D'une manière générale, l'Etat influence
la production privée ou s'implique directement dans la
production par les lois et la règlementation, la fiscalité
et les subventions, les prêts et les garanties d'emprunts.
La question du rôle économique de l'Etat ne concerne
pas seulement son ampleur, mais la manière dont ce rôle
est exercé. On distingue habituellement les dépenses
publiques qui se bornent à redistribuer les revenus et
celles qui correspondent à des achats directs de biens
et services, consommés collectivement (défense nationale)
ou individuellement (éducation).
"Dans son acception la plus large, la notion, plutôt
que le concept, d'Etat-providence se définit par opposition
à celle d'Etat-gendarme ; elle désigne alors l'Etat
interventionniste dans la sphère économique et sociale
par rapport à l'Etat "neutre", cher aux libéraux,
qui limite son activité aux fonctions régaliennes
traditionnelles : défense nationale, justice, police et
ordre public, diplomatie. De fait, il s'agit de deux modèles
théoriques d'action de l'Etat introuvables dans la réalité
historique sous une forme pure, puisque même les libéraux
les plus stricts admettent, par exemple, le privilège de
l'Etat dans le domaine monétaire, ce qui constitue déjà
une entorse à la distinction initiale.... Quant à
l'idée d'Etat-providence, en tant que manière de
penser l'Etat comme instrument et concrétisation de la
solidarité sociale, en liaison avec la sociologie Durkheimienne
et les nouvelles théories juridiques de l'Etat ( comme
celle de L.Duguit), les sources doivent être cherchées
dans l'histoire économique et sociale : l'apport des Lumières,
les révolutions américaine et française de
la fin du XVIIIe siècle, les travaux de Marx et des socialistes
français, notamment." (A.Michel).
Dans le texte "On the economic role of the State" (Oxford,
1990), J.E.Stiglitz avance que l'Etat présente deux caractères
spécifiques : il dispose d'une juridiction universelle
et d'un pouvoir de contrainte qui n'appartiennent pas aux autres
organisations.
Dans un ouvrage classique sur les finances publiques ( "The
theory of public finance", New-York, 1959), R.A.Musgrave
assignait une triple tâche à l'Etat : maintien de
l'économie en situation de plein-emploi (stabilisation),
allocation des ressources et redistribution. Le domaine de la
redistribution est un de ceux qui soulèvent le plus de
questions. Le pouvoir de redistribuer par l'impôt ou les
transferts ne définit ni les bénéficiaires,
ni les victimes, ni la manière dont les droits et obligations
sont acquis.
Cela pose le le problème de l'efficacité de la
redistribution et de l'équité. Si on se tient à
évoquer la distribution globale des revenus, et donc les
politiques de transfert mises en place au niveau national, on
peut se baser sur une acception bien précise de la notion
d'inégalité, fondée sur la notion technique
de dominance au sens de Lorentz : une distribution est moins inégalitaire
qu'une autre si elle peut s'en déduire par une succession
de transferts allant tous d'un plus riche à un plus pauvre.
En première approche, on observe que le marché est
un mécanisme foncièrement efficace, mais qui est
inégalitaire. Les pouvoirs publics mettent donc en place
un système de transfert qui se superposera au marché
et en atténuera les effets néfastes. Mais tout transfert
n'est-il pas créateur d'inefficacité économique
?
Les économistes s'entendent généralement
sur une définition de l'efficacité due à
W.Pareto :"Une situation est efficace économiquement
dès lors qu'il est impossible, par des réformes
appropriées, d'améliorer le bien-être de certains
agents sans pour autant nuire à aucun autre."(Optimum
parétien).
Loin du caractère évident de cette maxime, cette
affirmation montre que l'efficacité est une notion très
forte et difficile à réaliser, et que dans une large
gamme de situations, il est possible d'améliorer le bien-être
de tous. La justice sociale requiert à la fois l'efficacité
et l'absence d'inégalités excessives, et si le rôle
du marché est d'assurer une allocation efficace des ressources,
celui de l'Etat est de redistribuer de façon "juste"
le surplus ainsi dégagé. Mais cette redistribution
aura des effets sur le système de prix, clé de voûte
de la construction. Ainsi, les prélèvements assis
sur le revenu salarial induisent une distorsion entre le coût
du travail supporté par l'employeur (qui influence la politique
d'embauche), et le salaire reçu par l'employé. On
voit apparaître le discours d'une "désincitation"
qui serait due aux transferts : mais si un prélèvement
(transfert négatif) est désincitatif, pourquoi un
versement ne serait-il pas incitatif ? Les approches micro-économiques
peuvent nous éclairer.
Celles-ci nous enseignent qu'il convient de distinguer deux effets
simultanés et opposés de la fiscalité : D'une
part, l'effet de substitution est celui auquel on se réfère
implicitement lorsqu'on parle de désincitation liée
aux prélèvements. Un alourdissement du taux d'imposition
du revenu réduit la valeur réelle de l'heure de
travail, par rapport aux autres affectations possibles du temps
(loisirs, travail domestique ...). D'où une incitation
à travailler moins, à substituer à l'activité
salariée d'autres utilisations du temps.
Mais dans le même temps, la pression fiscale accrue diminue
le revenu réel, l'agent est donc incité à
travailler davantage (effet de revenu). Seules, des études
empiriques pourraient estimer la part de l'un et de l'autre. Mais
on perçoit que les effets de la fiscalité ne se
résument pas à un chiffre magique (part des prélèvements
dans le PIB) qui pourrait allier efficacité et équité
: les délais des mécanismes redistributifs et la
conjoncture jouent un rôle essentiel.
Enfin, l'antinomie entre efficacité et égalité
n'est que partielle : une réforme pourrait, sans changer
le niveau global de prélèvements, modifier la structure
des taux marginaux.
On peut améliorer l'efficacité de la fiscalité
sans en diminuer le montant, car des gisements d'efficacité
peuvent exister, indépendamment d'une réduction
éventuelle de la pression fiscale globale.