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Mondialisation

LA MONDIALISATION EST-ELLE COUPABLE ?

  1. Une longue tradition favorable au développement du libre-échange

  1. Un socle théorique commun favorable au libre-échange

1. L’analyse fondatrice de Ricardo

  1. les hypothèses

  • il n’y a pas d’obstacles aux échanges entre les deux pays (contingentement, droits de douane, discrimination) qui fausseraient la concurrence.

  • La concurrence est pure et parfaite dans les deux pays et elle conduit donc chacun des deux pays à sa " frontière de production " : on a donc plein emploi des facteurs dans les deux pays : pas de chômage, pas de sous-utilisation des capacités de production. Puisqu’on se situe dans le cadre de la concurrence pure et parfaite, il n’y a pas de rendements croissants, les coûts de production sont indépendants des quantités produites. Il résulte aussi de ces hypothèses qu’à l’équilibre, les balances commerciales sont équilibrées.

  • Les facteurs de production sont immobiles, ils restent attachés à un territoire. Il n’y a pas libre circulation du travail et du capital

  1. Le raisonnement : la démonstration des gains associés au libre-échange

L’objectif est de montrer qu’en se spécialisant dans les productions pour lesquelles ils disposent d’avantages comparatifs, deux pays ont intérêt à pratiquer le libre-échange, qui améliore leur situation par rapport à une situation d’autarcie, où ils produiraient chacun tous les biens dont ils ont besoin.

Ricardo souhaite donc aller plus loin qu’Adam Smith, qui raisonnait en termes d’avantages absolus : si dans un domaine, les coûts de production sont plus élevés qu’à l’étranger, on a intérêt à acheter le bien à l’étranger plutôt que de le produire sur place, cela permet d’économiser des facteurs de production, qui sont disponibles en plus grande quantité pour réaliser les productions pour lesquelles le pays possède un avantage absolu en termes de coûts de production. De cette spécialisation en fonction des avantages absolus, il résulte une division internationale du travail qui provoque l’abondance.

Ricardo cherche à aller plus loin dans la démonstration des gains associés au développement du libre-échange en montrant que même dans le cas où un pays n’a pas d’avantage absolu dans un domaine, il peut avoir intérêt à se spécialiser malgré tout, non pas en fonction des avantages absolus qu’il n’a pas, mais en fonction des avantages relatifs.

Démonstration :

Comme chaque pays est sur sa frontière de production, il n’est pas possible d’augmenter en même temps la production de tous les biens : si on augmente la production d’un bien 1, alors il faut renoncer à produire un peu de bien 2.

C’est l’exemple célèbre du drap et du vin :

Les coûts de production sont exprimés en quantité de travail nécessaire pour produire 1 unité de ces biens :

 

Portugal

Angleterre

Drap

90

100

Vin

80

120

  • en avantages absolus : le Portugal dispose d’un avantage absolu pour les 2 productions, puisque ses coûts de production (en travail, c’est le seul facteur utilisé dans le raisonnement de Ricardo) sont plus faibles pour les deux productions.
  • Raisonnement en avantages comparatifs :

® au Portugal, pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 90/80 = 1.125 unités de vin

pour produire une unité de vin supplémentaire, il faut renoncer à produire 80/90 = 0.888 unités de drap.

® en Angleterre, pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 100/120 = 0.833 unités de vin

pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 120/100 = 1.2 unités de vin

La conclusion, c’est que l’Angleterre dispose d’un avantage comparatif dans la production de drap, puisque le coût relatif d’une unité de drap par rapport à une unité de vin y est plus faible qu’au Portugal (0.833 comparé à 1.125). Symétriquement, le Portugal dispose d’un avantage relatif pour la production du vin.

  • pourquoi ces deux pays ont-ils intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle ils disposent d’un avantage comparatif ?

® si le Portugal se spécialise dans le vin, quand il produit une unité de vin supplémentaire pour l’exporter, il recevra en échange sur le marché anglais 1.2 unités de drap, c'est-à-dire plus que la quantité de drap qu’il a renoncé à produire sur son territoire (0.888 unités). En se spécialisant dans le vin, le Portugal disposera en définitive de plus de drap que s’il avait continué à produire et du drap et du vin.

® si l’Angleterre se spécialise dans le drap, elle y gagne elle aussi. A chaque fois qu’elle produit une unité supplémentaire de drap pour l’exporter, elle renonce à produire 0.833 unités de vin, mais elle obtiendra en échange de son drap, 1.125 unité de vin. Elle disposera donc de plus de drap que si elle avait continué à produire tout.

  1. La modification de la répartition des revenus qui en résulte.

Les deux pays ont intérêt à se spécialiser, mais l’ouverture des frontières va modifier le prix relatif du drap et du vin dans les deux pays.

En Angleterre, le prix relatif du drap va augmenter et il va baisser au Portugal. Ce sera le contraire pour le vin. Cette conclusion est importante pour les effets du libre-échange : cette modification des prix relatifs lèse certains groupes au profit de l’intérêt général, ce qui peut expliquer au moins en partie les résistances au libre-échange.

  • le Portugal a intérêt à se spécialiser dans le vin, tant que ça lui permet d’obtenir plus de drap qu’en autarcie, c'est-à-dire tant que p, le prix relatif du drap en fonction du vin reste tel que p< 1.2

  • l’Angleterre a intérêt à se spécialiser dans le drap, tant que p’ le prix relatif du vin par rapport au drap reste tel p’< 1.125

  • on a donc p’ = 1/p < 1.125 (90 /80) , c'est-à-dire p> 0.888 (80/90)

  • les bornes de l’échange sont donc :

0.888 < p < 1.125

il y a modification des prix relatifs et donc modification de la répartition des revenus. On verra ensuite le même raisonnement transposé à des productions qui nécessitent l’emploi de plusieurs facteurs de production avec les analyses de Hecksher et Ohlin. Ils insistent eux aussi sur le rôle du commerce extérieur dans la répartition des revenus. Ils montrent que si l’exploitation des avantages comparatifs augmente le bien-être général des nations, il implique aussi une utilisation différente des facteurs de production et donc une modification de leur rémunération relative. Si un pays se spécialise dans l’industrie textile et délaisse son agriculture, les prix relatifs de l’industrie textile par rapport aux prix agricoles vont augmenter. On observera une hausse des salaires et des profits dans l’industrie textile et au contraire une baisse des revenus dans l’agriculture.

Cette modification du partage des revenus, qui résulte de l’ouverture du marché intérieur est d’ailleurs un des avantages du libre-échange souligné par Ricardo : l’abolition des corn laws doit entraîner une baisse des prix du blé et donc une baisse de la rente, mais aussi une baisse des salaires, qui sont indexés sur le prix du blé, puisque ce sont des salaires de subsistance. La baisse des salaires et des rentes permet une hausse de la part relative des profits et donc une meilleure accumulation du capital , source essentielle de croissance.

2. Les prolongements du modèle des avantages comparatifs

Les raffinements de l’analyse en termes d’avantages comparatifs portent sur l’origine de ces avantages comparatifs. Ricardo ne raisonnait que sur les coûts en travail, donc avec un seul facteur, c’est donc les productivités comparées d travail qui étaient la source des avantages comparatifs.

  1. Heckscher-Ohlin et la dotation factorielle.

® en 1919, Elie Heckscher, économiste suédois, publie un article intitulé " les effets du commerce international sur la distribution du revenu ". Il y présente les grandes lignes de ce qui deviendra le modèle HOS. Ohlin, son élève, a repris ses idées en 1933 dans un livre sur le commerce international. C’est Samuelson qui formalisera ces analyses à la fin des années 40.

Chez Ricardo, c’était les différences de savoir-faire et donc de technologie entre deux pays qui étaient la base des avantages comparatifs. Chez Heckscher et Ohlin, ce sont les différences de dotation de facteurs.

® les hypothèses de base sont les suivantes :

  • les pays connaissent les mêmes technologies
  • les pays se distinguent par leurs dotations factorielles

® un pays a un avantage comparatif dans le produit intensif dans le facteur pour lequel il est comparativement le mieux doté.

Cette spécialisation en fonction des dotations factorielles engendre l’égalisation de la rémunération des facteurs ente pays partenaires. Les deux auteurs font remarquer que l’échange de produits a, de ce point de vue, le même effet que si on avait procédé à un échange de facteurs. Cela s’explique par l’utilisation du théorème de Stolper-Samuelson : lorsque le prix d’un produit augmente, cela augmente la rémunération du facteur qui est intensif dans la production de ce bien et cela diminue parallèlement la rémunération de l’autre facteur. Un pays abondant en travail, va produire des biens intensifs en travail et il y aura donc une augmentation de la demande de travail suite à l’ouverture des échanges. La rémunération du travail va augmenter et celle du capital va baisser.

On retrouve l’idée selon laquelle l’échange international modifie la répartition des revenus : elle détériore la rémunération des détenteurs du facteur rare dans l’économie, ces détenteurs seront dons sans doute hostiles à l’ouverture.

  1. Le paradoxe de Léontieff

® il réalise le premier test empirique du modèle HOS en 1953, à partir de données commerce américain en 1947. Il obtient un résultat paradoxal, puisque les Etats-Unis sont sensés être bien dotés en capital et qu’il observe une forte spécialisation dans des biens intensifs en travail. Il procède de la façon suivante : pour les biens exportés et pour les biens produits sur le territoire qui pourraient servir de substituts aux importations, il calcule le ratio suivant :

K/L = quantité de capital /quantité de travail (quantités nécessaires pour produire le bien exprimées en $ pour le capital et en hommes /an pour le travail)

Il trouve 13.99 pour les exportations et 18.18 pour les importations.

On a donc le ratio = 1.3 > 1

alors que ce ratio devrait être inférieur à 1 étant donné la dotation factorielle des Etats-Unis.

Ce premier test est suivi par d’autres études empiriques, portant sur différents pays, qui tantôt confirment, tantôt infirment le modèle HOS.

® ce test a été l’objet de différentes critiques :

  • d’abord sur sa validité : Léontieff lui-même avait indiqué un premier problème : la productivité des travailleurs américains est trois fois supérieure à celle des autres travailleurs, il faut donc multiplier la quantité de travail dont disposent réelement les Etats-Unis par 3, ils apparaissent alors comme un pays richement doté en travail.

Mais, outre le fait que cette évaluation de l’écart de productivité était un peu arbitraire, le raisonnement vaudrait aussi pour la productivité du capital. Si les deux facteurs sont multipliés par 3, alors on retombe sur le même paradoxe.

  • On ne prend en compte que les importations qui ont un substitut possible sur le territoire américain, on élimine donc une grande partie des matières premières.
  • Les tarifs douaniers peuvent expliquer une partie du résultat : les industires les plus protégées sont aussi celles qui sont les plus intensives en travail, cela limite le montant des importations riches en travail.
  • L’année 1947 est atypique, car juste après la guerre.
  • Le test HO ne doit s’effectuer que sur des bases bilatérales. Ichimura et Tatemoto (1956) ont étudié le commerce japonais pour l’année 1950. Ils observent que le pays est plutôt abondant en travail et que les exportations sont intensives en capital, plus intensives en capital que les importations. Ils ont alors décomposé le commerce japonais en deux zones : le commerce avec les PVD et le commerce avec les pays développés. Cette décomposition a permis de lever le paradoxe : le japon exportait des biens intensifs en main-d'œuvre vers les pays développés et des biens intensifs en capital vers les PVD. On observe la structure inverse pour ses importations. Or, le Japon réalisait les ¾ de son commerce avec des PVD. C’était donc une erreur de considérer sa dotation par rapport aux pays développés. Cette décomposition a fait apparaître le japon comme un pays intermédiaire dans la hiérarchie internationale. Une étude de Lassuderie-Duchêne et Mucchieli a abouti par la suite à la même conclusion au sujet de la France.

c. Le développement des analyses néo-factorielles et des analyses néo-technologiques.

La critique de fond adressée au modèle HOS c’est l’idée qu’il y aurait une irréversibilité des intensités factorielles : en fait, un même bien peut être intensif en travail dans un pays bien doté en travail et intensif en capital dans un autre pays. Dans ce cas, le théorème HOS n’est pas vérifié, pas plus que celui de Stolper-Samuelson sur l’égalisation des prix de facteurs.

® les analyses néo-factorielles : elles visent à mieux mesurer la dotation factorielle. Léontieff dès 1956 avait montré que les exportations américaines nécessitaient l’emploi d’une main-d'œuvre plus qualifiée que dans les industries produisant des biens substituts d’importation.

Kravis (1956) observait aussi que les salaires étaient plus élevés dans les industries d’exportation que dans les autres. Le capital humain et la qualification du travail deviennent importante des avantages comparatifs.

Une étude de Wood (1964) montre que les différences de qualification expliquent bien la structure des échanges commerciaux Nord/Sud.

® les analyses néo-technologiques : elles essaient d’expliquer le paradoxe de Léontieff en revenant sur une des hypothèses de HOS, à savoir que tous les pays sont capables de produire le mêmes biens car ils disposent de la même technologie. Elles introduisent au contraire l’idée qu’il existence des différences d’évolution technologique selon les pays. On distingue deux types d’approches néo-technologiques :

· l’écart technologique , théorisé par Posner en 1961.

Son idée est la suivante : le pays dans lequel apparaît une innovation bénéficie d’un avantage absolu sur les autres partenaires commerciaux pendant un certain temps, il pourra donc exporter ces nouveaux produits issus de l’innovation. Ces nouveaux produits sont ensuite imités, en raison de la diffusion des technologies, mais d’autres innovations viennent prendre le relais.

Dans cette analyse, la source des avantages comparatifs c’est l’écart technologique qui existe avec les autres pays. Les pays qui possèdent une avance technologique exportent des biens intensifs en nouvelles technologies, les autres des biens banalisés.

Ces intuitions de Posner ont été formalisées ensuite par Krugman (1979). Dans son modèle, il existe deux zones :

- Les pays du Nord, qui innovent.

- Les pays du Sud, qui n’innovent pas

L’innovation prend la forme d’innovations de produits, qui sont d’abord fabriqués au Nord, puis ensuite au Sud. Krugman montre que le Nord est condamné à innover sans arrêt, pour maintenir l’écart technologique avec le Sud, sinon ses industries déclinent et disparaissent à cause de la concurrence des pays à bas salaires. Les hauts salaires du Nord reflètent selon lui la rente de monopole associée aux innovations : si l’écart technologique disparaît, cette rente disparaîtra aussi, il ne sera plus possible de verser de hauts salaires.

· le cycle du produit, théorisé par Vernon (1966) : il insiste sur le lien entre le cycle de vie d’un produit et les évolutions des échanges internationaux.

  • pour le cycle de vie du produite, il distingue 4 phases du volume des ventes : introduction, croissance, maturité et déclin

  • à chaque phase du cycle de vie du produit, correspond une configuration des échanges internationaux. Il distingue trois zones : le pays innovateur, les pays suiveurs développés (qui sont au même niveau de développement technologique) et les PVD.

  • pendant la phase d’introduction le produit est intensif en technologie. Seul le pays innovateur en exporte et c’est dans ce pays que la consommation de ce produit commence, suivi par les pays suiveurs, qui sont alors importateurs nets.

  • Pendant la phase de croissance, on observe une forte croissance des exportations du pays innovateur et aussi de celles des pays suiveurs, qui deviennent progressivement exportateurs nets. Les PVD commencent juste à consommer ce produit, mais ils n’en produisent pas encore, ils sont donc importateurs nets.

  • Pendant la phase de maturité, la consommation dans le pays innovateur stagne et ses exportations commencent à décliner, il devient importateur net à la fin de la période. Pour les pays suiveurs, les exportations continuent à augmenter, ils restent exportateurs nets. Les PVD deviennent exportateurs, puis exportateurs nets.

  • Pendant la phase de déclin, le pays d’origine est importateur net, le déficit commercial pour ce bien devient de plus en plus important. Les exportations des pays suiveurs baissent. Ce sont les PVD qui assurent la production du bien pour l’économie mondiale, c’est devenu un bien banalisé.

Bilan : les pays en début de cycle de vie sont exportés par les pays qui possèdent une avance technologique, les pays en fin de cycle de vie sont exportés par les pays abondants en travail peu qualifié.

De nombreuses vérifications empiriques semblent valider cette thèse. Elles ont conclu à une forte corrélation entre les performances américaines à l’exportation et l’importance de la R&D et du nombre de brevets déposés dans le pays. Plus les pays innovent et plus ils exportent des biens nouveaux et différenciés, pas encore banalisés.

Ce socle théorique, lié aux avantages comparatifs, est longtemps resté le seul, on verra dans la seconde partie, comment il a été partiellement remis en cause. L’idée commune à toutes ces analyses, c’est que les pays étant différents, ils ont intérêt à échanger pour tirer partie de ces différences et que le libre-échange est plus efficace, plus profitable que l’autarcie pour le bien-être général, ce qui ne signifie pas pour autant que certains groupes ne puissent pas être lésés.

Ce socle a servi de base à un certain nombre de pratiques visant à développer le libre-échange (partie B), au nom du fait que le protectionnisme présentait trop d’inconvénients, trop d’effets pervers, dont on peut faire la liste :

  • il supprime les effets stimulants de la concurrence étrangère

  • il annule les effets bénéfiques de l’ouverture pour le consommateur, il entraîne un surcoût pour le consommateur.
  • Il entraîne un risque de représailles
  • Pour les PED, les exportations permettent de se procurer des devises.

  1. Les arguments empiriques en faveur du développement du libre-échange

  1. Constat empirique
  2. ® les partisans du libre-échange rappellent d’abord que les périodes de développement du libre-échange sont aussi des périodes de forte croissance, c’est déjà le cas pendant la parenthèse libre-échangiste de la seconde moitié du XIXème siècle, qui se clôt avec les difficultés économiques de la fin du siècle. C’est vrai aussi des Trente Glorieuses, pendant lesquelles on observe un très fort développement des échanges, le commerce international progressant d’ailleurs plus vite que le PIB mondial entre1947 et 1992, les échanges ont été multiplié par 64 en valeur, en volume, ils ont progressé de 40% de plus que la production mondiale. Au contraire, pendant l’entre-deux-guerres, on constate une contraction des échanges, en même temps que la crise des années 30.

    ® sur la période de l’après-guerre, les deux grands pays qui ont connu la plus forte intégration aux échanges sont le japon et la Corée du Sud, ce sont aussi eux qui ont connu la croissance la plus forte. En Europe, c’est l’Allemagne et la Suède (par opposition à la grande Bretagne). Si on raisonne par secteurs, aux Etats-Unis, on peut opposer l’évolution des services et celle de l’agriculture.

    Même chose pour les pays en développement : ceux qui s’en sont le mieux sortis, compris dans le contexte difficile de la crise de la dette, sont : la Corée du Sud, Taïwan, la Thaïlande en Asie ; en Amérique latine : Mexique, Chili et Brésil ; en Europe de l’Est : Pologne et Hongrie et en Méditerranée : Turquie, Tunisie et Maroc. Les pays qui avaient essayé de mener des stratégies auto-centrées ont connu des échecs : industries industrialisantes en Algérie, les stratégies de substitution des importations aux exportations,…

  3. La mise en place d’institutions et d’accords internationaux pour favoriser le développement du libre-échange.

  1. Les principes fondateurs du GATT

Le GATT est créé en 1947 (General Agreement on tarif and trade). C’est un accord signé par 23 pays (d’autres s’y sont ajoutés par la suite) avec 38 articles, qui précisent les principes qui doivent guider la libéralisation des échanges. Il est né de la même volonté que celle qui a guidé la signature des accords de Bretton Woods : éviter de revenir aux conflits de l’entre-deux-guerres et donc nécessité de lutter contre les obstacles au libre-échange pour éviter le retour à une spirale protectionniste.

Les pays signataires s’engagent à respecter différentes obligations :

® les obligations centrales, qui constituent la partie I du traité :

  • consentir à toutes les autres nations signataires, la clause de la nation la plus favorisée. L’objectif est de passer le plus rapidement possible au multi-latéralisme : tous les pays bénéficient des avantages fixés lors de négociations bilatérales.

  • Limiter les droits de douanes imposés aux importations des nations signataires de l’accord.

® le code de conduite : il s’agit de promouvoir un " fair trade ", commerce loyal en ne recourant pas à des formes déloyales de concurrence et de protectionnisme déguisé. Les nations signataires s’engagent donc à pratiquer ce " fair trade ", c'est-à-dire  :

  • ne pas établir de discriminations entre producteurs nationaux et exportateurs vendant sur le marché national

  • ne pas pratiquer le dumping, en vendant sur les marchés extérieurs à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché intérieur

  • prohiber les mesures de restrictions quantitatives, avec quelques exceptions tolérées en cas de déficit grave de la balance des paiements.

  • Réglementer les subventions : les subventions à l’exportations sont interdites pour les produits industriels, elles sont tolérées pour les produits de base, notamment agricoles, dans la mesure où elles ne conduisent pas le pays à occuper une part non équitable du commerce mondial pour les produits concernés. Les subventions à la production sont autorisées, tant qu’elles ne créent pas préjudice aux autres pays, qui peuvent porter plainte, s’ils se sentent lésés.

Il y a des exceptions à ces obligations :

  • les échanges de services ne sont pas concernés. C’est seulement au cours de l’Uruguay Round (1986) que les négociations pour élargir l’accord aux services, qui représentent 20% du commerce mondial, débutent.
  • L’agriculture, qui représente 15% du commerce mondial : il existe une vieille tradition de subventions ou de restriction des importations aux Etats-Unis, ces pratiques sont dénoncées par les autres pays. C’était un des objectifs de l’Uruguay Round de revenir sur cette exception.
  • Le textile : de 1962 à 1973 sont signés toute une série d’accords multifibres. Ces accords permettent aux pays importateurs (du Nord) de négocier des contingentements avec des pays exportateurs (du Sud). C’est une exception très claire aux principes de libre-échange, elle vient de la crainte des pays de vieille industrie de voir leur industrie textile nationale disparaître. On empêche, par ces mesures, les pas du sud de tirer profit de leurs avantages comparatifs, pour une industrie qui nécessite des machines relativement simples et beaucoup de main-d'œuvre. C’est un exemple important à retenir à l’appui des thèses qui critiquent les positions libre-échangistes au nom du fait qu’elles sont toujours développées et soutenues par les pays en position de force dans la hiérarchie internationale. Le coût, pour les consommateurs, de telles mesures semble élevé une étude américaine de 1984 montre que chaque emploi sauvegardé dans le textile coûte 50000$ pour un an, alors que le salaire moyen dans ce secteur est de 13400$. On peut retenir aussi le fait qu’il existe une dimension politique importante : la disparition des industries textiles et des emplois qui leur sont liés peut avoir un coût symbolique important, alors que leur maintien est coûteux financièrement pour la collectivité. On ne cherche donc pas toujours dans ce domaine à promouvoir l’intérêt général.
  • Les pays en développement ont le droit de protéger leurs industries naissantes en relevant les droits de douane. La partie IV de l’accord, ajoutée en 1964, les dispensent de l’obligation de réciprocité : ils peuvent s’accorder entre eux des avantages, sans concéder les mêmes aux pays développés.
  • La question des zones de libre-échange et des unions douanières, comme la CEE ou l’ALENA (qui regroupe le Canada, les Etats-Unis et le Mexique). Dans ces cas, le principe d’application à tous de la clause de la nation la plus favorisée n’est pas respectée. Il y a un article du traité, qui autorise la création de ces zones, à deux conditions :

  • les accords préférentiels ne doivent pas entraîner une hausse des barrières douanières pour les pays situés à l’extérieur de la zone
  • les barrières internes doivent être totalement supprimées dans un délai assez court. Cette condition n’a en fait été respectée que par la CEE, dans les autres accords, les produits agricoles sont souvent exclus, il n’y a pas suppression totale des barrières.

Ces accords régionaux doivent être notifiés au GATT, qui examine le respect des deux conditions. Si on examine la liste des accords régionaux notifiés au GATT depuis sa création, on observe qu’ils sont relativement nombreux, on désigne généralement ce phénomène par l’expression de " montée du régionalisme ". Il existe tout un débat pour savoir si c’est un obstacle ou pas au développement du libre-échange.

  1. Les résultats du GATT

Il y a eu tout un cycle de négociations multilatérales que l’on a appelées des " rounds ".

  • Les quatre premiers rounds, entre 1947 et 1961 (Genève, 1947 ; Annecy, 1949 ; Torquay, 1951 et Dillon Round, 1960-1961), ont pour objectif la diminution rapide des droits de douane, qui atteignaient des niveaux encore très élevés dans l’après-guerre. On estime que les droits de douane sont divisés par 3 sur la période. Le taux moyen est d’environ 40% en 1947. Aujourd’hui, il est seulement de 5% environ (petit retour en arrière : au XIXème siècle, les droits de douane avaient été divisés par deux, pour atteindre seulement 10%, c’est dans l’entre-deux-guerres qu’ils remontent pour atteindre 30% à 40%. Cette baisse des droits de douane s’accompagne d’un fort développement des échanges : entre 1953 et 1963, les échanges mondiaux progressent de 6%/an en moyenne, le PIB de 4.3% seulement.

Malgré cette réussite, deux problèmes demeurent : au delà de la baisse des taux moyens, il existe des " pics tarifaires " très élevés (c’est le cas aux Etats-Unis) pour certains produits, d’autre part les protections non tarifaires demeurent.

  • Le Kennedy Round se déroule entre 1964 et 1967. Il est marqué par des conflits entre les Etats-Unis et la CEE. Les Etats-Unis passent d’une attitude défensive (ils recherchaient une baisse assez lente des protections tarifaires, pour protéger leurs industries de main-d'œuvre) à une attitude plus offensive pour soutenir leurs exportateurs : ils réclament une baisse importante des droits de douane pratiqués par les pays de la CEE. Cet affrontement est marqué par la montée en puissance de la CEE, qui devient premier exportateur mondial (25% des échanges en 1961 et 18.5% pour les Etats-Unis).

  • les propositions américaines : baisse de 50% de tous les droits de douane, linéairement. Suppression totale des droits de douane pour les biens pour lesquels les Etats-Unis et la CEE rassemblés assurent plus de 80% du commerce mondial.
  • La CEE souhaite que les structures des droits de douane soient harmonisées : les taux moyens sont plus élevés aux Etats-Unis (11.7% pour la CEE et 17.8% pour les Etats-Unis) mais surtout, il existe de nombreux pics tarifaires aux Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas pour la CEE (plus de 400 produits sont taxés à plus de 35%). Si il y a diminution linéaire, ce serait plus avantageux pour les Etats-Unis.

Les résultats : la CEE n’obtient pas d’harmonisation des tarifs américains sur les siens : les droits sur les produits textiles restent à 35%, 48% pour les chaussures, il y a 100 produits, pour lesquels les droits restent supérieurs à 30%. Le principe de diminution linéaire n’est pas non plus adopté. Malgré tout, les droits de douane ont bien diminué : -35% pour les produits industriels et –20% pour les produits agricoles. Les taux moyens des droits de douane sont de 8% pour la CEE et de 13.4% pour les Etats-Unis. Un accord est signé sur les pratiques anti-dumping. En échange de concessions sur les tarifs douaniers, les Etats-Unis s’engagent à supprimer l’American Selling Price, c'est-à-dire une pratique qui consistait à calculer les droits de douane sur le prix des produits importés à partir des prix de produits américains concurrents (et souvent plus élevés !). En fait cet accord ne sera jamais appliqué.

  • Le Tokyo Round, se déroule entre 1973 et 1979. Le nombre de pays signataires de l’accord a augmenté, ils sont 99 pour ce round, les pays en développement sont donc plus nombreux dans la négociation. Le contexte pèse aussi sur les négociations : pour la première fois depuis 1945, le commerce diminue de 5% en 1975. En 1971, les Etats-Unis connaissent leur premier déficit commercial de l’après-guerre. Le début de la crise renforce les tentations protectionnistes.

Les résultats sont les suivants :

  • nouvelle baisse des droits de douane : -33% pour les produits industriels, avec une diminution des pics tarifaires. Il y a malgré tout des exceptions comme pour l’automobile et le textile ;
  • quelques accords sur les barrières non tarifaires, mais qui ne sont pas ratifiées par tous les participants
  • quelques dispositions pour les PED

  • L’Uruguay Round débute en 1986 et il devait se terminer en 1990 mais il n’était toujours pas terminé en décembre 1993. Le 15 avril 1994, les accords de Marrakech, closent l’Uruguay Round et donnent naissance à l’OMC. L’OMC a deux problèmes à résoudre : la non universalité du GATT, certains produits en étant exclus (problème de l’intégration des services), et le problème des nouvelles formes de protectionnisme.

II. Le débat actuel sur la mondialisation et sa responsabilité dans la crise.

Parmi les facteurs qui pourraient expliquer la rupture des taux de croissance après 1973, on évoque souvent le fait que les économies étant plus ouvertes, les conditions de la croissance ont changé, l’internationalisation accrue ayant fait pesé sur les économies nationales une contrainte extérieure forte, qui rendrait caduques les vieilles régulations, notamment les politiques keynésiennes. Longtemps présentée de façon presque unanime comme facteur de croissance, l’internationalisation apparaît alors parfois comme une menace. L’objectif de cette partie est de faire le point sur cette question de l’apport de l’ouverture extérieure à la croissance et éventuellement sur sa part de responsabilité dans la crise. En particulier, on présente souvent la mondialisation comme la cause du chômage et de l’augmentation des inégalités. On a vu comment les négociations du GATT ont été rendues plus difficiles par ce contexte de crise. On voit refleurir avec plus de force les discours protectionnistes, sous-tendus par cette idée que la mondialisation est coupable de tous les maux.

  1. La tentation protectionniste n’est pas nouvelle

  1. Les différentes formes de protectionnisme d’hier à aujourd’hui .

La première grande distinction passe entre les barrières tarifaires et les barrières non-tarifaires :

  • les droits de douane : sous forme de tarif spécifique (un forfait par unité) ou autrement dit valorem (en pourcentage du prix de vente)
  • les restrictions quantitatives : les prohibitions n’existent plus. En revanche, il existe des quotas d’importation, par exemple les accords de restriction volontaire d’exportations signés par le Japon et les Etats-Unis : face à la montée des voitures importées du Japon, les Etats-Unis ont décidé d réagir, ils ont d’abord eu recours à la clause de sauvegarde, en arguant du fait que l’augmentation importante des importations de voitures en provenance du Japon avait détruit 200000 emploi entre 1978 et 1980. Mais ce recours a été rejeté par le GATT comme non fondé (on a considéré que les difficultés de l’industrie automobile américaine venaient de la faiblesse de la demande et pas de la concurrence japonaise directement). Les Etats-Unis ont ensuite négocié en 1981 avec les japonais un accord d’auto-imitation des exportations : on a fixé à 1.85 millions de véhicules par an le nombre maximum de voitures japonaises exportées aux Etats-Unis entre 1981 et 1985, à 2.3 millions par la suite. Cet accord a été respecté, puisque depuis 1981, la part des constructeurs japonais sur le marché intérieur américain a plafonné à 22%. (0.2% en 1964, 4.6% en 1970, 22% en 1979). Les Japonais ont d’ailleurs du coup choisi de s’implanter sur le territoire américain, ce qui est une façon de contourner ces mesures protectionnistes.

Ces accords d’autolimitation sont couramment pratiqués aux Etats-Unis, en violation des principes du GATT : 9% environ des importations aux Etats-Unis sont touchés par de tels accords d’autolimitation.

  • les normes et mesures administratives : par exemple les normes nationales sur la qualité des produits, qui sont édictées au nom de la protection des consommateurs (exemples : normes sanitaires dans l’agroalimentaire, normes antipollution dans l’automobile, normes de sécurité,…). Il est facile dans ce domaine de glisser insensiblement de la protection du consommateur à des formes déguisées de protectionnisme. Autre exemple : le conflit entre la France et l’Allemagne sur les normes concernant la bière dans les années 80. Un édit allemand du XVIème siècle définit la composition de la bière, selon des normes qui ne sont pas celles pratiquées par les fabricants français. Quand la bière française a gagné des parts de marché en Allemagne, les pouvoirs publics allemands ont procédé à des analyses des produits français et les ont déclarés non conformes aux normes. Autre exemple : la France se sert du nécessaire agrément de France Télécom pour le matériel téléphonique et les fax pour se protéger contre les importations en provenance d’Asie du Sud-Est. La France a aussi utilisé des mesures administratives en 1982, lorsque l’on cherchait à réduire le déficit commercial :

  • obligation de mentionner le pays d’origine sur les produits importés
  • rédaction en français de tous les documents d’accompagnement
  • création d’un centre unique de dédouanement des magnétoscopes à Poitiers, alors qu’ils arrivaient d’Asie au port du Havre.

Les japonais enfin, se sont fait une spécialité de ces usages protectionniste des normes, notamment l’obligation qui est faite de respecter une taille minimum pour les caractères sur les emballages, ce qui favorise les langues à idéogrammes…

  • les subventions à l’ exportation ou à la production. Elles génèrent de nombreux conflits entre les Etats-Unis et la Communauté Européenne, notamment au sujet de la politique agricole commune et sur Airbus.
  • Les manipulations de taux de change : pendant longtemps, on a accusé le Japon, puis les pays d’Asie du Sud-Est (la Corée du Sud en particulier) de sous-évaluer leur monnaie pour rendre leurs produits plus compétitifs sur les marchés extérieurs. Ces accusations posent différents problèmes :

  • comment peut-on définir le taux de change de référence qui permettrait de juger si une monnaie est dévaluée ou non, s’agit-il du taux de change PPA, avec tous les problèmes posé par l’estimation de ce taux de change ?….
  • les autorités monétaires d’un pays sont-elles en mesure de manipuler durablement le taux de change ?

Malgré ces limites, certaines études empiriques concluent que cette arme a été utilisée par le japon : le Yen aurait été sous-évalué entre 1975 et 1978, puis de 1979 à 1981, ce qui aurait permis une hausse des parts de marché des entreprises japonaises à l’étranger et une limitation des importations.

Bilan : si on fait le tour des différentes pratiques protectionnistes, on s’aperçoit que les pays riches ne craignent pas par moment de pratiquer les différentes formes de protectionnismes, y compris pour se protéger des pays du Sud.

  1. Les arguments des défenseurs du protectionnisme

  1. Le protectionnisme éducateur 
  2. Dès le XIXème siècle, il existe des opposants aux doctrines libre-échangistes développées dans le cadre ricardien. Ils soulignent les effets négatifs de la concurrence entre des nations qui n’ont pas atteint le même niveau de développement. C’est dans le contexte de la Révolution industrielle, que se développent ces thèses, notamment en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon, qui sont trois pays touchés plus tardivement par cette révolution industrielle, qui font donc plutôt partie de la seconde vague d’industrialisation.

    L’expression la plus connue de ces raisonnements sur les effets négatifs du libre-échange, pour les pays qui démarrent et connaissent donc un retard économique, a été formulée par Friedrich List, en 1840, dans son Système national de l’économie politique. Il est partisan du Zollverein (union douanière en Allemagne, entre des états, qui n’ont pas encore réalisé leur unité politique) avec l’idée que l’unification du marché intérieur va favoriser l’industrialisation, à condition qu’il soit protégé de l’extérieur par des barrières douanières. Il insiste sur le fait que la puissance économique d’un pays vient de sa capacité à développer une industrie, qu’il existe donc des spécialisations plus avantageuses que d’autres et qu’on ne doit donc pas s’en tenir à des avantages comparatifs acquis : il ne suffit pas d’exploiter des avantages acquis, il faut en construire, pour se spécialiser dans des productions avantageuses. Il constate par ailleurs que les écarts de développement sont déjà importants et qu’un pays qui souhaite développer son industrie, source de sa puissance, ne pourra pas résister à la concurrence venue d’entreprises déjà installées depuis longtemps sur e marché et bénéficiant donc de coûts de production inférieurs (grâce aux économies d’échelle et aux effets d’apprentissage). Dans un premier temps, les biens importés seront plus compétitifs que les biens fabriqués sur le marché intérieur.

    List préconise un " protectionnisme éducateur ", pour les industries " naissantes " ou " dans l’enfance ". Il s’agit donc d’une protection temporaire, le temps que l’industrie nationale puisse devenir compétitive. (remarque : le problème est de savoir à quel moment lever ces protections)

    Cette thèse fait l’objet d’un relatif consensus, y compris au sein du GATT, elle y inspire les dispositions particulières en faveur des PED.

    En toile de fond de cette thèse ou des thèses similaires défendues aux Etats-Unis par Hamilton (1891, Report on manufactures), il y a l’idée que l’Angleterre est libre-échangiste, parce qu’elle est en avance économiquement et que le libre-échange est profitable aux nations, à partir du moment où elles en sont au même niveau de développement, et à partir du moment où elles ont pu développer suffisamment leur industrie.

    En Allemagne, comme aux Etats-Unis, dès les années 1870, les politiques d’industrialisation se sont accompagnées d’un protectionnisme important, alors que, suite à l’abolition des corn-laws (1846), à la signature du traité de libre-échange entre la France et l’Angleterre (1860), à l’établissement du Zollverein (1866), on avait assisté plutôt à un mouvement de libéralisation des échanges en Europe, avec une baisse des droits de douane dès le milieu du XIXème siècle. De 1861 à 1867 10 traités de libre-échange sont signés en Europe, accordant la clause de la nation la plus favorisée. Malgré ces évolutions, on assiste ensuite à un retour du protectionnisme, qui débute en 1865 aux Etats-Unis avec la fin de la guerre de Sécession (victoire du Nord, protectionniste contre le sud, libre-échangiste), suivis par d’autres pays, dont l’Allemagne, dès 1879. Ce retour à des mesures protectionnistes est directement lié à des politiques volontaristes d’industrialisation. C’est aussi le cas en France dès 1881 avec l’adoption d’un tarif extérieur, puis en 1892 avec le vote de la loi Méline, aggravée en 1910.

    Aux Etats-Unis, en 1913, le tarif moyen appliqué aux produits manufacturés atteint 44%. C’est au Japon qu’on voit se développer avec encore plus de netteté le lien entre nationalisme économique et réussite : lien entre le politique d’industrialisation de l’ère Meiji et le protectionnisme.

  3. Les théories de l’échange inégal

L’idée commune aux théories de l’échange inégal, c’est que contrairement à ce qu’affirment les modèles inspirés des avantages comparatifs, tous les pays ne sont pas forcément gagnants au libre-échange, parce que les avantages comparatifs négligeraient les rapports de force internationaux, qui font que certains pays fixent les règles du jeu à leur avantage. Samir Amin, par exemple, insiste sur la différence entre le " centre ", qui fixe les règles du jeu, et la " périphérie ". La domination du centre sur la périphérie, permet le développement de l’échange inégal, qui se fait au profit des pays riches et aux dépens des pays pauvres, peut prendre différentes formes :

  • le rôle particulier joué par les pays colonisateurs dans leurs anciennes colonies. Le rôle de la période de colonisation a été mis en avant par des auteurs qui remarquaient que les pays du tiers-Monde sont souvent d’anciens pays colonisés. Le rôle néfaste des colonisateurs, tel qu’il est présenté par ces théoriciens, peut prendre différentes formes :

  • longtemps, certains ont soutenu la thèse du pillage des pays colonisés par les pays colonisateurs, pillage notamment des matières premières, mais aussi à travers l’exploitation de la main-d'œuvre. Cette théorie du pillage a connu ses heures de gloire dans les années 70, l’idée étant qu’une grande partie du surplus généré par le Sud est drainé vers le Nord, à cause des règles de l’échange inégal, et du coup cela bloque l’accumulation du capital au sud et donc le développement. Il est vrai que l’échange Sud /Nord s’est organisé autour des matières premières des pays du Sud, mais la thèse est largement remise en cause aujourd’hui. Les historiens insistent plutôt sur le fait que la colonisation n’a pas été une opération économiquement rentable et que son importance était surtout d’ordre politique. C’est en particulier la thèse défendue par Jacques Marseille au sujet de la France. D’ailleurs, l’essentiel des matières premières consommées dans les pays du centre est produit au centre. Paul Bairoch estime qu’avant la seconde guerre mondiale, l’autosuffisance du Nord était assurée : 96% environ. C’est aussi la thèse défendue par Pierre-Noël Giraud, qui écrit : " la croissance des pays riches n’a pas reposé sur une exploitation privilégiée des richesses naturelles du Tiers-Monde, sauf pour le pétrole . ". Le Tiers-Monde n’assure aujourd’hui qu’une part assez faible de la production mondiale de matières premières.
  • Si cette thèse du pillage est largement contestée, il est plus largement admis que les pays colonisateurs ont malgré tout joué une influence en bloquant toute possibilité d’industrialisation et de mise en œuvre d’un processus de rattrapage. Ce blocage s’est parfois traduit par différentes actions qui ont détruit les industries locales, qui commençaient à se développer : on cite souvent le cas de l’Egypte ou celui de l’Inde, qui est analysé par Paul Bairoch (dans Le Tiers Monde dans l’impasse) : il montre comment l’industrie textile indienne, qui fonctionnait sur un mode assez artisanal a été complètement détruite par la concurrence anglaise : la mécanisation, qui s’accélère à partir de 1780, permet de baisser les coûts de revient et donc les prix de vente des cotonnades anglaises. Du coup, l’Angleterre a pu vendre en inde ses cotonnades, alors que traditionnellement, elle importait du coton brut en provenance de l’Inde. Ses importations ont d’ailleurs fortement augmenté avec le développement de l’industrie textile : en 1820, l’Angleterre consommait 40 fois plus de coton brut qu’en 1760. Dès 1813 l’Angleterre contraint même l’Inde à lui acheter les cotonnades embarquées à Liverpool. Il y a alors des arrivages de cotonnades peu chères, le transport est facilité par l’ouverture du canal de Suez (1869), qui réduit de presque la moitié le trajet Inde - Angleterre.

Pour payer ces importations de cotonnades, il fallait que l’Inde exporte et l’Angleterre l’a encouragée à développer les cultures d’exportations, en développant des exploitations appartenant à des européens.

Le rôle des pays colonisateurs a donc plutôt consisté à bloquer l’industrialisation des pays colonisés et à leur imposer une spécialisation peu avantageuse à long terme dans les matières premières.

Si on analyse l’exemple indien au regard des avantages comparatifs, on peut dire qu’il était normal que l’Angleterre exporte des produits textiles, puisqu’elle possédait un avantage comparatif dans ce domaine, grâce à la mécanisation, mais ce que souligne aussi cet exemple, c’est que la théorie des avantages comparatifs ignore les effets de long terme de la spécialisation, le fait que certaines spécialisations sont plus avantageuses que d’autres.

  • en lien avec ce rôle des pays colonisateurs, les théories de l’échange inégal se sont souvent appuyées sur une analyse des termes de l’échange, c'est-à-dire le ratio :

prix des exportations

prix des importations

Il était généralement admis qu’il y avait eu une dégradation des termes de l’échange pour les pays du tiers monde, en raison de leur spécialisation dans les matières premières, dont les prix connaissent des fluctuations importantes, généralement orientées à la baisse. Cette question de la dégradation des termes de l’échange est l’objet de débats. Jacques Marseille la conteste : il reprend l’exemple donné souvent : en 1954, on achetait une jeep contre 14 sacs de café et en 1962 il en fallait 39. Il conteste d’abord les années de référence : en 1954, le cours du café avait atteint un record historique. Malgré tout, il semble qu’il existe une tendance assez générale à la dégradation : une enquête de la banque mondiale a étudié l’évolution du rapport :

Prix des matières premières (hors pétrole)

Prix des importations industrielles

Ce rapport passe de l’indice 145 en 1948 à l’indice 100 en 1989, soit une baisse de 45%. On retrouve les mêmes résultats pour la période 1968-88 : la dégradation des termes de l’échange atteint 41% pour les matières premières et 14% pour les produits manufacturés.

  • au delà du débat sur la pertinence des théories de l’échange inégal, ce qu’on peut observer, c’est qu’historiquement, les partisans du libre-échange ont presque toujours été des nations économiquement dominantes, c’était déjà vrai pour l’Angleterre du XIXème siècle. Et que dans les périodes de crise, les tentations protectionnistes sont plus fortes. Aujourd’hui, les pays d’Asie du Sud-Est reprochent à l’Europe et aux Etats-Unis d’être trop protectionnistes et leur demandent d’ouvrir davantage leurs marchés.

  1. Les différents éléments du débat actuel sur la mondialisation

  1. Premier débat autour de l’importance des changements intervenus dans les relations économiques internationales.

  1. Que désigne-t-on derrière le terme de mondialisation ?

On a utilisé ce terme de mondialisation ou de globalisation (tiré de l’anglais) pour désigner l’accélération et l’approfondissement de l’internationalisation, avec l’idée que l’approfondissement des échanges allait de pair avec un changement de nature de ces échanges. Au delà de l’idée de changements quantitatifs et qualitatifs dans les mouvements d’internationalisation des économies, il règne un certain flou sur l’utilisation de ce terme.

Robert Boyer, dans un ouvrage collectif intitulé, La mondialisation : mythes et réalités, distingue 4 définitions par ordre d’apparition chronologique, en montrant que le terme a d’abord désigné des changements dans le mode de gestion des firmes, puis une nouvelle étape dans l’internationalisation des économies capitalistes. Les quatre acceptions du terme mondialisation sont les suivantes, par ordre d’apparition chronologique :

  • 1983, c’est Théodore Lewitt qui utilise le terme pour désigner le fait qu’il y aurait désormais convergence de tous les marchés nationaux, la " société globale " vendrait le même produit partout, comme si il existait un marché mondial, en ne s’adaptant que lorsque c’est nécessaire aux spécificités nationales. C’est une analyse qui cherchait à rompre avec celle du cycle de vie du produit. Ici, le terme ne désignait donc qu’une stratégie de vente, utilisée par les firmes multinationales.
  • 1990 : Kenichi Ohmae, utilise le terme pour désigner le fait que certaines firmes conçoivent la totalité de leur stratégie à l’échelle mondiale : la recherche et le développement, l’ingénierie, la production, la commercialisation, le financement, tout serait géré par ces firmes à l’échelle mondiale. Pour cet auteur, la mondialisation est la dernière étape d’un processus d’internationalisation des firmes :

  • d’abord, elles produisent chez elles et exportent à l’étranger

  • ensuite, elles établissent des réseaux commerciaux et des ponts de vente à l’étranger

  • ensuite, elles produisent à l’étranger, en y créant des filiales

  • enfin, c’est le stade de l’intégration globale : elles pensent tout directement au niveau mondial.

  • 3ème définition : elle correspond à l’idée que les firmes globalisées chercheraient à définir de nouvelles règles du jeu international, en s’affranchissant le plus possible de la tutelle des Etats.

  • 4ème définition, qui est celle la plus couramment utilisée : la globalisation apparaît comme une nouvelle étape dans l’histoire du capitalisme mondial, avec l’idée d’un approfondissement des interdépendances entre les différents pays, qui se manifesterait notamment par le mouvement de dérèglementation, qui a accompagné la mondialisation. Cette dernière étape serait marquée aussi par la disparition des conjonctures nationales au profit d’une conjoncture mondialisée.
  1. En apparence, les changements sont spectaculaires

® un fort développement des échanges

On observe depuis 1945, un fort développement des échanges : les flux mondiaux de marchandises, sont passés de 63 milliards de $ en 1950 à 2100 milliards en 1986, en volume, ils ont été multipliés par 9 sur la période, alors que la production mondiale n’a été multipliée que par 4.8. Autres estimations : entre 1947 et 1992, les échanges internationaux ont été multipliés par 64 en valeur, passant de 57 milliards de $ à 3650 milliards de $ (services exclus). En volume, ils ont progressé 40% plus vite que la production mondiale.

Malgré le ralentissement de la croissance, le commerce international a continué à croître plus vite que la production : +5.3% par an entre 1984 et 1994, les exportations mondiales ont augmenté de 5% par an sur la période, alors que la production connaissait une quasi-stagnation en n’augmentant que de 0.5% par an. C’est le contraire de ce qui s’était passé dans l’entre-deux-guerres, où la crise s’était accompagnée d’une contraction forte des échanges.

Ce fort développement ne concerne pas seulement les biens matériels, il concerne aussi les flux d’invisibles, c'est-à-dire les revenus liés au tourisme, aux activités financières internationales, les opérations d’assurance, les revenus et dépenses engendrés par les transports, l’utilisation de connaissances scientifiques ou de technologies (comme l’achat de brevets ou de licences), auxquels il faut ajouter les transferts de revenus par la main-d'œuvre immigrée et les mouvements de capitaux, liés aux rapatriements de bénéfices ou aux prêts bancaires. En 1967, les invisibles ne représentaient que ¼ des transactions courantes, ils en représentaient 31% en 1985.

® une forte croissance de l’ouverture des économies, résulte de ce développement des échanges plus rapide que la croissance de la production mondiale.

Au lendemain de la guerre, les importations et les exportations de biens et services représentaient respectivement 10% et 12% du PIB. Au début des années 90, elles dépassaient 20% du PIB. En 1996, les importations représentaient 21.4% du PIB et les exportations 24%. Cette hausse du degré d’ouverture a bien entendu accru le poids de la contrainte extérieure.

On peut mesurer le degré d’ouverture de différentes façons :

  • le coefficient de dépendance, qui mesure la dépendance à l’égard de l’extérieur en matière d’approvisionnement : (importations / PIB)´ 100
  • le coefficient d’ouverture : (exportations / PIB)´ 100. Il mesure le degré de dépendance en matières de débouchés.

  • Le taux d’ouverture :

La montée des interdépendances se mesure par exemple par l’augmentation du second ratio :

 

1960

1970

1980

1990

Japon

10.7

10.8

14.9

11

Etats-Unis

5.1

5.8

10

10

Allemagne

19

21.2

26.5

34.2

France

14.5

15.8

21.5

24.3

Ce degré d’ouverture varie selon les pays :

  • aux Etats-Unis, au début des années 70, les importations représentaient 4% du PIB et les exportations 6%. Les Etats-Unis sont traditionnellement peu ouverts sur l’extérieur, mais ces parts ont doublé dans les années 80 et le taux d’ouverture est aujourd’hui stabilisé autour de 10%.
  • Le degré d’ouverture du japon a peu varié, il se situe autour de 7%.
  • Les pays européens sont plus ouverts que les autres grâce au développement des échanges intra-européens, si l’on prend l’ensemble des 15, le degré d’ouverture est resté stable, autour de 8% à 9%.

® un fort développement des investissements à l’étranger, notamment des investissements directs.

Quelques définitions : l’investissement à l’étranger peut prendre deux formes :

  • investissements directs, on considère par convention qu’il s’agit d’un investissement direct si l’investisseur étranger possède au moins 10% des actions ordinaires de droit de vote : on considère qu’en acquérant 10% ou plus du capital d’une entreprise, on réalise un investissement à long terme, pas seulement un placement, qui permet éventuellement d’exercer une influence sur la gestion de l’entreprise.

  • investissements de portefeuille : il s’agit de ceux pour lesquels au contraire on acquiert moins de 10% des actions ordinaires.

Le développement des échanges commerciaux n’est pas le seul canal d’approfondissement du mouvement d’internationalisation. Depuis les années 60, les firmes ont développé la création d’établissements à l’étranger, ce qui a correspondu au développement des firmes multinationales.

Le développement des investissements directs est très marqué dans les années 80 : le flux de ces investissement a été multiplié par 7 en 15 ans :

  • 40 milliards de dollars au début des années 80

  • 290 milliards en 1995

  • 350 milliards en 1996

De 1986 à 1990, le cumul de flux d’investissements annuels recensés par le FMI atteint 650 milliards de dollars contre 220 pour les cinq années précédentes. Au total sur la décennie 80, 870 milliards de $ contre 290 milliards seulement dans les années 70. On retrouve le même mouvement d’accélération pour tous les pays occidentaux, c’est particulièrement vrai pour le Japon : à partir de 1995 la production à l’étranger des producteurs automobiles japonais a dépassé le montant de leurs exportations, plus généralement les investissements à l’étranger représentaient 17 milliards de $ en 1980 et 217 milliards en 1991.

La France a elle aussi beaucoup développé ses investissements directs à l’étranger, à partir surtout de 1986 : entre 1981 et 1986, le flux est de 20 milliards de francs, il atteint 200 milliards en 1990, soit une croissance de 50%/an en moyenne pendant 5 ans. On observe par la suite une diminution puis une nouvelle augmentation à partir de 1996. Parallèlement, on observe une réorientation des flux d’investissements français : davantage en direction des PED, notamment ceux d’Asie et les PECO (pays d’Europe Centrale et Orientale) : l’OCDE ne représente plus que 78% des investissements alors qu’en 1990 elle représentait encore 97%. Remarque : la France est aussi terre d’accueil desinvestissements étrangers : elle occupe le troisième rang mondial en 1996.

  1. On peut nuancer l’ampleur des changements intervenus

® en examinant les résultats

· l’exportation reste malgré tout le principal vecteur d’échange, nettement avant la production des filiales établies à l’étranger. les entreprises américaines par exemple, n’ont que peu internationalisé leur production : parmi les firmes manufacturières, seule Ford emploie plus de 50% de ses salariés à l’étranger. Au Japon, Sony emploie 55% de ses salariés à l’étranger, mais il figure d’exception. Ne sont réellement globalisées (au sens de firme globale, définition 2) que quelques multinationales de petits pays très ouverts, comme Nestlé (Suisse), qui emploie 96% de ses salariés à l’étranger.

· le technoglobalisme, c'est-à-dire l’idée, selon laquelle il existerait des accords au niveau mondial entre frimes pour fusionner leurs capacités technologiques et développer des savoir-faire communs, est plutôt démentie. Il existe des exemples d’accords de ce type dans l’électronique ou les télécommunications, qui visent à partager des coûts très élevés de R&D et à e faire porter la concurrence que sur les produits dérivés de ces innovations. Mais ces accords ne sont pas une généralité et la plupart des pays pensent les innovations comme une source importante de leur compétitivité et les firmes ne cherchent que rarement à diffuser des innovations dans des territoires étrangers. Les brevets restent très souvent nationaux. Seuls quelques petits pays comme les Pays-Bas, la Suisse ou la Suède ont réellement un système d’innovations internationalisées.

· dans les sources de financement des entreprises, on ne voit pas non plus beaucoup de traces de la globalisation. Elles financent l’essentiel de leurs activités sur les marchés locaux. General motors et Ford ne financent qu’1/3 de leurs actifs à l’étranger, IBM la moitié. Les firmes continuent à dépendre majoritairement des règles en vigueur ans leur propre pays. D’ailleurs Boyer fait remarquer, comme d’autres observateurs, que le fort développement des flux de capitaux devrait rendre les firmes moins dépendantes des capacités d’épargne nationale, mais il montre que le taux d’investissement reste encore fortement corrélé u taux national d’épargne et reste peu sensible à l’ampleur des flux de capitaux. Il prend l’exemple de la crise mexicaine de 1994-1995, pour montrer qu’il est difficile de financer des projets d’investissement ambitieux, sans épargne nationale suffisante. A contrario, si les pays du Sud-Est asiatique connaissent des croissances plus rapides qu’en Amérique Latine, c’est aussi parce qu’ils épargnent deux fois plus, les investissements étrangers n’étant qu’un appoint à un processus interne.

· la mobilité de la main d’œuvre reste très limitée, le capital est du coup nettement plus mobile que le travail, conséquence : les investissements se dirigent vers les réserves de main-d'œuvre, il s’agit pour Boyer davantage de délocalisation de la production que de globalisation de la politique d’emploi des firmes.

· la loi du prix unique, qui devrait être vérifiée si on se trouvait dans une économie réellement mondialisée, puisque la concurrence généralisée entraînerait la convergence des prix mondiaux pour une même marchandise, or elle n’est pas vérifiée.

Exemple : on observe en moyenne des différences de 20% dans le prix des modèles automobiles au sein des pays européens et des écarts plus importants encore pour les modèles haut de gamme. Autre exemple : au printemps 1996, l’indice du coût de la vie pour un cadre expatrié allait de 90 à Rome, 130 à Paris, 100 à New-York, 180 à Tokyo. Le prix de l’essence varie de 5 cents /litre à Carracas à 150 cents /litre à Vienne (la différence renvoie ici au pouvoir discrétionnaire des Etats de taxer certains produits peu substituables ou très liés à l’espace national. On observe la même chose pour les prix agricoles, qui eux aussi varient en fonction des subventions).

· la conjoncture mondiale est un mythe pour le moment. Il est vrai que les marchés boursiers et financiers sont devenus très interdépendants, mais il persiste au-delà de fortes particularités nationales.

Exemple : en mai 1996, les conditions de rémunération, c'est-à-dire le rapport valeur des actions/ rémunération, variait de 110 au Japon à 10 en Suède, il était de 70 en France et de 30 en Allemagne et ces écarts ne semblent pas se réduire au cours du temps. On observe la même chose pour les cycles d’optimisme ou de pessimisme, même au sein de l’Europe.

® en resituant les mouvements récents dans le plus long terme ;

Le mouvement d’internationalisation est ancien :

  • on peut citer à ce sujet les analyses de Fernand Braudel sur l’histoire des " économies-mondes " : il décrit le capitalisme mondial du XVème au XVIIIème siècle, comme une série d’économies-mondes. Ces économies-mondes sont centrées sur une ville, qui est au cœur d’un réseau de villes étrangères.

Les villes qui sont au centre de l’économie-monde en Europe ont souvent changé au cours des trois siècles :

  • 1380 à 1500, durant tout le XVème siècle, c’est Venise qui détient l’hégémonie.

  • on assiste à une fluctuation de l’hégémonie entre les Flandres et l’Italie du Nord (suite à la découverte de l’Amérique et d’une route maritime vers l’Inde, passant par le Sud de l’Afrique, Venise perd sa position hégémonique) : entre 1500 et 1550 c’est Anvers qui est au centre puis de 1550 au début du XVIIème siècle, c’est Gênes qui domine.

  • C’est ensuite Amsterdam qui domine pendant le XVIIIème siècle
  • Enfin c’est Londres qui prend le relais.

Entre le Xvème et le XVIIIème siècle, on a un capitalisme international, qui prend la forme de ces réseaux de relations entre villes étrangères, avec au centre une ville dominante, le capitalisme ne se développe pas sur la base des territoires nationaux pour ensuite s’internationaliser, il est d’emblée mondial avant même d’être national.

Braudel note ensuite que l’économie-monde européenne a comme particularité d’étendre ses réseaux à d’autres économies-mondes dès le Xvème siècle : elle devient vite hégémonique en Amérique, après les grandes découvertes, et elle ouvre ses premiers comptoirs en Asie, de plus la traie des Noirs la met très tôt en relation avec l’Afrique. Au XVIIIème siècle, l’économie-monde européenne pénètre réellement en Inde et en Insulinde, même si les Hollandais et les Portugais y avaient déjà établi des réseaux.

  • progressivement, en plus de ce " capitalisme nomade " (l’expression est de Pierre-Noël Giraud), se constituent des marchés intérieurs importants, où se développent des relations marchandes. C’est d’abord le cas en Angleterre, au moment de la Révolution Industrielle (cf. cours sur les innovations) puis en Europe dans la seconde moitié du XIXème siècle. On assiste parallèlement à des progrès importants dans les transports, que se soit pour les chemins de fer o pour les transports maritimes (le tonnages des bateaux à vapeur dépasse celui des clippers vers 1895). La première ligne de chemin de fer est ouverte en 1825 en Angleterre, en 1830 aux Etats-Unis, en 1832 en France, en Allemagne en 1836. En 1860, 100000 kilomètres de lignes sont réparties dans 35 pays.

Ces possibilités entraînent un développement des échanges commerciaux : Entre 1860 et 1913, le commerce mondial de marchandises est multiplié par 7 en volume. Les industries exportent déjà le quart de leur production en 1913 (26% pour la France, 31% pour l’Allemagne et% pour la Grande-Bretagne). On assiste déjà à l’époque à des débats sur le protectionnisme et le libre-échange : la Grande-Bretagne est libre-échangiste, forte de sa grande avance, les autres pays qui ont suivi, ont été plus ou moins protectionnistes. Boyer rappelle que dès le XIXème siècle, les conjonctures nationales sont en partie liées et que la baisse des coûts du transports entraîne un redéploiement des avantages comparatifs entre pays industrialisés (il fait un parallèle intéressant avec l’introduction aujourd’hui des technologies de l’information, qui redéploie les avantages comparatifs, non pas cette fois-ci entre pays industrialisés, mais entre pays émergents et pays de vieille industrie).

  • ces évolutions aboutissent à la veille de la première guerre mondiale à une situation qui ressemble un peu à la situation actuelle. Pour la France, le taux d’extraversion (commerce international /production) : il est de 12.9% en 1913, il chute à 6.2% en 1938 et augmente ensuite sans interruption jusqu’en 1993 pour atteindre 14.3%. Le taux d’extraversion observé aujourd’hui n’est donc pas sans précédent. Plus généralement, c’est le cas pour l’ensemble des pays : les échanges tiennent dans les années 80 une place équivalente dans le PIB à celle qui existait au début du siècle. Cela s’explique par le fait que la crise des années 30 et la seconde guerre mondiale avaient entraîné une contraction importante des échanges, donc le mouvement d’ouverture des trois dernières décennies a compensé le mouvement antérieur de contraction.

Le taux d’exportation (exportations /PIB)´ 100 a évolué dans les différents pays de la façon suivante :

 

1910

1920

1950

1980

Etats-Unis

6

10

4

9

Allemagne

16

7

8

24

France

15

15

11

17

Royaume-Uni

21

22

16

24

Ford installe ses premières usines à l’étranger en 1913 (en Grande-Bretagne), puis en 1916 au Canada, suivi par d’autres grandes firmes américaines. Le phénomènes de multinationalisation est donc relativement ancien.

Enfin, l’essor des investissements directs poursuit un mouvement de long terme : le flux d’investissement rapporté au PIB est de 3% en 1913 et de 4% en 1990 (qui représente un pic). Il y a simplement eu des changements dans l’origine et la destination de ces investissements. En 1913, il s’agissait essentiellement d’investissements britanniques. Après 1945, les investissements étrangers sont massivement d’origine américaine, on observe ensuite une diversification avec les japonais et les européens.

Bilan : Si on prend en compte le temps long et en particulier l’échelle de tout le siècle, les phénomènes qui apparaissent comme radicalement nouveaux par rapport à l’époque des Trente Glorieuses et aux années 60, ne sont pas si nouveaux comparés à la situation au début du siècle.

  1. des changements importants sont malgré tout survenus dans l’économie mondiale depuis les années 70

® tout d’abord dans le fonctionnement du système monétaire international, les perturbations du système de change ont pu avoir des conséquences sur les échanges, en contribuant à perturber le jeu des compétitivités nationales.

® le mouvement de globalisation financière : on verra dans le chapitre sur cette question que, s’il est possible de nuancer l’ampleur des changements intervenus dans la mondialisation de la production, on peut difficilement contester l’importance des changements intervenus dans le système financier international, avec une explosion des mouvements de capitaux.

® la montée en puissance des NPI, c'est-à-dire la redistribution des cartes de la puissance :

  • historiquement, les pays d’Europe Occidentale sont les premiers touchés par la révolution Industrielle, qui se diffuse ensuite au cours du XIXème siècle aux Etats-Unis, à l’Europe Orientale et au Japon. Parallèlement, les deux grandes puissances industrielles qu’étaient l’Inde et la Chine, sont marginalisées, le lien avec les politiques coloniales.

Jusqu’en 1960, on n’observe pas réellement de bouleversements dans la hiérarchie entre les pays industrialisés et les autres. Seuls certains pays d’Amérique latine s’industrialisent pendant les deux premiers tiers du XXème siècle, mais ils pèsent très peu dans la production mondiale.

La situation en 1960 est proche de celle du début du siècle : les pays développés réalisent les ¾ de la production mondiale manufacturière et les actuels PED moins d’1/10ème, les pays d’Europe de l’Est moins d’1/6ème.

- la situation a commencé à changer à partir des années 60, en raison d’un mouvement rapide d’industrialisation en Asie du Sud-Est. Au milieu des années 90, la part des pays développés est revenue à 2/3, celle des pays communistes à 1/10 et celle des PED à ¼ de la production manufacturière mondiale. Cette poussée industrielle se traduit aussi dans la part des PED dans le PIB mondial : 40% du PIB mondial est réalisé dans les PED. Six des NPI font désormais partie des 15 premières puissances économiques au niveau mondial : il s’agit de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Indonésie, du Mexique et de la Corée du Sud. La chine pèse le même poids que le japon, l’Inde pèse le même poids que la France et le PIB indonésien dépasse celui du Canada. Taïwan et la Thaïlande devraient avoir rejoint ce groupe des 15 premiers vers 2020 (chassant l’Espagne et le Canada). A l’horizon de 2020, la Chine devrait avoir un PIB supérieur de 40% à celui des Etats-Unis. La part de ce qu’on appelle aujourd’hui les PED serait de

60% dans le PIB mondial.

Cette montée en puissance des PED est en fait largement une montée en puissance des NPI d’Asie. Depuis 1979, l’Asie en développement a doublé sa part dans le PIB mondial, c'est-à-dire qu’elle occupe aujourd’hui une part plus importante que celle des Etats-Unis ou celle de l’Europe Occidentale. Dans le même temps la part des autres régions en développement (Amérique latine, Afrique subsaharienne, Maghreb) a diminué sous l’effet de la crise de la dette et du contre-choc pétrolier. Cette poussée asiatique s’explique par une meilleure insertion dans les échanges internationaux, cette insertion se manifeste à la fois pour les exportations et pour les importations. Ce sont les NPI d’Asie qui sont responsables de la quasi-totalité de l’augmentation de la part des PED dans les exportations mondiales : la part des PED passe de 5% en 1970 à 22% en 1993. Autre indicateur, la part des PED sur les marchés mondiaux de produits manufacturés a aussi beaucoup augmenté : elle passe de 3% en 1970 à 17% en 1993. On observe parallèlement une hausse des importations, même si les NPI sont très critiqués pour leur protectionnisme, on peut les considérer comme des locomotives de la demande mondiale : leur poids dans les importations mondiales dépasse celui des Etats-Unis ou celui de l’Allemagne et du Japon réunis.

On peut résumer ces évolutions :

 

1977

1985

1993

Part de l’Asie en développement dans les exportations mondiales

7.6%

11.3%

16.6%

Part de l’Asie en développement dans les importations mondiales

8%

11.9%

17.9%

Il faut remarquer plusieurs choses :

  • la montée en puissance des NPI s’est accompagnée aussi d’une augmentation de leurs importations. Krugman insiste beaucoup sur ce point.
  • Cette montée en puissance ne s’est pas faite au détriment des pays du Nord :
  • ils réalisent encore 70% du commerce mondial
  • 4/5 ème des échanges internationaux de font au sein de la triade Etats-Unis , Europe, Japon.
  • Si on examine la part des pays du G7 dans les échanges, on ne peut pas parler de recul :
 

1977

1985

1993

Part dans les exportations mondiales

50.5%

52.1%

52.8%

Part dans les importations mondiales

50.9%

53.5%

49.8%

  • Enfin, pour relativiser l’idée selon laquelle on subirait de plein fouet la concurrence des NPI d’Asie, il faut noter que l’essentiel des échanges pour les pays industrialisés se font avec d’autres pays industrialisés : le commerce Nord-Nord représente l’essentiel du commerce mondial. Il suffit pour le remarquer d’observer les matrices du commerce mondial

  1. Mondialisation chômage et inégalités

La montée en puissance des NPI, pays à bas salaires, est souvent présentée dans l’opinion publique comme une cause de chômage et de creusement des inégalités. Les économistes sont partagés sur ce sujet, on peut distinguer deux options :

  • une option optimiste, qui explique que ces pays tirent profit de leurs avantages comparatifs et que ça n’est pas très nouveau, que ce sera profitable si les pays de vieille industrie adaptent leur spécialisation. Dans cette version, il se pose juste un problème d’ajustement et d’accompagnement par des politiques sociales pour indemniser les " victimes " du libre-échange (parallèle avec l’introduction d’innovations).

  • une option plus pessimiste, qui souligne les risques pour les travailleurs les moins qualifiés des pays riches.

  1. Le point sur l’évolution des inégalités dans les pays riches.

  • Alors qu’on avait longtemps cru que la courbe de Kuznets était vérifiée, c'est-à-dire qu’on observait au cours du processus de développement une évolution en Ç des inégalités, on observe à partir des années 80 un creusement des inégalités dans les pays riches ou au moins pour certains une stagnation de la diminution des inégalités. Sur cette question des inégalités, les travaux de référence sont ceux de Thomas Piketty, on peut par exemple lire son repère L’ économie des inégalités.
  • On peut mesurer l’évolution de ces inégalités de différentes façons, l’indicateur le plus utilisé est l’écart interdécile.

La méthode est la suivante : on classe la population par ordre de revenu croissant, puis on la répartit en 10 tranches de 10%. Le décile peut désigner deux choses :

Parfois la moyenne des revenus pour les ménages situés dans la tranche, parfois la borne supérieure de la tranche. Ainsi, le décile 1 (D1) peut désigner la moyenne des revenus pour les 10% les moins biens payés (c’est le cas dans les tableaux présentés par Piketty). Le décile peut aussi désigner la limite supérieure de la première tranche de 10%, c'est-à-dire le salaire au-dessous duquel se situent les 10% de salariés les moins bien payés. Quand on adopte la première notation, on appelle généralement P , P , ….P les valeurs limites séparant les différentes tranches de revenus.

L’écart interdécile, généralement noté D /D ou selon le premier type de notation P /P , mesure le rapport entre ce que gagne au moins les 10% les plus riches et ce que gagnent au plus les 10% les plus pauvres. En France aujourd’hui cet écart est de 3.2, les 10% les plus riches gagnent plus de 3.2 fois plus que les 10% les moins bien payés. C’est donc un indicateur qui ne mesure pas les écarts maximums observés, puisqu’il élimine du calcul de l’écart des revenus la première tranche et la dernière.

On ne mesure pas la même chose lorsqu’on compare des revenus moyens entre la tranche la plus élevée et la tranche la plus basse :

D /D (notation Piketty) = salaire moyen des 10% les mieux payés / salaire moyen

des 10% les moins bien payés

Ce rapport est de 4.9 en France aujourd’hui, ce qui signifie qu’en moyenne les 10% de salariés les mieux payés gagnent 4.9 fois plus que les 10ù de salariés les moins bien payés.

Piketty étudie l’évolution des inégalités depuis les années 70, en étudiant l’évolution de l’écart interdécile pour les salaires, il obtient les résultats suivants :

 

1970

1980

1990

Etats-Unis

3.2

3.8

4.5

France

3.7

3.2

3.2

Royaume-Uni

2.5

2.6

3.3

Suède

2.1

2.0

2.1

L’inégalité n’a réellement augmenté qu’en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, dans les autres pays les inégalités ont cessé de décroître. Aux Etats-Unis, l’augmentation des inégalités a été de 50%, ce qui les ramène au niveau de l’entre-deux-guerres. Piketty fait remarquer que si la France a réussi à éviter la réouverture de l’éventail des revenus disponibles, c’est grâce à une politique de revenus de transfert et surtout, qu’une autre forme d’inégalité se développe c’est celle face à l’emploi et il conclue sur le fait que les inégalités face aux revenus du travail ont augmenté dans tous les pays depuis les années 70, sous une forme ou sous une autre.

  1. Les arguments de l’optimisme

® l’examen des avantages liés aux bas salaires

les bas salaires sont une forme particulière d’avantage comparatif, qui est le revers d’une spécialisation dans des biens à faible contenu technologique. Il faut nuancer cet avantage, puisque ce qui influence les coûts de production dans ce domaine, ce sont les coûts salariaux combinés à la productivité du travail et comme souvent les pays à bas salaires sont aussi des pays où la productivité du travail est faible, l’avantage en termes de coûts salariaux est moindre que ce que laisserait penser une simple comparaison en termes de salaires horaires. En effet,

coût salarial unitaire =

(par unité produite)

donc coût salarial unitaire =

Quand la productivité du travail augmente alors, selon Krugman, les salaires augmentent. Il appuie son analyse sur des exemples historiques : le salaire moyen au japon représentait 10% du salaire moyen américain il y a 30 ans, à une époque où le Japon avait des niveaux de productivité très faibles par rapport aux niveaux américains. Aujourd’hui, après la phase de rattrapage rapide, les niveaux moyens de salaires au Japon atteignent 110% des niveaux américains. Krugman insiste sur le fait que plus récemment on a observé la même convergence des salaires pour la Corée du Sud. L’argument consiste donc à dire que l’avantage en termes de bas salaires reflète une spécialisation dans certains biens incorporant peu de technologie et donc que dans les pays concernés, au début de leur phase d’industrialisation, les niveaux de productivité sont faibles et que si ces pays se développent et atteignent nos niveaux de développement et donc de productivité, alors les salaires convergeront automatiquement vers nos niveaux de salaires. L’argument de la concurrence abusive par les bas salaires reflèterait donc selon Krugman une méconnaissance des vertus du libre-échange fondé sur la spécialisation en fonction des avantages comparatifs.

De plus, certaines études observent que en matière de délocalisations d’entreprises américaines, les bas salaires ne sont pas toujours le critère essentiel d’orientation des flux d’investissement, il existe d’autres critères comme la stabilité des prix, celle du taux de change, ou encore la stabilité politique. Les nouvelles formes de concurrence ne se font pas que par les prix, la compétitivité-prix n’est pas le seul élément explicatif et certains spécialistes du tiers monde évoquent un déclin de l’avantage par les coûts.

® les études empiriques concernant la France

Les pays qui exportent plus chez nous, se développent grâce à cette stratégie de croissance par les exportations et du coup importent massivement les biens d’équipement dont ils ont besoin pour assurer leur développement. Les mêmes études mettent en évidence le fait que les pays en question ont des taux d’épargne élevés et que c’est le gage de taux d’investissement élevés, typiques des phases d’industrialisation rapides.

Si l’on veut estimer les effets sur l’emploi de cette concurrence de certains pays du Sud, il faut examiner les effets croisés des importations et des exportations. C’est ce qu’ont fait différentes études empiriques : la plus connue est celle de Claude Vimont, qui est l’auteur de nombreux articles, puis d’un livre intitulé Concurrence internationale et balance en emplois. Son étude porte sur la période 1988-1995. La méthode utilisée est la suivante, par exemple pour l’année 1995 :

  • il estime le nombre d’emplois créés en 1995 grâce aux exportations à 3.3 millions
  • il calcule ensuite le nombre d’ " équivalents-emplois " détruits par les importations et l’estime à 3.2 millions environ.
  • Il en conclue que le solde est de 115 000 emplois, c'est-à-dire que le commerce extérieur a permis de créer 115000 emplois en France en 1995.
  • Il ne tient pas compte dans ses estimations de l’agroalimentaire ou des services parce qu’il s’agit de produits qui ne sont pas librement localisables. Le problème réside dans la difficulté d’évaluer précisément et de façon fiable le nombre d’emplois créés et détruits. Les entreprises exportatrices par exemple ne travaillent que rarement uniquement pour l’exportation, il faut alors estimer la part de leur production qui est exportée et la part du temps du personnel qui est consacrée à l’activité en vue d’exporter… La tâche d’estimer le nombre d’emplois qui seraient maintenus en France si on n’importait pas est encore plus délicate : faut-il estimer le nombre d’emplois en fonction des emplois dans des entreprises françaises pratiquant la même production que celle qui est importée ? Est-ce toujours possible ?

Claude Vimont trouve que le solde de la balance en emplois est positif pour 1993, 1994 et 1995 mais négatif entre 1988 et 1992. (le solde de la balance en emplois serait de –245000 en 1988 ; - 303000 en 1989 ; -319000 en 1990 ; - 219000 en 1991 ; - 87000 en 1992).

Il précise ensuite ce qui se passe pour nos échanges avec les pays d’Asie du Sud-Est :

  • pour la Corée du Sud, on perdait 15000 équivalents-emplois en 1988, mais depuis la balance serait à nouveau équilibrée
  • même évolution pour l’ensemble du Sud-Est asiatique, on passe d’une perte de 43000 emplois à un gain de 47000
  • la seule exception concerne la Chine, la France exporte assez peu en Chine, nous perdons en 1995 56 000 emplois dans notre commerce avec ce pays.
  • C’est avec les pays de l’union européenne que nous enregistrons des soldes négatifs : -80 000 emplois en 1995.

Enfin, il montre que les effets sur l’emploi varient selon les secteurs :

  • très positifs pour l’aéronautique (+144 000 emplois), pour l’automobile ou la parachimie
  • négatifs pour le textile (-58 000) ou la fabrication des machines de bureau.

Une autre étude de Claude Vimont sur la France en 1991 montre que nos échanges avec le Sud ont permis la création de 106000 équivalents-emplois, mais grâce au tourisme. Si on ne raisonne que sur le solde manufacturier, le solde est négatif avec l’Asie du Sud-Est, surtout si on considère le solde d’emplois peu qualifiés.

La méthode des équivalents-emplois a été critiquée parce qu’elle ne tient pas compte de trois choses :

  • le consommateur français voit son pouvoir d’achat augmenter grâce à l’importation de produits moins chers, cela fait un supplément de revenu pour l’économie
  • les importations augmentent le pouvoir d’achat des pays du Sud, qui peuvent donc nous acheter davantage de biens d’équipement.
  • les importations évincent une partie de notre production nationale. Une étude de l’OFCE tient compte des ces effets : elle évalue le nombre d’emplois perdus en France entre 1974 et 1992 dans une fourchette comprise entre 190000 et 230000. Cette étude explique que, dans ces conditions, ça n’explique que 0.5 à 0.6 points de chômage et qu’on ne peut donc pas y voir la cause principale de l’augmentation du chômage de masse.

® Ces études nourrissent l’idée que les véritables causes du chômage et du creusement des inégalités sont ailleurs.

· C’est la thèse défendue par Krugman dans son dernier livre, intitulé, La mondialisation n’est pas coupable. Selon lui, les véritables causes du chômage et du développement des inégalités sont internes. Il souligne en particulier le fait que la baisse des rémunérations des moins qualifiés aux Etats-Unis vient tout simplement d’une tendance structurelle de l’économie américaine à avoir une demande de main-d'œuvre peu qualifiée de plus en plus faible. Pour lui, cette tendance s’explique par le progrès technique et n’a que peu à voir avec les échanges commerciaux avec les pays d’Asie.

· les partisans de cette thèse (défendue en France par des économistes comme Daniel Cohen ou Jean-Paul Fitoussi) soulignent par ailleurs que les échanges avec les pays à bas salaires représentent une part faible de nos échanges et donc une part encore plus faible de notre PIB, même si leur place dans nos échanges a globalement doublé depuis 1979. En 1979, l’Asie en développement représente 7.5% des exportations mondiales et 7.7% des importations mondiales. Ces parts étaient respectivement de 14.7% et 15.4% en 1993.

· Krugman souligne à plusieurs reprises que voir la raison du chômage dans cette mondialisation est directement lié à une vision des relations économiques internationales en termes de compétitivité, il dénonce ceux qui présente les échanges comme un eu à somme nulle où la tâche de chaque pays serait de gagner des parts de marché à l’exportation , au détriment des concurrents et où les importations sont un mal nécessaire, qu’il faut limiter le plus possible. Il dénonce ce qu’il appelle l’obsession de la compétitivité, de la guerre économique, qui sévit aux Etats-Unis.

  1. Les réponses des plus pessimistes

® les études empiriques sur l’emploi

Elles contestent parfois la validité des études empiriques déjà citées :

  • une étude menée sur la période 1950-1988 pour 23 pays industrialisés (Good, Woodbridge et Ruffin) pour rechercher une corrélation entre pénétration des importations et futur taux de chômage (en considérant un décalage d’un an) aboutit à des résultats très nuancés :

  • dans 1/3 des cas, aucune corrélation n’apparaît
  • quand une corrélation apparaît entre chômage et importations, elle est positive dans 53% des cas
  • quand une corrélation apparaît, elle est aussi positive dans 56% des cas entre exportations et chômage !

  • une autre étude sur l’emploi manufacturier en France montre que ça dépend des secteurs. L’étude porte sur la période 1970-1992.

  • pour le textile et l’habillement, le taux de pénétration étrangère est passé de 31% à 63%. Parallèlement l’emploi a baissé dans ces secteurs de 3.9% par an en moyenne, alors que le taux d’exportations augmentait aussi passant de 17% à 35%.
  • En revanche, pour la parachimie et la pharmacie, le taux de pénétration passe de 7.5% à 20% et l’emploi croît sur la période de 0.6% par an.

  • une étude Wood (1994) fait apparaître une corrélation assez forte (presque parfaite) entre la baisse de la part des emplois dans le secteur industriel et l’augmentation des importations en provenance des PED : le déclin de l’emploi industriel est d’autant plus fort que la pénétration a été importante. Il conteste la méthode des équivalents-emplois, en montrant qu’elle néglige une donnée importante : certains produits importés ne sont plus produits chez nous, on n’a donc plus une substituabilité parfaite des biens importés et desbiens nationaux, ce qui entraîne des disparitions importantes d’emplois. Il évalue à 20% la chute de la demande d’emplois peu qualifiés sur les deux dernières décennies. Une autre étude, reposant sur le même type d’analyses, évalue à 36 millions le nombre d’emplois détruits en Europe depuis 30 ans de ce fait.

Ces analyses ont malgré tout une limite, c’est que la part des importations non substituables reste aujourd’hui assez faible, de l’ordre de 15% par exemple pour les Etats-Unis.

  • ces études insistent aussi fortement sur la dégradation de l’emploi industriel. La part de l’industrie dans l’emploi total a chuté de 10 points entre 1970 et 1993 pour les pays de l’OCDE. En Europe cette part est passé de 34% à 24%, aux Etats-Unis de 40% à 30%. La part reste stable au Japon, autour de 34%. Parallèlement, l’industrie assurerait dans les NPI d’Asie l’essentiel de la croissance du nombre d’emplois : au début des années 90, environ 40% de la main-d'œuvre des 4 NPI de la première génération était occupée dans l’industrie et 20% pour ceux de la seconde vague(dont la Chine)

® les réponses aux arguments des optimistes

  • ces auteurs insistent sur le fait qu’on ne peut pas déduire du fait que les balances sont équilibrées, qu’il existe un effet neutre sur l’emploi, puisque le contenu en emploi d’1 franc d’importations est plus élevé que le contenu en emploi d’1 franc d’exportations (ceci dit Vimont en tient compte). Certaines études estiment la perte d’emplois non qualifiés entre 3 et 9 millions pour l’Europe, c'est-à-dire entre 1% et 3% de l’emploi total.
  • Ils insistent aussi sur le caractère factice de l’opposition entre causes internes et causes externes du chômage : c’est parce que la concurrence entre les pays de vieille industrie s’est exacerbée, suite à la montée en puissance des NPI, que, pour rester dans la course, les innovations se multiplient à un rythme plus rapide (cf. thèse sur l’écart technologique). Le rétrécissement de l’éventail des productions industrielles du Nord encourage une course aux gains de productivité, qui est destructrice d’emplois, au moins à court terme.

Pierre-Noël Giraud insiste sur le développement de la concurrence entre pays de vieille industrie, avec le développement d’échanges intra-branches et des échanges fondés moins sur une logique de complémentarité et plus une logique de concurrence, où il s’agit de gagner des parts de marché en étant plus compétitif que son voisin. Il insiste beaucoup sur le retour à une concurrence par les prix, qui entraîne la recherche de gains de productivité maximum. (Il explique que le temps est loin où les Etats-Unis aidaient l’Europe avec le plan Marshall, qu’en 1971, avec le premier déficit commercial américain de l’après-guerre, on assiste à une prise de conscience du fait que le Japon et l’Europe sont devenus des concurrents.) Dans ce contexte, toute hausse de salaire entraîne une baisse de la compétitivité-prix et il souligne la rupture avec ce qu’il appelle " les cercles vertueux de la croissance sociale démocrate auto-centrée (qui ressemblent beaucoup aux cercles vertueux du fordisme), où les partages des gains de productivité pouvait se faire de façon équilibrée, sans désavantager les salaires, il montre comment existaient aussi des " niches de productivité ", que les chefs d’entreprise pouvaient parfaitement ne pas pressurer les salariés, à partir du moment où tout le monde dans le pays faisait la même chose. Quand l’ouverture est forte et la concurrence des pays à bas salaires augmente, au contraire on traque ces niches de productivité (dont parlent aussi Fitoussi et Rosanvallon dans Le nouvel âge des inégalités). Giraud insiste sur le afit que cette recherche des gains de productivité s’est souvent traduite par une chasse aux sureffectifs. Il cite à ce sujet une étude américaine (Chevalier et Dure), qui porte sur 24 entreprises européennes ayant opéré des plans de restructuration. Cette étude aboutit au résultat suivant : il existe un lien direct entre le niveau des pertes annoncées pour es entreprises et le nombre d’emplois supprimés : le coefficient de proportionnalité est de 200 000F, c'est-à-dire que quand on annonce 100 millions de pertes par exemple, on observe la suppression de 500 postes (100 millions / 200000F). Or, 200000F c’est le coût moyen d’un salarié dans l’industrie européenne. Les suppressions de postes sont donc sensées ramener les comptes à l’équilibre et cela prouve a posteriori qu’il existait des niches de productivité importantes dans la phase précédente puisqu’on peut sans réduire la production licencier massivement.

La concurrence avec les NPI implique aussi de maintenir sans arrêt l’écart technologique avec eux, or, il s’agit de pays qui ont une gamme technologique de plus en plus ouverte, l’image selon laquelle ils se cantonneraient dans des industries de main-d'œuvre est devenue fausse. On y observe une forte hausse de la qualification et du niveau de formation de la main-d'œuvre. L’idée défendue par Giraud c’est donc qu’il existe des pays à bas salaires mais à forte capacité technologique et que donc la concurrence avec eux nécessite une course encore plus rapide à l’innovation . dans ce sens, opposer le progrès technique comme cause interne du chômage à la mondialisation, qui serait une cause externe et peu influente, c’est établir une opposition factice. C’est parce qu’il y a mondialisation qu’on est contraint à l’innovation très rapide.

Ces auteurs admettent le fait souligné par Krugman qu’à long terme la hausse des niveaux de productivité dans ces pays à forte capacité technologique va entraîner une hausse des salaires et donc un déclin de l’avantage par les coûts. Une fois le rattrapage effectué, une fois l’Asie arrivée au même niveau de développement technologique que les pays de vieille industrie, la concurrence ne se fera plus par les salaires. Mais ils nuancent les conclusions optimistes qu’on pourrait tirer de ce raisonnement à long terme : à court terme, le niveau des salaires est gagé sur la productivité moyenne de l’économie et donc le niveau des salaires dans les industries exportatrices, où la productivité est plus élevée que dans le reste de l’économie, est fonction de la productivité moyenne. Il y a donc un décalage à court terme entre les niveaux de productivité atteints dans ces industries exportatrices et la convergence des salaires vers des niveaux comparables aux niveaux européens. Jacques Adda (La mondialisation, 2 tomes dans la collection Repères) cite l’exemple de branches comme la sidérurgie, où les niveaux de productivité asiatiques ont rattrapé les niveaux européens sans que les salaires aient suivi, parce que les gains de productivité dans l’ensemble de l’économie sont plus lents. Il ajoute que le Japon a fait la même expérience depuis l’après-guerre avant de rattraper les niveaux européens de salaires.

Adda répond aussi à un autre argument des " optimistes " au sujet de l’appréciation des taux de change : pour les optimistes le dumping monétaire, grâce à une sous-évaluation des monnaies, n’est possible qu’à court terme, parce que les pays qui le pratiquent engrangent des excédents commerciaux, qui vont provoquer à terme une appréciation du taux de change. Cette appréciation du taux de change permettrait d’ailleurs de diminuer l’avantage des bas salaires. Adda souligne le fait que malgré tout, il existe une manipulation des taux de change grâce à des politiques monétaires expansives et surtout des contrôles très stricts des mouvements de capitaux (il existe d’ailleurs des pressions très fortes de la part des Etats-Unis sur le Japon puis sur les autres pays pour libéraliser les mouvements de capitaux, c’est un des éléments qui peut expliquer le développement de la globalisation financière, et on a observé par la suite un début d’appréciation des monnaies de la région)

Dernier argument, les auteurs sceptiques ajoutent que, même si le poids des importations en provenance de ces pays est encore faible, cela ne signifie pas que la pression en termes de compétitivité ne soit pas déjà forte : les entreprises peuvent adapter leur mode de gestion du personnel à cette nouvelle donne et les effets sur l’emploi sont donc peut-être plus importants que ne le laisserait penser la simple observation du poids des pays d’Asie dans les échanges.

  1. Les mutations des échanges ont entraîné un renouvellement théorique

On va voir comment ce renouvellement théorique aboutit à une remise en cause du modèle des avantages comparatifs, qui reste un référence, mais dont les conclusions sont nuancées, on verra en particulier comment les conclusions en matière de politique économique sont moins strictes concernant l’interdiction absolue de prendre des mesures protectionnistes.

A. Les renouvellements de la théorie du commerce international

Jusque dans les années 70, la théorie du commerce international est dominée par le modèle des avantages comparatifs : il y a échange parce qu’il y a diversité des technologies, des dotations factorielles. Cette théorie explique bien les échanges entre pays différents, mais elle rend moins bien compte du développement très marqué des échanges intra-branches. Les économistes ont alors cherché d’autres déterminants des échanges pour mieux expliquer ce développement rapide des échanges intra-branches et le fait stylisé suivant : 80% des échanges se font au sein de la triade, entre pays de niveaux de développement comparables.

  1. Les évolutions qui rendent le socle des avantages comparatifs moins opératoire ;

® le développement des échanges intra-branches

  • définition : " commerce croisé (exportations et importations) de produits appartenant à une même branche.
  • Plusieurs problèmes se posent pour repérer à partir de cette définition ce que sont réellement les échanges intra-branches :

  • il ne faut parler d’échange intra-branche que quand le montant des exportations et celui des importations sont comparables. Sinon, ça ne pose pas de problème au modèle des avantages comparatifs.

  • On peut trouver un peu de tout dans une même branche, on peut donc observer un échange intrabranche qui recouvre en fait des échanges interproduits. L’échange intrabranche peut aussi correspondre à un commerce de gamme (même famille de produits, mais différenciés par leur place dans la gamme) ou enfin, le commerce de produits réellement similaires. Il est souvent difficile de repérer ce qui relève d’un type d’échange ou d’un autre.

  • pour mesurer ce développement des échanges intra-branches on utilise un indicateur mis au point par Grubel et Lloyd en 1975.

GL =

Interprétation

Plus ce taux est proche de 100%, plus le taux de recouvrement est fort et plus les valeurs des exportations et des importations de la branche sont proches.

  • les calculs réalisés par Muchielli en 1988 donnent les résultats suivants :

 

1965

1975

1985

France

72%

78%

82%

Grande-Bretagne

56%

73%

81%

Espagne

27%

46%

58%

Grèce

10%

24%

29%

Etats-Unis

50%

62%

60%

RFA

53%

57%

66%

Japon

26%

27%

25%

L’ampleur du phénomène varie donc selon les pays, il est très fort pour la France. Dans la plupart des pays, la tendance est à la hausse. Les pays moins industrialisés, comme l’Espagne ou la Grèce connaissent des taux d’intra-branche moins élevés, mais en hausse. La seule exception notable est le Japon : seulement ¼ de son commerce est intra-branche, ce résultat renvoie à sa politique de spécialisation sur certains produits.

® contestation des hypothèses du modèle des avantages comparatifs

  • l’hypothèse du plein emploi des facteurs de production : que penser de la validité de cette hypothèse en période de chômage de masse ? Le protectionnisme reprend-il ses droits ? quid de la sous-utilisation des capacités de production ?
  • la concurrence pure et parfaite : difficile de soutenir que les conditions soient respectées, alors qu’il existe de larges pans de l’industrie, qui connaissent des rendements croissants et qui donc bénéficient d’économie d’échelle.

  1. Les renouvellements théoriques

  1. La prise en compte de la demande interne
  2. Dès 1961, Linder soulignait l’importance du commerce intra-branche entre pays de niveaux de développement semblables. Il pensait que ce phénomène allait contre HOS. Il a expliqué à l’époque une explication en termes de " demande représentative " : les producteurs nationaux, produisent d’abord pour le marché intérieur, en fonction des préférences des consommateurs de leur pays, les exportations sont considérées comme la commercialisation d’un surplus par rapport à la consommation intérieure, c’est donc la demande représentative qui explique la spécialisation. C’est ce qui explique que des pays de même niveau de développement, qui ont des demandes représentatives proches, aient aussi des spécialisations proches.

    Lassuderie-Duchêne introduit la " demande de différence ", pour souligner le fait que le consommateur est sensible à l’élargissement de son éventail de choix et qu’il demande donc des produits étrangers assez similaires aux produits du marché intérieur.

    Dans ces deux analyses, la notion d’avantage comparatif disparaît.

  3. La prise en compte de la concurrence imparfaite.

La nouvelle théorie du commerce international se fixe comme objectif de mieux prendre en compte certaines réalités du monde contemporain. Elle se caractérise notamment par la prise en compte de l’existence de rendements croissants et elle rompt du coup avec l’image d’une spécialisation exogène, c'est-à-dire d’une spécialisation qui préexisterait à l’échange. Elle se situe dans la lignée d’analyses qui avaient déjà souligné le caractère endogène de la spécialisation, c'est-à-dire de la spécialisation comme conséquence de l’ouverture des échanges et non l’inverse. Dans cette perspective, on a une vision dynamique des avantages et de la spécialisation, comme résultat d’une construction.

Dans cette approche, deux nations identiques (du point de vue de la dotation factorielle, du niveau technologique) peuvent avoir malgré tout intérêt à l’échange dans la cas où l’ouverture permet de concentrer les ressources dans les secteurs à rendements croissants : le développement des exportations dans les secteurs à rendements croissants, permet d’élargir l’échelle de production et donc de réduire les coûts unitaires de production, ce qui crée ex-post un avantage comparatif face au pays qui a renoncé à cette spécialisation pour une autre. Les spécialisations ne sont plus prédéterminées et ne reposent plus sur des critères objectifs, ce qui rend la spécialisation plus arbitraire. Ce que montrent d’ailleurs ces modèles, c’est qu’un des gains liés au libre-échange vient du fait que les pays peuvent consacrer plus de ressources à la R&D, puisque les coûts en sont plus facilement amortis, grâce à l’augmentation de l’échelle de production. C’est la thèse défendue notamment par Grosman et Helpman (1990) : ils repartent des analyses de Vernon et montrent que l’imitation des pays riches par les pays pauvres, une fois que le bien est banalisé, permet aux pays riches de consacrer leurs ressources à la production nouvelle, à forts rendements croissants, grâce à des dépenses élevées en R&D. D’où des conclusions très favorables au développement des échanges, ces modèles renforcent encore les conclusions du modèle des avantages comparatif en soulignant les effets positifs dynamiques à la spécialisation (et non plus seulement en statique).

Ces analyses montrent par ailleurs que le développement des échanges permet d’augmenter la diversité des produits offerts aux consommateurs et c’est un des gains liés à l’ouverture des échanges.

B. les prescriptions en matière de politique économique

L’existence de ces rendements croissants et leur lien avec les spécialisations, repose la question de savoir quelles politiques commerciales les Etats doivent mener. Certains auteurs y ont vu en encouragement à mener des politiques protectionnistes de soutien aux industries à rendements croissants, au moins en menant des politiques commerciales volontaristes.

Krugman prend l’exemple de la concurrence entre Boeing et Airbus et montre ce qui se passe si on suppose qu’entre les deux firmes la concurrence est de type monopolistique et qu’une seule firme peut réaliser des profits et que si les deux firmes sont sur le marché elles réalisent nécessairement toutes les deux des pertes. Il examine les effets, dans ce cas, d’une subvention des pays européens en faveur d’Airbus, sur la décision des deux firmes. Il représente son analyse sous forme de matrices de décision :

 

Airbus

Produire

Ne pas produire

Boeing

Produire

(-5 ;-5)

(100 ;0)

Ne pas produire

(0 ;100)

(0 ;0)

Avec dans chaque case (gains pour Boeing ; gains pour Airbus)

Si les Européens s’engagent à subventionner Airbus dans le cas où il prend la décision de produire, en lui versant 10, cela change la matrice de décision :

 

Airbus

Produire

Ne pas produire

Boeing

Produire

(-5 ;5)

(100 ;0)

Ne pas produire

(0 ;110)

(0 ;0)

Dans ce cas, Boeing est incité à renoncer à produire, parce qu’il anticipe le fait qu'airbus va rester sur le marché. Une simple subvention de 10 va permettre aux Européens d’obtenir le monopole sur le marché et d’en tirer les surprofits liés au monopole. C’est un cas où une mesure protectionniste accroît le bien- être général dans le pays qui adopte cette mesure.

Ces raisonnements sur les bénéfices pour la collectivité de subventions liées aux politiques commerciales sont très populaires dans certains milieux d’affaires, aux Etats-Unis notamment.

On va voir comment en fait les théoriciens des nouvelles théories du commerce international ont des conclusions très favorables en définitive au libre-échange et un peu floues concernant les politiques protectionnistes. Ce qui est certain, c’est qu’elles représentent un encouragement pour les Etats à mener des politiques volontaristes en matière de spécialisation.

Krugman et les autres restent très prudents sur les politiques à mener. Les résultats des différents modèles sur les avantages de telle ou telle mesure sont assez incertains. Ils soulignent plusieurs choses :

  • il n’est pas toujours facile pour l’Etat de repérer les secteurs à rendements croissants, qui ne sont pas toujours ceux qu’on désigne comme high-tech (l’expérience montre d’ailleurs que les subventions vont souvent à des secteurs en déclin)
  • il existe un problème de coordination : si tous les pays se spécialisent dans les mêmes domaines, les avantages de la spécialisation disparaissent.

Bilan : ils prônent moins le libre-jeu des marchés que dans la théorie des avantages comparatifs mais ils ont des conclusions nuancées et assez prudentes en matière d’intervention de l’Etat pour les politiques commerciales. Ce qui est certain c’est que ces théories ne peuvent pas servir à appuyer un plaidoyer en faveur d’un retour au protectionnisme.

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