prix de produits
américains concurrents (et souvent plus élevés !).
En fait cet accord ne sera jamais appliqué.
Le Tokyo Round, se déroule
entre 1973 et 1979. Le nombre de pays signataires de l’accord
a augmenté, ils sont 99 pour ce round, les pays en développement
sont donc plus nombreux dans la négociation. Le contexte
pèse aussi sur les négociations : pour la
première fois depuis 1945, le commerce diminue de 5%
en 1975. En 1971, les Etats-Unis connaissent leur premier déficit
commercial de l’après-guerre. Le début de la crise
renforce les tentations protectionnistes.
Les résultats
sont les suivants :
nouvelle baisse des droits de douane :
-33% pour les produits industriels, avec une diminution des
pics tarifaires. Il y a malgré tout des exceptions comme
pour l’automobile et le textile ;
quelques accords sur les barrières
non tarifaires, mais qui ne sont pas ratifiées par tous
les participants
quelques dispositions pour les PED
L’Uruguay Round débute
en 1986 et il devait se terminer en 1990 mais il n’était
toujours pas terminé en décembre 1993. Le 15 avril
1994, les accords de Marrakech, closent l’Uruguay Round et donnent
naissance à l’OMC. L’OMC a deux problèmes à
résoudre : la non universalité du GATT, certains
produits en étant exclus (problème de l’intégration
des services), et le problème des nouvelles formes de
protectionnisme.
II.
Le débat actuel sur la mondialisation et sa responsabilité
dans la crise.
Parmi les facteurs qui
pourraient expliquer la rupture des taux de croissance après
1973, on évoque souvent le fait que les économies
étant plus ouvertes, les conditions de la croissance ont
changé, l’internationalisation accrue ayant fait pesé
sur les économies nationales une contrainte extérieure
forte, qui rendrait caduques les vieilles régulations,
notamment les politiques keynésiennes. Longtemps présentée
de façon presque unanime comme facteur de croissance, l’internationalisation
apparaît alors parfois comme une menace. L’objectif de cette
partie est de faire le point sur cette question de l’apport de
l’ouverture extérieure à la croissance et éventuellement
sur sa part de responsabilité dans la crise. En particulier,
on présente souvent la mondialisation comme la cause du
chômage et de l’augmentation des inégalités.
On a vu comment les négociations du GATT ont été
rendues plus difficiles par ce contexte de crise. On voit refleurir
avec plus de force les discours protectionnistes, sous-tendus
par cette idée que la mondialisation est coupable de tous
les maux.
La tentation protectionniste
n’est pas nouvelle
Les différentes
formes de protectionnisme d’hier à aujourd’hui .
La première grande
distinction passe entre les barrières tarifaires et les
barrières non-tarifaires :
les droits de douane : sous
forme de tarif spécifique (un forfait par unité)
ou autrement dit valorem (en pourcentage du prix de vente)
les restrictions quantitatives :
les prohibitions n’existent plus. En revanche, il existe des
quotas d’importation, par exemple les accords de restriction
volontaire d’exportations signés par le Japon et
les Etats-Unis : face à la montée des voitures
importées du Japon, les Etats-Unis ont décidé
d réagir, ils ont d’abord eu recours à la clause
de sauvegarde, en arguant du fait que l’augmentation importante
des importations de voitures en provenance du Japon avait détruit
200000 emploi entre 1978 et 1980. Mais ce recours a été
rejeté par le GATT comme non fondé (on a considéré
que les difficultés de l’industrie automobile américaine
venaient de la faiblesse de la demande et pas de la concurrence
japonaise directement). Les Etats-Unis ont ensuite négocié
en 1981 avec les japonais un accord d’auto-imitation des exportations :
on a fixé à 1.85 millions de véhicules
par an le nombre maximum de voitures japonaises exportées
aux Etats-Unis entre 1981 et 1985, à 2.3 millions par
la suite. Cet accord a été respecté, puisque
depuis 1981, la part des constructeurs japonais sur le marché
intérieur américain a plafonné à
22%. (0.2% en 1964, 4.6% en 1970, 22% en 1979). Les Japonais
ont d’ailleurs du coup choisi de s’implanter sur le territoire
américain, ce qui est une façon de contourner
ces mesures protectionnistes.
Ces accords d’autolimitation
sont couramment pratiqués aux Etats-Unis, en violation
des principes du GATT : 9% environ des importations aux Etats-Unis
sont touchés par de tels accords d’autolimitation.
les normes et mesures administratives :
par exemple les normes nationales sur la qualité des
produits, qui sont édictées au nom de la protection
des consommateurs (exemples : normes sanitaires dans l’agroalimentaire,
normes antipollution dans l’automobile, normes de sécurité,…).
Il est facile dans ce domaine de glisser insensiblement de la
protection du consommateur à des formes déguisées
de protectionnisme. Autre exemple : le conflit entre la
France et l’Allemagne sur les normes concernant la bière
dans les années 80. Un édit allemand du XVIème
siècle définit la composition de la bière,
selon des normes qui ne sont pas celles pratiquées par
les fabricants français. Quand la bière française
a gagné des parts de marché en Allemagne, les
pouvoirs publics allemands ont procédé à
des analyses des produits français et les ont déclarés
non conformes aux normes. Autre exemple : la France se
sert du nécessaire agrément de France Télécom
pour le matériel téléphonique et les fax
pour se protéger contre les importations en provenance
d’Asie du Sud-Est. La France a aussi utilisé des mesures
administratives en 1982, lorsque l’on cherchait à réduire
le déficit commercial :
obligation de mentionner le pays d’origine
sur les produits importés
rédaction en français
de tous les documents d’accompagnement
création d’un centre unique de
dédouanement des magnétoscopes à Poitiers,
alors qu’ils arrivaient d’Asie au port du Havre.
Les japonais enfin, se
sont fait une spécialité de ces usages protectionniste
des normes, notamment l’obligation qui est faite de respecter
une taille minimum pour les caractères sur les emballages,
ce qui favorise les langues à idéogrammes…
les subventions à l’ exportation
ou à la production. Elles génèrent
de nombreux conflits entre les Etats-Unis et la Communauté
Européenne, notamment au sujet de la politique agricole
commune et sur Airbus.
Les manipulations de taux de change :
pendant longtemps, on a accusé le Japon, puis les pays
d’Asie du Sud-Est (la Corée du Sud en particulier) de
sous-évaluer leur monnaie pour rendre leurs produits
plus compétitifs sur les marchés extérieurs.
Ces accusations posent différents problèmes :
comment peut-on définir le taux
de change de référence qui permettrait de juger
si une monnaie est dévaluée ou non, s’agit-il
du taux de change PPA, avec tous les problèmes posé
par l’estimation de ce taux de change ?….
les autorités monétaires
d’un pays sont-elles en mesure de manipuler durablement le taux
de change ?
Malgré ces limites,
certaines études empiriques concluent que cette arme a
été utilisée par le japon : le Yen aurait
été sous-évalué entre 1975 et 1978,
puis de 1979 à 1981, ce qui aurait permis une hausse des
parts de marché des entreprises japonaises à l’étranger
et une limitation des importations.
Bilan :
si on fait le tour des différentes pratiques protectionnistes,
on s’aperçoit que les pays riches ne craignent pas par
moment de pratiquer les différentes formes de protectionnismes,
y compris pour se protéger des pays du Sud.
Les arguments des
défenseurs du protectionnisme
Le protectionnisme éducateur
Dès le XIXème
siècle, il existe des opposants aux doctrines libre-échangistes
développées dans le cadre ricardien. Ils soulignent
les effets négatifs de la concurrence entre des nations
qui n’ont pas atteint le même niveau de développement.
C’est dans le contexte de la Révolution industrielle,
que se développent ces thèses, notamment en Allemagne,
aux Etats-Unis et au Japon, qui sont trois pays touchés
plus tardivement par cette révolution industrielle, qui
font donc plutôt partie de la seconde vague d’industrialisation.
L’expression la plus
connue de ces raisonnements sur les effets négatifs du
libre-échange, pour les pays qui démarrent et
connaissent donc un retard économique, a été
formulée par Friedrich List, en 1840, dans son Système
national de l’économie politique. Il est partisan
du Zollverein (union douanière en Allemagne, entre des
états, qui n’ont pas encore réalisé leur
unité politique) avec l’idée que l’unification
du marché intérieur va favoriser l’industrialisation,
à condition qu’il soit protégé de l’extérieur
par des barrières douanières. Il insiste sur le
fait que la puissance économique d’un pays vient de sa
capacité à développer une industrie, qu’il
existe donc des spécialisations plus avantageuses que
d’autres et qu’on ne doit donc pas s’en tenir à des avantages
comparatifs acquis : il ne suffit pas d’exploiter des avantages
acquis, il faut en construire, pour se spécialiser dans
des productions avantageuses. Il constate par ailleurs que les
écarts de développement sont déjà
importants et qu’un pays qui souhaite développer son
industrie, source de sa puissance, ne pourra pas résister
à la concurrence venue d’entreprises déjà
installées depuis longtemps sur e marché et bénéficiant
donc de coûts de production inférieurs (grâce
aux économies d’échelle et aux effets d’apprentissage).
Dans un premier temps, les biens importés seront plus
compétitifs que les biens fabriqués sur le marché
intérieur.
List préconise
un " protectionnisme éducateur ",
pour les industries " naissantes " ou " dans
l’enfance ". Il s’agit donc d’une protection temporaire,
le temps que l’industrie nationale puisse devenir compétitive.
(remarque : le problème est de savoir à quel
moment lever ces protections)
Cette thèse fait
l’objet d’un relatif consensus, y compris au sein du GATT, elle
y inspire les dispositions particulières en faveur des
PED.
En toile de fond de cette
thèse ou des thèses similaires défendues
aux Etats-Unis par Hamilton (1891, Report on manufactures),
il y a l’idée que l’Angleterre est libre-échangiste,
parce qu’elle est en avance économiquement et que le
libre-échange est profitable aux nations, à partir
du moment où elles en sont au même niveau de développement,
et à partir du moment où elles ont pu développer
suffisamment leur industrie.
En Allemagne, comme aux
Etats-Unis, dès les années 1870, les politiques
d’industrialisation se sont accompagnées d’un protectionnisme
important, alors que, suite à l’abolition des corn-laws
(1846), à la signature du traité de libre-échange
entre la France et l’Angleterre (1860), à l’établissement
du Zollverein (1866), on avait assisté plutôt à
un mouvement de libéralisation des échanges en
Europe, avec une baisse des droits de douane dès le milieu
du XIXème siècle. De 1861 à 1867 10 traités
de libre-échange sont signés en Europe, accordant
la clause de la nation la plus favorisée. Malgré
ces évolutions, on assiste ensuite à un retour
du protectionnisme, qui débute en 1865 aux Etats-Unis
avec la fin de la guerre de Sécession (victoire du Nord,
protectionniste contre le sud, libre-échangiste), suivis
par d’autres pays, dont l’Allemagne, dès 1879. Ce retour
à des mesures protectionnistes est directement lié
à des politiques volontaristes d’industrialisation. C’est
aussi le cas en France dès 1881 avec l’adoption d’un
tarif extérieur, puis en 1892 avec le vote de la loi
Méline, aggravée en 1910.
Aux Etats-Unis, en 1913,
le tarif moyen appliqué aux produits manufacturés
atteint 44%. C’est au Japon qu’on voit se développer
avec encore plus de netteté le lien entre nationalisme
économique et réussite : lien entre le politique
d’industrialisation de l’ère Meiji et le protectionnisme.
Les théories de l’échange
inégal
L’idée commune aux
théories de l’échange inégal, c’est que contrairement
à ce qu’affirment les modèles inspirés des
avantages comparatifs, tous les pays ne sont pas forcément
gagnants au libre-échange, parce que les avantages comparatifs
négligeraient les rapports de force internationaux, qui
font que certains pays fixent les règles du jeu à
leur avantage. Samir Amin, par exemple, insiste sur la différence
entre le " centre ", qui fixe les règles
du jeu, et la " périphérie ".
La domination du centre sur la périphérie, permet
le développement de l’échange inégal, qui
se fait au profit des pays riches et aux dépens des pays
pauvres, peut prendre différentes formes :
le rôle particulier joué
par les pays colonisateurs dans leurs anciennes colonies. Le
rôle de la période de colonisation a été
mis en avant par des auteurs qui remarquaient que les pays du
tiers-Monde sont souvent d’anciens pays colonisés. Le
rôle néfaste des colonisateurs, tel qu’il est présenté
par ces théoriciens, peut prendre différentes
formes :
longtemps, certains ont soutenu la
thèse du pillage des pays colonisés par les
pays colonisateurs, pillage notamment des matières premières,
mais aussi à travers l’exploitation de la main-d'œuvre.
Cette théorie du pillage a connu ses heures de gloire
dans les années 70, l’idée étant qu’une
grande partie du surplus généré par le
Sud est drainé vers le Nord, à cause des règles
de l’échange inégal, et du coup cela bloque l’accumulation
du capital au sud et donc le développement. Il est vrai
que l’échange Sud /Nord s’est organisé autour
des matières premières des pays du Sud, mais la
thèse est largement remise en cause aujourd’hui. Les
historiens insistent plutôt sur le fait que la colonisation
n’a pas été une opération économiquement
rentable et que son importance était surtout d’ordre
politique. C’est en particulier la thèse défendue
par Jacques Marseille au sujet de la France. D’ailleurs, l’essentiel
des matières premières consommées dans
les pays du centre est produit au centre. Paul Bairoch estime
qu’avant la seconde guerre mondiale, l’autosuffisance du Nord
était assurée : 96% environ. C’est aussi
la thèse défendue par Pierre-Noël Giraud,
qui écrit : " la croissance des pays riches
n’a pas reposé sur une exploitation privilégiée
des richesses naturelles du Tiers-Monde, sauf pour le pétrole . ".
Le Tiers-Monde n’assure aujourd’hui qu’une part assez faible
de la production mondiale de matières premières.
Si cette thèse du pillage est
largement contestée, il est plus largement admis que
les pays colonisateurs ont malgré tout joué une
influence en bloquant toute possibilité d’industrialisation
et de mise en œuvre d’un processus de rattrapage. Ce blocage
s’est parfois traduit par différentes actions qui ont
détruit les industries locales, qui commençaient
à se développer : on cite souvent le cas
de l’Egypte ou celui de l’Inde, qui est analysé par Paul
Bairoch (dans Le Tiers Monde dans l’impasse) : il
montre comment l’industrie textile indienne, qui fonctionnait
sur un mode assez artisanal a été complètement
détruite par la concurrence anglaise : la mécanisation,
qui s’accélère à partir de 1780, permet
de baisser les coûts de revient et donc les prix de vente
des cotonnades anglaises. Du coup, l’Angleterre a pu vendre
en inde ses cotonnades, alors que traditionnellement, elle importait
du coton brut en provenance de l’Inde. Ses importations ont
d’ailleurs fortement augmenté avec le développement
de l’industrie textile : en 1820, l’Angleterre consommait
40 fois plus de coton brut qu’en 1760. Dès 1813 l’Angleterre
contraint même l’Inde à lui acheter les cotonnades
embarquées à Liverpool. Il y a alors des arrivages
de cotonnades peu chères, le transport est facilité
par l’ouverture du canal de Suez (1869), qui réduit de
presque la moitié le trajet Inde - Angleterre.
Pour payer ces importations
de cotonnades, il fallait que l’Inde exporte et l’Angleterre l’a
encouragée à développer les cultures d’exportations,
en développant des exploitations appartenant à des
européens.
Le rôle des pays
colonisateurs a donc plutôt consisté à bloquer
l’industrialisation des pays colonisés et à leur
imposer une spécialisation peu avantageuse à long
terme dans les matières premières.
Si on analyse l’exemple
indien au regard des avantages comparatifs, on peut dire qu’il
était normal que l’Angleterre exporte des produits textiles,
puisqu’elle possédait un avantage comparatif dans ce domaine,
grâce à la mécanisation, mais ce que souligne
aussi cet exemple, c’est que la théorie des avantages comparatifs
ignore les effets de long terme de la spécialisation, le
fait que certaines spécialisations sont plus avantageuses
que d’autres.
en lien avec ce rôle des pays
colonisateurs, les théories de l’échange inégal
se sont souvent appuyées sur une analyse des termes
de l’échange, c'est-à-dire le ratio :
prix des exportations
prix des importations
Il était généralement
admis qu’il y avait eu une dégradation des termes de l’échange
pour les pays du tiers monde, en raison de leur spécialisation
dans les matières premières, dont les prix connaissent
des fluctuations importantes, généralement orientées
à la baisse. Cette question de la dégradation des
termes de l’échange est l’objet de débats. Jacques
Marseille la conteste : il reprend l’exemple donné
souvent : en 1954, on achetait une jeep contre 14 sacs de
café et en 1962 il en fallait 39. Il conteste d’abord les
années de référence : en 1954, le cours
du café avait atteint un record historique. Malgré
tout, il semble qu’il existe une tendance assez générale
à la dégradation : une enquête de la
banque mondiale a étudié l’évolution du rapport :
Prix des matières
premières (hors pétrole)
Prix des importations
industrielles
Ce rapport passe de l’indice
145 en 1948 à l’indice 100 en 1989, soit une baisse de
45%. On retrouve les mêmes résultats pour la période
1968-88 : la dégradation des termes de l’échange
atteint 41% pour les matières premières et 14% pour
les produits manufacturés.
au delà du débat sur la
pertinence des théories de l’échange inégal,
ce qu’on peut observer, c’est qu’historiquement, les partisans
du libre-échange ont presque toujours été
des nations économiquement dominantes, c’était
déjà vrai pour l’Angleterre du XIXème siècle.
Et que dans les périodes de crise, les tentations protectionnistes
sont plus fortes. Aujourd’hui, les pays d’Asie du Sud-Est reprochent
à l’Europe et aux Etats-Unis d’être trop protectionnistes
et leur demandent d’ouvrir davantage leurs marchés.
Les différents
éléments du débat actuel sur la mondialisation
Premier débat
autour de l’importance des changements intervenus dans les relations
économiques internationales.
Que désigne-t-on derrière
le terme de mondialisation ?
On a utilisé ce terme de mondialisation
ou de globalisation (tiré de l’anglais) pour désigner
l’accélération et l’approfondissement de l’internationalisation,
avec l’idée que l’approfondissement des échanges
allait de pair avec un changement de nature de ces échanges.
Au delà de l’idée de changements quantitatifs et
qualitatifs dans les mouvements d’internationalisation des économies,
il règne un certain flou sur l’utilisation de ce terme.
Robert Boyer, dans un ouvrage collectif intitulé,
La mondialisation : mythes et réalités,
distingue 4 définitions par ordre d’apparition chronologique,
en montrant que le terme a d’abord désigné des changements
dans le mode de gestion des firmes, puis une nouvelle étape
dans l’internationalisation des économies capitalistes.
Les quatre acceptions du terme mondialisation sont les suivantes,
par ordre d’apparition chronologique :
1983, c’est Théodore Lewitt
qui utilise le terme pour désigner le fait qu’il
y aurait désormais convergence de tous les marchés
nationaux, la " société globale "
vendrait le même produit partout, comme si il existait
un marché mondial, en ne s’adaptant que lorsque c’est
nécessaire aux spécificités nationales.
C’est une analyse qui cherchait à rompre avec celle du
cycle de vie du produit. Ici, le terme ne désignait donc
qu’une stratégie de vente, utilisée par les firmes
multinationales.
1990 : Kenichi Ohmae, utilise
le terme pour désigner le fait que certaines firmes conçoivent
la totalité de leur stratégie à l’échelle
mondiale : la recherche et le développement, l’ingénierie,
la production, la commercialisation, le financement, tout serait
géré par ces firmes à l’échelle
mondiale. Pour cet auteur, la mondialisation est la dernière
étape d’un processus d’internationalisation des firmes :
d’abord, elles produisent chez elles
et exportent à l’étranger
ensuite, elles établissent des
réseaux commerciaux et des ponts de vente à l’étranger
ensuite, elles produisent à l’étranger,
en y créant des filiales
enfin, c’est le stade de l’intégration
globale : elles pensent tout directement au niveau mondial.
3ème définition :
elle correspond à l’idée que les firmes globalisées
chercheraient à définir de nouvelles règles
du jeu international, en s’affranchissant le plus possible de
la tutelle des Etats.
4ème définition,
qui est celle la plus couramment utilisée : la globalisation
apparaît comme une nouvelle étape dans l’histoire
du capitalisme mondial, avec l’idée d’un approfondissement
des interdépendances entre les différents pays,
qui se manifesterait notamment par le mouvement de dérèglementation,
qui a accompagné la mondialisation. Cette dernière
étape serait marquée aussi par la disparition
des conjonctures nationales au profit d’une conjoncture mondialisée.
En apparence, les changements
sont spectaculaires
® un fort
développement des échanges
On observe depuis 1945, un fort développement
des échanges : les flux mondiaux de marchandises,
sont passés de 63 milliards de $ en 1950 à 2100
milliards en 1986, en volume, ils ont été multipliés
par 9 sur la période, alors que la production mondiale
n’a été multipliée que par 4.8. Autres estimations :
entre 1947 et 1992, les échanges internationaux ont été
multipliés par 64 en valeur, passant de 57 milliards de
$ à 3650 milliards de $ (services exclus). En volume, ils
ont progressé 40% plus vite que la production mondiale.
Malgré le ralentissement de la croissance,
le commerce international a continué à croître
plus vite que la production : +5.3% par an entre 1984 et
1994, les exportations mondiales ont augmenté de 5% par
an sur la période, alors que la production connaissait
une quasi-stagnation en n’augmentant que de 0.5% par an. C’est
le contraire de ce qui s’était passé dans l’entre-deux-guerres,
où la crise s’était accompagnée d’une contraction
forte des échanges.
Ce fort développement ne concerne pas
seulement les biens matériels, il concerne aussi les flux
d’invisibles, c'est-à-dire les revenus liés au tourisme,
aux activités financières internationales, les opérations
d’assurance, les revenus et dépenses engendrés par
les transports, l’utilisation de connaissances scientifiques ou
de technologies (comme l’achat de brevets ou de licences), auxquels
il faut ajouter les transferts de revenus par la main-d'œuvre
immigrée et les mouvements de capitaux, liés aux
rapatriements de bénéfices ou aux prêts bancaires.
En 1967, les invisibles ne représentaient que ¼ des transactions
courantes, ils en représentaient 31% en 1985.
®
une forte croissance de l’ouverture des économies,
résulte de ce développement des échanges
plus rapide que la croissance de la production mondiale.
Au lendemain de la guerre, les importations et
les exportations de biens et services représentaient respectivement
10% et 12% du PIB. Au début des années 90, elles
dépassaient 20% du PIB. En 1996, les importations représentaient
21.4% du PIB et les exportations 24%. Cette hausse du degré
d’ouverture a bien entendu accru le poids de la contrainte extérieure.
On peut mesurer le degré d’ouverture de
différentes façons :
le coefficient de dépendance,
qui mesure la dépendance à l’égard de l’extérieur
en matière d’approvisionnement : (importations /
PIB)´ 100
le coefficient d’ouverture : (exportations
/ PIB)´ 100. Il mesure le degré
de dépendance en matières de débouchés.
Le taux d’ouverture :
La montée des interdépendances
se mesure par exemple par l’augmentation du second ratio :
1960
1970
1980
1990
Japon
10.7
10.8
14.9
11
Etats-Unis
5.1
5.8
10
10
Allemagne
19
21.2
26.5
34.2
France
14.5
15.8
21.5
24.3
Ce degré d’ouverture varie selon les pays :
aux Etats-Unis, au début des
années 70, les importations représentaient 4%
du PIB et les exportations 6%. Les Etats-Unis sont traditionnellement
peu ouverts sur l’extérieur, mais ces parts ont doublé
dans les années 80 et le taux d’ouverture est aujourd’hui
stabilisé autour de 10%.
Le degré d’ouverture du japon
a peu varié, il se situe autour de 7%.
Les pays européens sont plus
ouverts que les autres grâce au développement des
échanges intra-européens, si l’on prend l’ensemble
des 15, le degré d’ouverture est resté stable,
autour de 8% à 9%.
® un fort
développement des investissements à l’étranger,
notamment des investissements directs.
Quelques définitions : l’investissement
à l’étranger peut prendre deux formes :
investissements directs, on considère
par convention qu’il s’agit d’un investissement direct si l’investisseur
étranger possède au moins 10% des actions ordinaires
de droit de vote : on considère qu’en acquérant
10% ou plus du capital d’une entreprise, on réalise un
investissement à long terme, pas seulement un placement,
qui permet éventuellement d’exercer une influence sur
la gestion de l’entreprise.
investissements de portefeuille :
il s’agit de ceux pour lesquels au contraire on acquiert moins
de 10% des actions ordinaires.
Le développement des échanges commerciaux
n’est pas le seul canal d’approfondissement du mouvement d’internationalisation.
Depuis les années 60, les firmes ont développé
la création d’établissements à l’étranger,
ce qui a correspondu au développement des firmes multinationales.
Le développement des investissements
directs est très marqué dans les années 80 :
le flux de ces investissement a été multiplié
par 7 en 15 ans :
40 milliards de dollars au début
des années 80
290 milliards en 1995
350 milliards en 1996
De 1986 à 1990, le cumul de flux d’investissements
annuels recensés par le FMI atteint 650 milliards de dollars
contre 220 pour les cinq années précédentes.
Au total sur la décennie 80, 870 milliards de $ contre
290 milliards seulement dans les années 70. On retrouve
le même mouvement d’accélération pour tous
les pays occidentaux, c’est particulièrement vrai pour
le Japon : à partir de 1995 la production à
l’étranger des producteurs automobiles japonais a dépassé
le montant de leurs exportations, plus généralement
les investissements à l’étranger représentaient
17 milliards de $ en 1980 et 217 milliards en 1991.
La France a elle aussi beaucoup développé
ses investissements directs à l’étranger, à
partir surtout de 1986 : entre 1981 et 1986, le flux est
de 20 milliards de francs, il atteint 200 milliards en 1990, soit
une croissance de 50%/an en moyenne pendant 5 ans. On observe
par la suite une diminution puis une nouvelle augmentation à
partir de 1996. Parallèlement, on observe une réorientation
des flux d’investissements français : davantage en
direction des PED, notamment ceux d’Asie et les PECO (pays d’Europe
Centrale et Orientale) : l’OCDE ne représente plus
que 78% des investissements alors qu’en 1990 elle représentait
encore 97%. Remarque : la France est aussi terre d’accueil
desinvestissements étrangers : elle occupe le troisième
rang mondial en 1996.
On peut nuancer l’ampleur des
changements intervenus
® en examinant
les résultats
· l’exportation
reste malgré tout le principal vecteur d’échange,
nettement avant la production des filiales établies à
l’étranger. les entreprises américaines par exemple,
n’ont que peu internationalisé leur production : parmi
les firmes manufacturières, seule Ford emploie plus de
50% de ses salariés à l’étranger. Au Japon,
Sony emploie 55% de ses salariés à l’étranger,
mais il figure d’exception. Ne sont réellement globalisées
(au sens de firme globale, définition 2) que quelques multinationales
de petits pays très ouverts, comme Nestlé (Suisse),
qui emploie 96% de ses salariés à l’étranger.
· le technoglobalisme,
c'est-à-dire l’idée, selon laquelle il existerait
des accords au niveau mondial entre frimes pour fusionner leurs
capacités technologiques et développer des savoir-faire
communs, est plutôt démentie. Il existe des exemples
d’accords de ce type dans l’électronique ou les télécommunications,
qui visent à partager des coûts très élevés
de R&D et à e faire porter la concurrence que sur les
produits dérivés de ces innovations. Mais ces accords
ne sont pas une généralité et la plupart
des pays pensent les innovations comme une source importante de
leur compétitivité et les firmes ne cherchent que
rarement à diffuser des innovations dans des territoires
étrangers. Les brevets restent très souvent nationaux.
Seuls quelques petits pays comme les Pays-Bas, la Suisse ou la
Suède ont réellement un système d’innovations
internationalisées.
· dans les
sources de financement des entreprises, on ne voit pas non
plus beaucoup de traces de la globalisation. Elles financent l’essentiel
de leurs activités sur les marchés locaux. General
motors et Ford ne financent qu’1/3 de leurs actifs à l’étranger,
IBM la moitié. Les firmes continuent à dépendre
majoritairement des règles en vigueur ans leur propre pays.
D’ailleurs Boyer fait remarquer, comme d’autres observateurs,
que le fort développement des flux de capitaux devrait
rendre les firmes moins dépendantes des capacités
d’épargne nationale, mais il montre que le taux d’investissement
reste encore fortement corrélé u taux national d’épargne
et reste peu sensible à l’ampleur des flux de capitaux.
Il prend l’exemple de la crise mexicaine de 1994-1995, pour montrer
qu’il est difficile de financer des projets d’investissement ambitieux,
sans épargne nationale suffisante. A contrario, si les
pays du Sud-Est asiatique connaissent des croissances plus rapides
qu’en Amérique Latine, c’est aussi parce qu’ils épargnent
deux fois plus, les investissements étrangers n’étant
qu’un appoint à un processus interne.
· la mobilité de la
main d’œuvre reste très limitée, le capital
est du coup nettement plus mobile que le travail, conséquence :
les investissements se dirigent vers les réserves de main-d'œuvre,
il s’agit pour Boyer davantage de délocalisation de la
production que de globalisation de la politique d’emploi des firmes.
· la loi du
prix unique, qui devrait être vérifiée
si on se trouvait dans une économie réellement mondialisée,
puisque la concurrence généralisée entraînerait
la convergence des prix mondiaux pour une même marchandise,
or elle n’est pas vérifiée.
Exemple : on observe en moyenne des différences
de 20% dans le prix des modèles automobiles au sein des
pays européens et des écarts plus importants encore
pour les modèles haut de gamme. Autre exemple : au
printemps 1996, l’indice du coût de la vie pour un cadre
expatrié allait de 90 à Rome, 130 à Paris,
100 à New-York, 180 à Tokyo. Le prix de l’essence
varie de 5 cents /litre à Carracas à 150 cents
/litre à Vienne (la différence renvoie ici au pouvoir
discrétionnaire des Etats de taxer certains produits peu
substituables ou très liés à l’espace national.
On observe la même chose pour les prix agricoles, qui eux
aussi varient en fonction des subventions).
· la conjoncture
mondiale est un mythe pour le moment. Il est vrai que les
marchés boursiers et financiers sont devenus très
interdépendants, mais il persiste au-delà de fortes
particularités nationales.
Exemple : en mai 1996, les conditions de
rémunération, c'est-à-dire le rapport valeur
des actions/ rémunération, variait de 110 au Japon
à 10 en Suède, il était de 70 en France et
de 30 en Allemagne et ces écarts ne semblent pas se réduire
au cours du temps. On observe la même chose pour les cycles
d’optimisme ou de pessimisme, même au sein de l’Europe.
® en resituant
les mouvements récents dans le plus long terme ;
Le mouvement d’internationalisation est ancien :
on peut citer à ce sujet les
analyses de Fernand Braudel sur l’histoire des " économies-mondes " :
il décrit le capitalisme mondial du XVème au XVIIIème
siècle, comme une série d’économies-mondes.
Ces économies-mondes sont centrées sur une ville,
qui est au cœur d’un réseau de villes étrangères.
Les villes qui sont au centre de l’économie-monde
en Europe ont souvent changé au cours des trois siècles :
1380 à 1500, durant tout le XVème
siècle, c’est Venise qui détient l’hégémonie.
on assiste à une fluctuation
de l’hégémonie entre les Flandres et l’Italie
du Nord (suite à la découverte de l’Amérique
et d’une route maritime vers l’Inde, passant par le Sud de l’Afrique,
Venise perd sa position hégémonique) : entre
1500 et 1550 c’est Anvers qui est au centre puis de 1550 au
début du XVIIème siècle, c’est Gênes
qui domine.
C’est ensuite Amsterdam qui domine pendant
le XVIIIème siècle
Enfin c’est Londres qui prend le relais.
Entre le Xvème et le XVIIIème siècle,
on a un capitalisme international, qui prend la forme de ces réseaux
de relations entre villes étrangères, avec au centre
une ville dominante, le capitalisme ne se développe pas
sur la base des territoires nationaux pour ensuite s’internationaliser,
il est d’emblée mondial avant même d’être national.
Braudel note ensuite que l’économie-monde
européenne a comme particularité d’étendre
ses réseaux à d’autres économies-mondes dès
le Xvème siècle : elle devient vite hégémonique
en Amérique, après les grandes découvertes,
et elle ouvre ses premiers comptoirs en Asie, de plus la traie
des Noirs la met très tôt en relation avec l’Afrique.
Au XVIIIème siècle, l’économie-monde européenne
pénètre réellement en Inde et en Insulinde,
même si les Hollandais et les Portugais y avaient déjà
établi des réseaux.
progressivement, en plus de ce " capitalisme
nomade " (l’expression est de Pierre-Noël Giraud),
se constituent des marchés intérieurs importants,
où se développent des relations marchandes. C’est
d’abord le cas en Angleterre, au moment de la Révolution
Industrielle (cf. cours sur les innovations) puis en Europe
dans la seconde moitié du XIXème siècle.
On assiste parallèlement à des progrès
importants dans les transports, que se soit pour les chemins
de fer o pour les transports maritimes (le tonnages des bateaux
à vapeur dépasse celui des clippers vers 1895).
La première ligne de chemin de fer est ouverte en 1825
en Angleterre, en 1830 aux Etats-Unis, en 1832 en France, en
Allemagne en 1836. En 1860, 100000 kilomètres de lignes
sont réparties dans 35 pays.
Ces possibilités entraînent un développement
des échanges commerciaux : Entre 1860 et 1913, le
commerce mondial de marchandises est multiplié par 7 en
volume. Les industries exportent déjà le quart de
leur production en 1913 (26% pour la France, 31% pour l’Allemagne
et% pour la Grande-Bretagne). On assiste déjà à
l’époque à des débats sur le protectionnisme
et le libre-échange : la Grande-Bretagne est libre-échangiste,
forte de sa grande avance, les autres pays qui ont suivi, ont
été plus ou moins protectionnistes. Boyer rappelle
que dès le XIXème siècle, les conjonctures
nationales sont en partie liées et que la baisse des coûts
du transports entraîne un redéploiement des avantages
comparatifs entre pays industrialisés (il fait un parallèle
intéressant avec l’introduction aujourd’hui des technologies
de l’information, qui redéploie les avantages comparatifs,
non pas cette fois-ci entre pays industrialisés, mais entre
pays émergents et pays de vieille industrie).
ces évolutions aboutissent
à la veille de la première guerre mondiale à
une situation qui ressemble un peu à la situation actuelle.
Pour la France, le taux d’extraversion (commerce international
/production) : il est de 12.9% en 1913, il chute à
6.2% en 1938 et augmente ensuite sans interruption jusqu’en
1993 pour atteindre 14.3%. Le taux d’extraversion observé
aujourd’hui n’est donc pas sans précédent. Plus
généralement, c’est le cas pour l’ensemble des
pays : les échanges tiennent dans les années
80 une place équivalente dans le PIB à celle qui
existait au début du siècle. Cela s’explique par
le fait que la crise des années 30 et la seconde guerre
mondiale avaient entraîné une contraction importante
des échanges, donc le mouvement d’ouverture des trois
dernières décennies a compensé le mouvement
antérieur de contraction.
Le taux d’exportation (exportations /PIB)´
100 a évolué dans les différents pays de
la façon suivante :
1910
1920
1950
1980
Etats-Unis
6
10
4
9
Allemagne
16
7
8
24
France
15
15
11
17
Royaume-Uni
21
22
16
24
Ford installe ses premières usines à
l’étranger en 1913 (en Grande-Bretagne), puis en 1916 au
Canada, suivi par d’autres grandes firmes américaines.
Le phénomènes de multinationalisation est donc relativement
ancien.
Enfin, l’essor des investissements directs poursuit
un mouvement de long terme : le flux d’investissement rapporté
au PIB est de 3% en 1913 et de 4% en 1990 (qui représente
un pic). Il y a simplement eu des changements dans l’origine et
la destination de ces investissements. En 1913, il s’agissait
essentiellement d’investissements britanniques. Après 1945,
les investissements étrangers sont massivement d’origine
américaine, on observe ensuite une diversification avec
les japonais et les européens.
Bilan : Si on prend
en compte le temps long et en particulier l’échelle de
tout le siècle, les phénomènes qui apparaissent
comme radicalement nouveaux par rapport à l’époque
des Trente Glorieuses et aux années 60, ne sont pas si
nouveaux comparés à la situation au début
du siècle.
des changements importants sont
malgré tout survenus dans l’économie mondiale
depuis les années 70
® tout d’abord
dans le fonctionnement du système monétaire international,
les perturbations du système de change ont pu avoir des
conséquences sur les échanges, en contribuant à
perturber le jeu des compétitivités nationales.
® le mouvement
de globalisation financière : on verra dans le chapitre
sur cette question que, s’il est possible de nuancer l’ampleur
des changements intervenus dans la mondialisation de la production,
on peut difficilement contester l’importance des changements intervenus
dans le système financier international, avec une explosion
des mouvements de capitaux.
® la montée
en puissance des NPI, c'est-à-dire la redistribution des
cartes de la puissance :
historiquement, les pays d’Europe Occidentale
sont les premiers touchés par la révolution Industrielle,
qui se diffuse ensuite au cours du XIXème siècle
aux Etats-Unis, à l’Europe Orientale et au Japon. Parallèlement,
les deux grandes puissances industrielles qu’étaient
l’Inde et la Chine, sont marginalisées, le lien avec
les politiques coloniales.
Jusqu’en 1960, on n’observe pas réellement
de bouleversements dans la hiérarchie entre les pays industrialisés
et les autres. Seuls certains pays d’Amérique latine s’industrialisent
pendant les deux premiers tiers du XXème siècle,
mais ils pèsent très peu dans la production mondiale.
La situation en 1960 est proche de celle du début
du siècle : les pays développés réalisent
les ¾ de la production mondiale manufacturière et les actuels
PED moins d’1/10ème, les pays d’Europe de l’Est
moins d’1/6ème.
- la situation a commencé à changer
à partir des années 60, en raison d’un mouvement
rapide d’industrialisation en Asie du Sud-Est. Au milieu des années
90, la part des pays développés est revenue à
2/3, celle des pays communistes à 1/10 et celle des PED
à ¼ de la production manufacturière mondiale. Cette
poussée industrielle se traduit aussi dans la part des
PED dans le PIB mondial : 40% du PIB mondial est réalisé
dans les PED. Six des NPI font désormais partie des 15
premières puissances économiques au niveau mondial :
il s’agit de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Indonésie,
du Mexique et de la Corée du Sud. La chine pèse
le même poids que le japon, l’Inde pèse le même
poids que la France et le PIB indonésien dépasse
celui du Canada. Taïwan et la Thaïlande devraient avoir
rejoint ce groupe des 15 premiers vers 2020 (chassant l’Espagne
et le Canada). A l’horizon de 2020, la Chine devrait avoir un
PIB supérieur de 40% à celui des Etats-Unis. La
part de ce qu’on appelle aujourd’hui les PED serait de
60% dans le PIB mondial.
Cette montée en puissance des PED est
en fait largement une montée en puissance des NPI d’Asie.
Depuis 1979, l’Asie en développement a doublé sa
part dans le PIB mondial, c'est-à-dire qu’elle occupe aujourd’hui
une part plus importante que celle des Etats-Unis ou celle de
l’Europe Occidentale. Dans le même temps la part des autres
régions en développement (Amérique latine,
Afrique subsaharienne, Maghreb) a diminué sous l’effet
de la crise de la dette et du contre-choc pétrolier. Cette
poussée asiatique s’explique par une meilleure insertion
dans les échanges internationaux, cette insertion se manifeste
à la fois pour les exportations et pour les importations.
Ce sont les NPI d’Asie qui sont responsables de la quasi-totalité
de l’augmentation de la part des PED dans les exportations mondiales :
la part des PED passe de 5% en 1970 à 22% en 1993. Autre
indicateur, la part des PED sur les marchés mondiaux de
produits manufacturés a aussi beaucoup augmenté :
elle passe de 3% en 1970 à 17% en 1993. On observe parallèlement
une hausse des importations, même si les NPI sont très
critiqués pour leur protectionnisme, on peut les considérer
comme des locomotives de la demande mondiale : leur poids
dans les importations mondiales dépasse celui des Etats-Unis
ou celui de l’Allemagne et du Japon réunis.
On peut résumer ces évolutions :
1977
1985
1993
Part de l’Asie
en développement dans les exportations mondiales
7.6%
11.3%
16.6%
Part de l’Asie
en développement dans les importations mondiales
8%
11.9%
17.9%
Il faut remarquer plusieurs choses :
la montée en puissance des NPI
s’est accompagnée aussi d’une augmentation de leurs importations.
Krugman insiste beaucoup sur ce point.
Cette montée en puissance ne
s’est pas faite au détriment des pays du Nord :
ils réalisent encore 70% du commerce
mondial
4/5 ème des échanges internationaux
de font au sein de la triade Etats-Unis , Europe, Japon.
Si on examine la part des pays du G7
dans les échanges, on ne peut pas parler de recul :
1977
1985
1993
Part dans les exportations
mondiales
50.5%
52.1%
52.8%
Part dans les importations
mondiales
50.9%
53.5%
49.8%
Enfin, pour relativiser l’idée
selon laquelle on subirait de plein fouet la concurrence des
NPI d’Asie, il faut noter que l’essentiel des échanges
pour les pays industrialisés se font avec d’autres pays
industrialisés : le commerce Nord-Nord représente
l’essentiel du commerce mondial. Il suffit pour le remarquer
d’observer les matrices du commerce mondial
Mondialisation chômage et inégalités
La montée en puissance des NPI, pays à
bas salaires, est souvent présentée dans l’opinion
publique comme une cause de chômage et de creusement des
inégalités. Les économistes sont partagés
sur ce sujet, on peut distinguer deux options :
une option optimiste, qui explique que
ces pays tirent profit de leurs avantages comparatifs et que
ça n’est pas très nouveau, que ce sera profitable
si les pays de vieille industrie adaptent leur spécialisation.
Dans cette version, il se pose juste un problème d’ajustement
et d’accompagnement par des politiques sociales pour indemniser
les " victimes " du libre-échange
(parallèle avec l’introduction d’innovations).
une option plus pessimiste, qui souligne
les risques pour les travailleurs les moins qualifiés
des pays riches.
Le point sur l’évolution
des inégalités dans les pays riches.
Alors qu’on avait longtemps cru que
la courbe de Kuznets était vérifiée,
c'est-à-dire qu’on observait au cours du processus de
développement une évolution en Ç
des inégalités, on observe à partir des
années 80 un creusement des inégalités
dans les pays riches ou au moins pour certains une stagnation
de la diminution des inégalités. Sur cette question
des inégalités, les travaux de référence
sont ceux de Thomas Piketty, on peut par exemple lire son repère
L’ économie des inégalités.
On peut mesurer l’évolution de
ces inégalités de différentes façons,
l’indicateur le plus utilisé est l’écart interdécile.
La méthode est la
suivante : on classe la population par ordre de revenu croissant,
puis on la répartit en 10 tranches de 10%. Le décile
peut désigner deux choses :
Parfois la moyenne des
revenus pour les ménages situés dans la tranche,
parfois la borne supérieure de la tranche. Ainsi, le décile
1 (D1) peut désigner la moyenne des revenus pour les 10%
les moins biens payés (c’est le cas dans les tableaux présentés
par Piketty). Le décile peut aussi désigner la limite
supérieure de la première tranche de 10%, c'est-à-dire
le salaire au-dessous duquel se situent les 10% de salariés
les moins bien payés. Quand on adopte la première
notation, on appelle généralement P , P , ….P les
valeurs limites séparant les différentes tranches
de revenus.
L’écart interdécile,
généralement noté D /D ou selon le premier
type de notation P /P , mesure le rapport entre ce que gagne
au moins les 10% les plus riches et ce que gagnent au plus les
10% les plus pauvres. En France aujourd’hui cet écart est
de 3.2, les 10% les plus riches gagnent plus de 3.2 fois plus
que les 10% les moins bien payés. C’est donc un indicateur
qui ne mesure pas les écarts maximums observés,
puisqu’il élimine du calcul de l’écart des revenus
la première tranche et la dernière.
On ne mesure pas la même
chose lorsqu’on compare des revenus moyens entre la tranche la
plus élevée et la tranche la plus basse :
D /D (notation Piketty)
= salaire moyen des 10% les mieux payés / salaire moyen
des 10% les moins bien
payés
Ce rapport est de 4.9 en
France aujourd’hui, ce qui signifie qu’en moyenne les 10% de salariés
les mieux payés gagnent 4.9 fois plus que les 10ù
de salariés les moins bien payés.
Piketty étudie l’évolution
des inégalités depuis les années 70, en étudiant
l’évolution de l’écart interdécile pour les
salaires, il obtient les résultats suivants :
1970
1980
1990
Etats-Unis
3.2
3.8
4.5
France
3.7
3.2
3.2
Royaume-Uni
2.5
2.6
3.3
Suède
2.1
2.0
2.1
L’inégalité
n’a réellement augmenté qu’en Grande-Bretagne et
aux Etats-Unis, dans les autres pays les inégalités
ont cessé de décroître. Aux Etats-Unis, l’augmentation
des inégalités a été de 50%, ce qui
les ramène au niveau de l’entre-deux-guerres. Piketty fait
remarquer que si la France a réussi à éviter
la réouverture de l’éventail des revenus disponibles,
c’est grâce à une politique de revenus de transfert
et surtout, qu’une autre forme d’inégalité se développe
c’est celle face à l’emploi et il conclue sur le fait que
les inégalités face aux revenus du travail ont augmenté
dans tous les pays depuis les années 70, sous une forme
ou sous une autre.
Les arguments de l’optimisme
®
l’examen des avantages liés aux bas salaires
les bas salaires sont
une forme particulière d’avantage comparatif, qui est le
revers d’une spécialisation dans des biens à faible
contenu technologique. Il faut nuancer cet avantage, puisque ce
qui influence les coûts de production dans ce domaine, ce
sont les coûts salariaux combinés à la productivité
du travail et comme souvent les pays à bas salaires sont
aussi des pays où la productivité du travail est
faible, l’avantage en termes de coûts salariaux est moindre
que ce que laisserait penser une simple comparaison en termes
de salaires horaires. En effet,
coût salarial unitaire
=
(par unité produite)
donc coût salarial
unitaire =
Quand la productivité
du travail augmente alors, selon Krugman, les salaires augmentent.
Il appuie son analyse sur des exemples historiques : le salaire
moyen au japon représentait 10% du salaire moyen américain
il y a 30 ans, à une époque où le Japon avait
des niveaux de productivité très faibles par rapport
aux niveaux américains. Aujourd’hui, après la phase
de rattrapage rapide, les niveaux moyens de salaires au Japon
atteignent 110% des niveaux américains. Krugman insiste
sur le fait que plus récemment on a observé la même
convergence des salaires pour la Corée du Sud. L’argument
consiste donc à dire que l’avantage en termes de bas salaires
reflète une spécialisation dans certains biens incorporant
peu de technologie et donc que dans les pays concernés,
au début de leur phase d’industrialisation, les niveaux
de productivité sont faibles et que si ces pays se développent
et atteignent nos niveaux de développement et donc de productivité,
alors les salaires convergeront automatiquement vers nos niveaux
de salaires. L’argument de la concurrence abusive par les bas
salaires reflèterait donc selon Krugman une méconnaissance
des vertus du libre-échange fondé sur la spécialisation
en fonction des avantages comparatifs.
De plus, certaines études
observent que en matière de délocalisations d’entreprises
américaines, les bas salaires ne sont pas toujours le critère
essentiel d’orientation des flux d’investissement, il existe d’autres
critères comme la stabilité des prix, celle du taux
de change, ou encore la stabilité politique. Les nouvelles
formes de concurrence ne se font pas que par les prix, la compétitivité-prix
n’est pas le seul élément explicatif et certains
spécialistes du tiers monde évoquent un déclin
de l’avantage par les coûts.
®
les études empiriques concernant la France
Les pays qui exportent
plus chez nous, se développent grâce à cette
stratégie de croissance par les exportations et du coup
importent massivement les biens d’équipement dont ils ont
besoin pour assurer leur développement. Les mêmes
études mettent en évidence le fait que les pays
en question ont des taux d’épargne élevés
et que c’est le gage de taux d’investissement élevés,
typiques des phases d’industrialisation rapides.
Si l’on veut estimer les
effets sur l’emploi de cette concurrence de certains pays du Sud,
il faut examiner les effets croisés des importations et
des exportations. C’est ce qu’ont fait différentes études
empiriques : la plus connue est celle de Claude Vimont, qui
est l’auteur de nombreux articles, puis d’un livre intitulé
Concurrence internationale et balance en emplois. Son étude
porte sur la période 1988-1995. La méthode utilisée
est la suivante, par exemple pour l’année 1995 :
il estime le nombre d’emplois créés
en 1995 grâce aux exportations à 3.3 millions
il calcule ensuite le nombre d’ " équivalents-emplois "
détruits par les importations et l’estime à 3.2
millions environ.
Il en conclue que le solde est de 115
000 emplois, c'est-à-dire que le commerce extérieur
a permis de créer 115000 emplois en France en 1995.
Il ne tient pas compte dans ses estimations
de l’agroalimentaire ou des services parce qu’il s’agit de produits
qui ne sont pas librement localisables. Le problème réside
dans la difficulté d’évaluer précisément
et de façon fiable le nombre d’emplois créés
et détruits. Les entreprises exportatrices par exemple
ne travaillent que rarement uniquement pour l’exportation, il
faut alors estimer la part de leur production qui est exportée
et la part du temps du personnel qui est consacrée à
l’activité en vue d’exporter… La tâche d’estimer
le nombre d’emplois qui seraient maintenus en France si on n’importait
pas est encore plus délicate : faut-il estimer le
nombre d’emplois en fonction des emplois dans des entreprises
françaises pratiquant la même production que celle
qui est importée ? Est-ce toujours possible ?
Claude Vimont trouve que
le solde de la balance en emplois est positif pour 1993, 1994
et 1995 mais négatif entre 1988 et 1992. (le solde de la
balance en emplois serait de –245000 en 1988 ; - 303000 en
1989 ; -319000 en 1990 ; - 219000 en 1991 ; - 87000
en 1992).
Il précise ensuite
ce qui se passe pour nos échanges avec les pays d’Asie
du Sud-Est :
pour la Corée du Sud, on perdait
15000 équivalents-emplois en 1988, mais depuis la balance
serait à nouveau équilibrée
même évolution pour l’ensemble
du Sud-Est asiatique, on passe d’une perte de 43000 emplois
à un gain de 47000
la seule exception concerne la Chine,
la France exporte assez peu en Chine, nous perdons en 1995 56
000 emplois dans notre commerce avec ce pays.
C’est avec les pays de l’union européenne
que nous enregistrons des soldes négatifs : -80
000 emplois en 1995.
Enfin, il montre que les effets sur l’emploi
varient selon les secteurs :
très positifs pour l’aéronautique
(+144 000 emplois), pour l’automobile ou la parachimie
négatifs pour le textile (-58
000) ou la fabrication des machines de bureau.
Une autre étude de Claude Vimont sur la
France en 1991 montre que nos échanges avec le Sud ont
permis la création de 106000 équivalents-emplois,
mais grâce au tourisme. Si on ne raisonne que sur le solde
manufacturier, le solde est négatif avec l’Asie du Sud-Est,
surtout si on considère le solde d’emplois peu qualifiés.
La méthode des équivalents-emplois
a été critiquée parce qu’elle ne tient pas
compte de trois choses :
le consommateur français voit
son pouvoir d’achat augmenter grâce à l’importation
de produits moins chers, cela fait un supplément de revenu
pour l’économie
les importations augmentent le pouvoir
d’achat des pays du Sud, qui peuvent donc nous acheter davantage
de biens d’équipement.
les importations évincent une
partie de notre production nationale. Une étude de l’OFCE
tient compte des ces effets : elle évalue le nombre
d’emplois perdus en France entre 1974 et 1992 dans une fourchette
comprise entre 190000 et 230000. Cette étude explique
que, dans ces conditions, ça n’explique que 0.5 à
0.6 points de chômage et qu’on ne peut donc pas y voir
la cause principale de l’augmentation du chômage de masse.
® Ces études
nourrissent l’idée que les véritables causes du
chômage et du creusement des inégalités sont
ailleurs.
· C’est la thèse
défendue par Krugman dans son dernier livre, intitulé,
La mondialisation n’est pas coupable. Selon lui, les véritables
causes du chômage et du développement des inégalités
sont internes. Il souligne en particulier le fait que la baisse
des rémunérations des moins qualifiés aux
Etats-Unis vient tout simplement d’une tendance structurelle de
l’économie américaine à avoir une demande
de main-d'œuvre peu qualifiée de plus en plus faible. Pour
lui, cette tendance s’explique par le progrès technique
et n’a que peu à voir avec les échanges commerciaux
avec les pays d’Asie.
· les partisans
de cette thèse (défendue en France par des économistes
comme Daniel Cohen ou Jean-PaulFitoussi) soulignent
par ailleurs que les échanges avec les pays à bas
salaires représentent une part faible de nos échanges
et donc une part encore plus faible de notre PIB, même si
leur place dans nos échanges a globalement doublé
depuis 1979. En 1979, l’Asie en développement représente
7.5% des exportations mondiales et 7.7% des importations mondiales.
Ces parts étaient respectivement de 14.7% et 15.4% en 1993.
· Krugman
souligne à plusieurs reprises que voir la raison du chômage
dans cette mondialisation est directement lié à
une vision des relations économiques internationales en
termes de compétitivité, il dénonce ceux
qui présente les échanges comme un eu à somme
nulle où la tâche de chaque pays serait de gagner
des parts de marché à l’exportation , au détriment
des concurrents et où les importations sont un mal nécessaire,
qu’il faut limiter le plus possible. Il dénonce ce qu’il
appelle l’obsession de la compétitivité, de la guerre
économique, qui sévit aux Etats-Unis.
Les réponses des plus pessimistes
® les études
empiriques sur l’emploi
Elles contestent parfois la validité des
études empiriques déjà citées :
une étude menée sur la
période 1950-1988 pour 23 pays industrialisés
(Good, Woodbridge et Ruffin) pour rechercher une corrélation
entre pénétration des importations et futur taux
de chômage (en considérant un décalage d’un
an) aboutit à des résultats très nuancés :
dans 1/3 des cas, aucune corrélation
n’apparaît
quand une corrélation apparaît
entre chômage et importations, elle est positive dans
53% des cas
quand une corrélation apparaît,
elle est aussi positive dans 56% des cas entre exportations
et chômage !
une autre étude sur l’emploi
manufacturier en France montre que ça dépend des
secteurs. L’étude porte sur la période 1970-1992.
pour le textile et l’habillement, le
taux de pénétration étrangère est
passé de 31% à 63%. Parallèlement l’emploi
a baissé dans ces secteurs de 3.9% par an en moyenne,
alors que le taux d’exportations augmentait aussi passant de
17% à 35%.
En revanche, pour la parachimie et la
pharmacie, le taux de pénétration passe de 7.5%
à 20% et l’emploi croît sur la période de
0.6% par an.
une étude Wood (1994) fait apparaître
une corrélation assez forte (presque parfaite) entre
la baisse de la part des emplois dans le secteur industriel
et l’augmentation des importations en provenance des PED :
le déclin de l’emploi industriel est d’autant plus fort
que la pénétration a été importante.
Il conteste la méthode des équivalents-emplois,
en montrant qu’elle néglige une donnée importante :
certains produits importés ne sont plus produits chez
nous, on n’a donc plus une substituabilité parfaite des
biens importés et desbiens nationaux, ce qui entraîne
des disparitions importantes d’emplois. Il évalue à
20% la chute de la demande d’emplois peu qualifiés sur
les deux dernières décennies. Une autre étude,
reposant sur le même type d’analyses, évalue à
36 millions le nombre d’emplois détruits en Europe depuis
30 ans de ce fait.
Ces analyses ont malgré tout une limite,
c’est que la part des importations non substituables reste aujourd’hui
assez faible, de l’ordre de 15% par exemple pour les Etats-Unis.
ces études insistent aussi fortement
sur la dégradation de l’emploi industriel. La part de
l’industrie dans l’emploi total a chuté de 10 points
entre 1970 et 1993 pour les pays de l’OCDE. En Europe cette
part est passé de 34% à 24%, aux Etats-Unis de
40% à 30%. La part reste stable au Japon, autour de 34%.
Parallèlement, l’industrie assurerait dans les NPI d’Asie
l’essentiel de la croissance du nombre d’emplois : au début
des années 90, environ 40% de la main-d'œuvre des 4 NPI
de la première génération était
occupée dans l’industrie et 20% pour ceux de la seconde
vague(dont la Chine)
® les réponses
aux arguments des optimistes
ces auteurs insistent sur le fait qu’on
ne peut pas déduire du fait que les balances sont équilibrées,
qu’il existe un effet neutre sur l’emploi, puisque le contenu
en emploi d’1 franc d’importations est plus élevé
que le contenu en emploi d’1 franc d’exportations (ceci dit
Vimont en tient compte). Certaines études estiment la
perte d’emplois non qualifiés entre 3 et 9 millions pour
l’Europe, c'est-à-dire entre 1% et 3% de l’emploi total.
Ils insistent aussi sur le caractère
factice de l’opposition entre causes internes et causes externes
du chômage : c’est parce que la concurrence entre
les pays de vieille industrie s’est exacerbée, suite
à la montée en puissance des NPI, que, pour rester
dans la course, les innovations se multiplient à un rythme
plus rapide (cf. thèse sur l’écart technologique).
Le rétrécissement de l’éventail des productions
industrielles du Nord encourage une course aux gains de productivité,
qui est destructrice d’emplois, au moins à court terme.
Pierre-Noël Giraud insiste sur le
développement de la concurrence entre pays de vieille industrie,
avec le développement d’échanges intra-branches
et des échanges fondés moins sur une logique de
complémentarité et plus une logique de concurrence,
où il s’agit de gagner des parts de marché en étant
plus compétitif que son voisin. Il insiste beaucoup sur
le retour à une concurrence par les prix, qui entraîne
la recherche de gains de productivité maximum. (Il explique
que le temps est loin où les Etats-Unis aidaient l’Europe
avec le plan Marshall, qu’en 1971, avec le premier déficit
commercial américain de l’après-guerre, on assiste
à une prise de conscience du fait que le Japon et l’Europe
sont devenus des concurrents.) Dans ce contexte, toute hausse
de salaire entraîne une baisse de la compétitivité-prix
et il souligne la rupture avec ce qu’il appelle " les
cercles vertueux de la croissance sociale démocrate auto-centrée
(qui ressemblent beaucoup aux cercles vertueux du fordisme), où
les partages des gains de productivité pouvait se faire
de façon équilibrée, sans désavantager
les salaires, il montre comment existaient aussi des " niches
de productivité ", que les chefs d’entreprise
pouvaient parfaitement ne pas pressurer les salariés, à
partir du moment où tout le monde dans le pays faisait
la même chose. Quand l’ouverture est forte et la concurrence
des pays à bas salaires augmente, au contraire on traque
ces niches de productivité (dont parlent aussi Fitoussi
et Rosanvallon dans Le nouvel âge des inégalités).
Giraud insiste sur le afit que cette recherche des gains de productivité
s’est souvent traduite par une chasse aux sureffectifs. Il cite
à ce sujet une étude américaine (Chevalier
et Dure), qui porte sur 24 entreprises européennes ayant
opéré des plans de restructuration. Cette étude
aboutit au résultat suivant : il existe un lien direct
entre le niveau des pertes annoncées pour es entreprises
et le nombre d’emplois supprimés : le coefficient
de proportionnalité est de 200 000F, c'est-à-dire
que quand on annonce 100 millions de pertes par exemple, on observe
la suppression de 500 postes (100 millions / 200000F). Or, 200000F
c’est le coût moyen d’un salarié dans l’industrie
européenne. Les suppressions de postes sont donc sensées
ramener les comptes à l’équilibre et cela prouve
a posteriori qu’il existait des niches de productivité
importantes dans la phase précédente puisqu’on peut
sans réduire la production licencier massivement.
La concurrence avec les NPI implique aussi de
maintenir sans arrêt l’écart technologique avec eux,
or, il s’agit de pays qui ont une gamme technologique de plus
en plus ouverte, l’image selon laquelle ils se cantonneraient
dans des industries de main-d'œuvre est devenue fausse. On y observe
une forte hausse de la qualification et du niveau de formation
de la main-d'œuvre. L’idée défendue par Giraud c’est
donc qu’il existe des pays à bas salaires mais à
forte capacité technologique et que donc la concurrence
avec eux nécessite une course encore plus rapide à
l’innovation . dans ce sens, opposer le progrès technique
comme cause interne du chômage à la mondialisation,
qui serait une cause externe et peu influente, c’est établir
une opposition factice. C’est parce qu’il y a mondialisation qu’on
est contraint à l’innovation très rapide.
Ces auteurs admettent le fait souligné
par Krugman qu’à long terme la hausse des niveaux de productivité
dans ces pays à forte capacité technologique va
entraîner une hausse des salaires et donc un déclin
de l’avantage par les coûts. Une fois le rattrapage effectué,
une fois l’Asie arrivée au même niveau de développement
technologique que les pays de vieille industrie, la concurrence
ne se fera plus par les salaires. Mais ils nuancent les conclusions
optimistes qu’on pourrait tirer de ce raisonnement à long
terme : à court terme, le niveau des salaires est
gagé sur la productivité moyenne de l’économie
et donc le niveau des salaires dans les industries exportatrices,
où la productivité est plus élevée
que dans le reste de l’économie, est fonction de la productivité
moyenne. Il y a donc un décalage à court terme entre
les niveaux de productivité atteints dans ces industries
exportatrices et la convergence des salaires vers des niveaux
comparables aux niveaux européens. Jacques Adda (La
mondialisation, 2 tomes dans la collection Repères)
cite l’exemple de branches comme la sidérurgie, où
les niveaux de productivité asiatiques ont rattrapé
les niveaux européens sans que les salaires aient suivi,
parce que les gains de productivité dans l’ensemble de
l’économie sont plus lents. Il ajoute que le Japon a fait
la même expérience depuis l’après-guerre avant
de rattraper les niveaux européens de salaires.
Adda répond aussi à un autre
argument des " optimistes " au sujet de l’appréciation
des taux de change : pour les optimistes le dumping monétaire,
grâce à une sous-évaluation des monnaies,
n’est possible qu’à court terme, parce que les pays qui
le pratiquent engrangent des excédents commerciaux, qui
vont provoquer à terme une appréciation du taux
de change. Cette appréciation du taux de change permettrait
d’ailleurs de diminuer l’avantage des bas salaires. Adda souligne
le fait que malgré tout, il existe une manipulation des
taux de change grâce à des politiques monétaires
expansives et surtout des contrôles très stricts
des mouvements de capitaux (il existe d’ailleurs des pressions
très fortes de la part des Etats-Unis sur le Japon puis
sur les autres pays pour libéraliser les mouvements de
capitaux, c’est un des éléments qui peut expliquer
le développement de la globalisation financière,
et on a observé par la suite un début d’appréciation
des monnaies de la région)
Dernier argument, les auteurs sceptiques ajoutent
que, même si le poids des importations en provenance de
ces pays est encore faible, cela ne signifie pas que la pression
en termes de compétitivité ne soit pas déjà
forte : les entreprises peuvent adapter leur mode de gestion
du personnel à cette nouvelle donne et les effets sur l’emploi
sont donc peut-être plus importants que ne le laisserait
penser la simple observation du poids des pays d’Asie dans les
échanges.
Les mutations des échanges ont
entraîné un renouvellement théorique
On va voir comment ce renouvellement théorique
aboutit à une remise en cause du modèle des avantages
comparatifs, qui reste un référence, mais dont les
conclusions sont nuancées, on verra en particulier comment
les conclusions en matière de politique économique
sont moins strictes concernant l’interdiction absolue de prendre
des mesures protectionnistes.
A. Les renouvellements de
la théorie du commerce international
Jusque dans les années 70, la théorie
du commerce international est dominée par le modèle
des avantages comparatifs : il y a échange parce qu’il
y a diversité des technologies, des dotations factorielles.
Cette théorie explique bien les échanges entre pays
différents, mais elle rend moins bien compte du développement
très marqué des échanges intra-branches.
Les économistes ont alors cherché d’autres déterminants
des échanges pour mieux expliquer ce développement
rapide des échanges intra-branches et le fait stylisé
suivant : 80% des échanges se font au sein de la triade,
entre pays de niveaux de développement comparables.
Les évolutions qui rendent le
socle des avantages comparatifs moins opératoire ;
® le développement
des échanges intra-branches
définition : " commerce
croisé (exportations et importations) de produits appartenant
à une même branche.
Plusieurs problèmes se posent
pour repérer à partir de cette définition
ce que sont réellement les échanges intra-branches :
il ne faut parler d’échange intra-branche
que quand le montant des exportations et celui des importations
sont comparables. Sinon, ça ne pose pas de problème
au modèle des avantages comparatifs.
On peut trouver un peu de tout dans
une même branche, on peut donc observer un échange
intrabranche qui recouvre en fait des échanges interproduits.
L’échange intrabranche peut aussi correspondre à
un commerce de gamme (même famille de produits, mais différenciés
par leur place dans la gamme) ou enfin, le commerce de produits
réellement similaires. Il est souvent difficile de repérer
ce qui relève d’un type d’échange ou d’un autre.
pour mesurer ce développement
des échanges intra-branches on utilise un indicateur
mis au point par Grubel et Lloyd en 1975.
GL =
Interprétation
Plus ce taux est proche de 100%, plus le taux
de recouvrement est fort et plus les valeurs des exportations
et des importations de la branche sont proches.
les calculs réalisés par
Muchielli en 1988 donnent les résultats suivants :
1965
1975
1985
France
72%
78%
82%
Grande-Bretagne
56%
73%
81%
Espagne
27%
46%
58%
Grèce
10%
24%
29%
Etats-Unis
50%
62%
60%
RFA
53%
57%
66%
Japon
26%
27%
25%
L’ampleur du phénomène varie donc
selon les pays, il est très fort pour la France. Dans la
plupart des pays, la tendance est à la hausse. Les pays
moins industrialisés, comme l’Espagne ou la Grèce
connaissent des taux d’intra-branche moins élevés,
mais en hausse. La seule exception notable est le Japon :
seulement ¼ de son commerce est intra-branche, ce résultat
renvoie à sa politique de spécialisation sur certains
produits.
® contestation
des hypothèses du modèle des avantages comparatifs
l’hypothèse du plein emploi des
facteurs de production : que penser de la validité
de cette hypothèse en période de chômage
de masse ? Le protectionnisme reprend-il ses droits ?
quid de la sous-utilisation des capacités de production ?
la concurrence pure et parfaite :
difficile de soutenir que les conditions soient respectées,
alors qu’il existe de larges pans de l’industrie, qui connaissent
des rendements croissants et qui donc bénéficient
d’économie d’échelle.
Les renouvellements
théoriques
La prise en compte de la demande
interne
Dès 1961, Linder soulignait l’importance
du commerce intra-branche entre pays de niveaux de développement
semblables. Il pensait que ce phénomène allait
contre HOS. Il a expliqué à l’époque une
explication en termes de " demande représentative " :
les producteurs nationaux, produisent d’abord pour le marché
intérieur, en fonction des préférences
des consommateurs de leur pays, les exportations sont considérées
comme la commercialisation d’un surplus par rapport à
la consommation intérieure, c’est donc la demande représentative
qui explique la spécialisation. C’est ce qui explique
que des pays de même niveau de développement, qui
ont des demandes représentatives proches, aient aussi
des spécialisations proches.
Lassuderie-Duchêne introduit la " demande
de différence ", pour souligner le fait que
le consommateur est sensible à l’élargissement
de son éventail de choix et qu’il demande donc des produits
étrangers assez similaires aux produits du marché
intérieur.
Dans ces deux analyses, la notion d’avantage
comparatif disparaît.
La prise en compte de la concurrence
imparfaite.
La nouvelle théorie du commerce international
se fixe comme objectif de mieux prendre en compte certaines réalités
du monde contemporain. Elle se caractérise notamment par
la prise en compte de l’existence de rendements croissants et
elle rompt du coup avec l’image d’une spécialisation exogène,
c'est-à-dire d’une spécialisation qui préexisterait
à l’échange. Elle se situe dans la lignée
d’analyses qui avaient déjà souligné le caractère
endogène de la spécialisation, c'est-à-dire
de la spécialisation comme conséquence de l’ouverture
des échanges et non l’inverse. Dans cette perspective,
on a une vision dynamique des avantages et de la spécialisation,
comme résultat d’une construction.
Dans cette approche, deux nations identiques
(du point de vue de la dotation factorielle, du niveau technologique)
peuvent avoir malgré tout intérêt à
l’échange dans la cas où l’ouverture permet de concentrer
les ressources dans les secteurs à rendements croissants :
le développement des exportations dans les secteurs à
rendements croissants, permet d’élargir l’échelle
de production et donc de réduire les coûts unitaires
de production, ce qui crée ex-post un avantage comparatif
face au pays qui a renoncé à cette spécialisation
pour une autre. Les spécialisations ne sont plus prédéterminées
et ne reposent plus sur des critères objectifs, ce qui
rend la spécialisation plus arbitraire. Ce que montrent
d’ailleurs ces modèles, c’est qu’un des gains liés
au libre-échange vient du fait que les pays peuvent consacrer
plus de ressources à la R&D, puisque les coûts
en sont plus facilement amortis, grâce à l’augmentation
de l’échelle de production. C’est la thèse défendue
notamment par Grosman et Helpman (1990) : ils repartent des
analyses de Vernon et montrent que l’imitation des pays riches
par les pays pauvres, une fois que le bien est banalisé,
permet aux pays riches de consacrer leurs ressources à
la production nouvelle, à forts rendements croissants,
grâce à des dépenses élevées
en R&D. D’où des conclusions très favorables
au développement des échanges, ces modèles
renforcent encore les conclusions du modèle des avantages
comparatif en soulignant les effets positifs dynamiques à
la spécialisation (et non plus seulement en statique).
Ces analyses montrent par ailleurs que le développement
des échanges permet d’augmenter la diversité des
produits offerts aux consommateurs et c’est un des gains liés
à l’ouverture des échanges.
B. les prescriptions en
matière de politique économique
L’existence de ces rendements croissants et leur
lien avec les spécialisations, repose la question de savoir
quelles politiques commerciales les Etats doivent mener. Certains
auteurs y ont vu en encouragement à mener des politiques
protectionnistes de soutien aux industries à rendements
croissants, au moins en menant des politiques commerciales volontaristes.
Krugman prend l’exemple de la concurrence entre
Boeing et Airbus et montre ce qui se passe si on suppose qu’entre
les deux firmes la concurrence est de type monopolistique et qu’une
seule firme peut réaliser des profits et que si les deux
firmes sont sur le marché elles réalisent nécessairement
toutes les deux des pertes. Il examine les effets, dans ce cas,
d’une subvention des pays européens en faveur d’Airbus,
sur la décision des deux firmes. Il représente son
analyse sous forme de matrices de décision :
Airbus
Produire
Ne pas produire
Boeing
Produire
(-5 ;-5)
(100 ;0)
Ne pas produire
(0 ;100)
(0 ;0)
Avec dans chaque case (gains pour Boeing ;
gains pour Airbus)
Si les Européens s’engagent à subventionner
Airbus dans le cas où il prend la décision de produire,
en lui versant 10, cela change la matrice de décision :
Airbus
Produire
Ne pas produire
Boeing
Produire
(-5 ;5)
(100 ;0)
Ne pas produire
(0 ;110)
(0 ;0)
Dans ce cas, Boeing est incité à
renoncer à produire, parce qu’il anticipe le fait qu'airbus
va rester sur le marché. Une simple subvention de 10 va
permettre aux Européens d’obtenir le monopole sur le marché
et d’en tirer les surprofits liés au monopole. C’est un
cas où une mesure protectionniste accroît le bien-
être général dans le pays qui adopte cette
mesure.
Ces raisonnements sur les bénéfices
pour la collectivité de subventions liées aux politiques
commerciales sont très populaires dans certains milieux
d’affaires, aux Etats-Unis notamment.
On va voir comment en fait les théoriciens
des nouvelles théories du commerce international ont des
conclusions très favorables en définitive au libre-échange
et un peu floues concernant les politiques protectionnistes. Ce
qui est certain, c’est qu’elles représentent un encouragement
pour les Etats à mener des politiques volontaristes en
matière de spécialisation.
Krugman et les autres restent très prudents
sur les politiques à mener. Les résultats des différents
modèles sur les avantages de telle ou telle mesure sont
assez incertains. Ils soulignent plusieurs choses :
il n’est pas toujours facile pour l’Etat
de repérer les secteurs à rendements croissants,
qui ne sont pas toujours ceux qu’on désigne comme high-tech
(l’expérience montre d’ailleurs que les subventions vont
souvent à des secteurs en déclin)
il existe un problème de coordination :
si tous les pays se spécialisent dans les mêmes
domaines, les avantages de la spécialisation disparaissent.
Bilan : ils prônent moins le libre-jeu
des marchés que dans la théorie des avantages comparatifs
mais ils ont des conclusions nuancées et assez prudentes
en matière d’intervention de l’Etat pour les politiques
commerciales. Ce qui est certain c’est que ces théories
ne peuvent pas servir à appuyer un plaidoyer en faveur
d’un retour au protectionnisme.