En vous appuyant sur différentes enquêtes sur le
système éducatif français, vous examinerez
le rapport entre les méthodes d’enquête utilisées
et les résultats de la recherche en sociologie de l’éducation.
« L’enseignement n’a-t-il pas pour objet de
faire de nos élèves des hommes de leur temps »,
ainsi résume Emile Durkheim, dans son livre : L’évolution
pédagogique en France, paru dans sa première édition
en 1938, le projet éducatif et pédagogique français.
Plus proche de nous, dans les années soixante, Antoine
Prost s’intéresse à l’évolution
de la scolarité et étudie en particulier l’accroissement
du nombre d’élèves scolarisés dans
l’agglomération orléanaise. De cette étude,
il montre l’aspect quantitatif dans les différences
entre les classes sociales. Les chiffres parlent d’eux-mêmes,
en 1950, quatre-vingts pour cent d’une même classe
d’âge n’avaient que le certificat d’études
ou un CAP (certificat d’aptitude professionnelle), aujourd’hui
près de soixante-dix pour cent d’une génération
accèdent au lycée avec un objectif éducatif
d’amener quatre-vingts pour cent d’une génération
au niveau du baccalauréat.
Les pays occidentaux ont souhaité dans les années
soixante et soixante-dix analyser l’évolution de
leur système éducatif. Aux Etats-Unis le rapport
de James Coleman sur l’égalité des chances
provient de la plus grande enquête en sociologie de l’éducation.
En France, l’ INSEE (Institut national de la statistique
et des études économiques), et l’ INED (Institut
national des études démographiques), ont commencé
leur recherche à la fin des années cinquante dans
ce domaine.
Deux grandes approches peuvent être faites dans l’étude
de ce domaine. Une approche macrosociologique qui utilise des
méthodes d’enquête de type longitudinal. On
étudie une promotion d’élèves pendant
plusieurs années en utilisant différentes variables.
Cette démarche s’appuie sur la collecte d’un
grand nombre de données. Une autre méthode ayant
un caractère moins globalisant, une approche qui est plus
microsociologique, utilise une méthode de type transversal.
On analyse un échantillon, pas forcément représentatif
de la population d’élèves, sur une courte
période. Les enquêtes en sociologie de l’éducation
se partagent entre les deux types. Nous analyserons les relations
entre ces deux méthodes et les résultats de la recherche
en sociologie de l’éducation. Notre étude
se consacrera au cas français essentiellement pour une
période allant de la fin des années cinquante jusqu’à
nos jours.
Existe-t-il des différences du point de vue des résultats
quand les méthodes d’enquête sont différentes
? Les méthodes d’enquête longitudinales ou
transversales sont-elles complémentaires ou conduisent-elles
à des résultats opposés ?
Dans une première partie, nous cernerons l’approche
sociologique de la recherche en sociologie de l’éducation
qui s’est appuyée sur les grandes enquêtes
françaises du début des années soixante.
Nous nous intéresserons ensuite aux méthodes d’enquête
plus locales et microsociologiques qui ont fourni des résultats
dont le caractère était plus qualitatif que quantitatif.
En 1966, aux Etats-Unis, le rapport Coleman, « Equality
of Educational opportunity », se base sur une étude
sur 645 000 élèves. Ses conclusions essaient d’expliquer
en quoi les différences sociales, de race, de couleur,
de religion, d’origine nationale peuvent avoir une influence
sur l’égalité des chances d’éducation.
Les auteurs montrent que ce sont surtout les variables familiales
qui sont les plus déterminantes dans l’analyse des
résultats. En France, les grandes enquêtes en sociologie
de l’éducation débutent dans les années
soixante, elles sont à l’origine des nouveaux paradigmes
et nombreux débats dans ce domaine.
Jean-Claude Forquin dans un article paru dans Sociologie de l’éducation,
« La sociologie des inégalités d’éducation
», en 1990, retrace l’historique de ces grandes enquêtes
françaises. De même, Marie Duru-Bellat et Agnès
henriot-Van Zanten dans leur livre de 1992 : Sociologie de l’école,
font référence à ces enquêtes. La première
enquête quantitative date de 1962, elle est due à
deux chercheurs de l’INED : Alain Girard et Henri Bastide.
C’est la première grande enquête sur le système
éducatif français. L’ enquête est de
type longitudinal. En effet, les deux chercheurs ont analysé
des données quantitatives pendant dix ans sur 20 000 élèves
de 1962 à 1972. Cette enquête qui fait date, a permis
de mettre en avant l’influence de l’origine sociale
mais aussi géographique dans les trajectoires scolaires
des élèves. En 1962, les élèves sortent
de l’école primaire et sont suivis jusqu’en
1972. Ils sont suivis depuis la sortie du CM2 (cours moyen deuxième
année) pendant dix ans de 1962 à 1972. Les auteurs
de l’époque font une analyse des résultats
quantitatifs de l’enquête en fonction de différentes
variables. Tout d’abord, ils mettent en avant comme variable
déterminante déduite des analyses : l’âge
et la réussite au CM2. Ils concluent que ces deux variables
sont déterminants pour la poursuite des études.
Par exemple, les auteurs montrent que les élèves
de moins de onze ans au CM2 et jugés excellents par leur
maître, ont une forte probabilité de continuer leurs
études, tandis que les élèves qui sont plus
âgés jugés « mauvais » par leur
maître ont de faibles chances de poursuivre leurs études.
La conclusion d’Alain Girard et d’Henri bastide est
que l’âge et la réussite au CM2 déterminent
la poursuite ou non des études. Une deuxième variable
est la situation géographique. Les auteurs constatèrent
la sur-représentation des élèves qui habitent
dans une grande agglomération et notamment Paris et sa
région dans les élèves qui poursuivent leurs
études, et une faible représentation des élèves
qui habitent en région rurale. La zone géographique
est déterminante, selon l’urbanité ou la ruralité
de l’endroit. Age, réussite, zone géographique
et surtout le milieu d’appartenance, dernière variable
déterminante, permettent ou non l’accès aux
études. L’étude des données de l’enquête
révèle trois groupes : les agriculteurs et ouvriers
dans le premier, les professions intermédiaires et artisans
dans le second, et les cadres moyens et supérieurs dans
le dernier. Les auteurs montrent par exemple, dans les résultats
de l’enquête, qu’un enfant d’ouvrier jugé
« excellent ou bon » par son maître et de moins
de onze ans a moins de chances d’entrer au lycée
qu’un enfant dont le père est profession libérale
et qui est jugé par son maître « médiocre
ou mauvais » avec un an de plus. Le milieu d’appartenance
dans cette enquête se révèle une variable
déterminante.
Cette première grande enquête en sociologie de l’éducation
a fait date dans la recherche. C’est une enquête quantitative
de type longitudinal. Les auteurs ont recherché l’exhaustivité
dans le choix de l’échantillon. L’enquête
étant de type longitudinal, les résultats purent
s’étaler sur plusieurs années. Une autre grande
enquête du même type est celle d’A.Prost sur
la ville d’orléans. Les grands noms de la sociologie
de l’éducation en particulier, utilisèrent
les résultats de ces grandes enquêtes. Ces enquêtes
montrent l’importance de différents critères
et en particulier celui de l’origine sociale. La sélection
est précoce et se manifeste dès la maternelle. Les
enfants de cadres supérieurs ont deux fois plus de chances
de passer en sixième que les enfants d’agriculteurs
ou d’ouvriers. Les auteurs montrent surtout dans les résultats
que les inégalités se poursuivent pendant toute
la scolarité des élèves et s’amplifient
au fur et à mesure que ceux-ci accèdent aux classes
supérieures. En effet, l’écart entre les enfants
d’ouvriers et de cadres pour l’accès à
l’enseignement supérieur, va de un à six.
Une autre variable importante est l’âge et si l’élève
a redoublé une classe pendant sa scolarité. Un âge
élevé peut signifier un redoublement et donc des
difficultés pour suivre. L’enquête de Girard
et bastide fait ressortir aussi l’importance de l’habitat
et du lieu géographique de résidence. Les élèves
parisiens sont privilégiés par rapport à
ceux qui habitent en zone rurale.
Cette grande enquête a été le point de départ
des recherches et elle a permis d’apporter des résultats
et de poser des problématiques nouvelles en sociologie
de l’éducation. Jean-Manuel de Queiroz dans son livre
: L'Ecole et ses sociologies, en 1995, relève que l’âge
et la classe sociale sont liés. Il note aussi que l’aspect
culturel intervient beaucoup dans le déroulement des carrières
scolaires. L’enquête de Girard et Bastide met en avant
l’influence du facteur culturel dans la famille par rapport
aux facteurs sociaux et surtout économiques, « La
performance scolaire dépend moins de la richesse économique
d’une famille que de sa richesse culturelle ». Selon
J.-M. de Queiroz, le grand apport de ces enquêtes est de
mettre en avant des explications qui tiennent compte non pas d’un
seul facteur explicatif mais d’une pluralité de variables
qui sont plus ou moins déterminants. La sélection
scolaire s’opère quand des « combinaisons »
de variables se mettent en œuvre. C’est ce que montrent
d’autres auteurs et en particulier : Marie Duru-bellat,
Jean-Pierre jarousse et Alain Mingat dans un article de la Revue
française de sociologie, en 1993, « La scolarité
de la maternelle au lycée ». Les auteurs s’appuient
sur les résultats d’une enquête longitudinale
conduite par l’IREDM qui analyse les carrières scolaires
de deux mille élèves de l’école primaire
jusqu’en classe de première. Les auteurs s’interrogent
sur les différences de réussite en fonction de l’origine
sociale. Ils montrent que c’est au cours préparatoire
que la prédiction de carrière en fonction de l’origine
sociale est la plus forte. Par la suite l’institution scolaire
tend à réduire les différences, « l’héritage
social de l’élève se transforme en capital
scolaire autonome ». les auteurs détaillent aussi
les différentes stratégies de parents pour l’orientation
de leurs enfants. Ils remarquent la persévérance
des milieux aisés pour que leurs enfants porsuivent des
études. Deux de ces mêmes auteurs, Marie Duru-bellat
et Alain Mingat dans un autre article de la même revue en
11988, « Le déroulement de la scolarité au
collège » montrent l’influence de « l’effet
contextuel » en s’appuyant sur une autre enquête
longitudinale. Deux autres auteurs, Gabriel Langouet et Alain
Léger, dans un autre registre, montrent le passage des
élèves de l’enseignement public à l’enseignement
privé ou inversement, en s’appuyant sur une enquête
longitudinale de 25000 élèves sortis du CM2 en 1973.
De la première enquête longitudinale en sociologie
de l’éducation de Girard et bastide aux enquêtes
toujours renouvelées par le ministère de l’Education
nationale, cette méthode d’enquête s’appuyant
sur des échantillons d’élèves relativement
importants, permet d’une part de repérer les différentes
variables explicatives des inégalités scolaires
et d’autre part de juger de leur pertinence d’une
année sur l’auteur ou même sur toute une décennie.
Même si François Héran, dans un article de
la Revue française de sociologie, en 1991, « sociologie
de l’éducation et sociologie de l’enquête
: réflexions sur le modèle universaliste »
s’interroge sur la recherche dans ce domaine. Pour lui,
aux questions de fond se sur-ajoutent des problèmes de
méthode. « L’enquête sociologique ne
se donne-t-elle pas une image réductrice du monde social
? », les méthodes d’enquête longitudinale
apportent l’essentiel des résultats statistiques
pour la recherche en sociologie de l’éducation.
Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix se développent
en parallèle aux enquêtes de type longitudinal des
enquêtes de type transversal. Dans un article publié
dans la revue Economie et Statistiques en 1996, F. Héran
utilise des données statistiques recueillies suite à
une enquête transversale. L’article est intitulé
: « Ecole publique, école privée : qui peut
choisir ? » et l’auteur relève qu’une
famille sur six scolarise ses enfants dans l’enseignement
privé. L’enquête Education menée par
l’INSEE et l’INED en 1991-92, permet à F. Héran
d’analyser des données sur les trajectoires scolaires
des élèves qui fréquentent les deux réseaux
public et privé. Il relève aussi que les deux tiers
des familles acceptent le choix proposé par l’administration
et ce choix est lié aussi par la proximité de l’établissement
et du domicile.
Cette enquête Education de l’INSEE et l’INED
est une coupe instantanée pratiquée en juin 1992.
Elle est utilisée par le sociologue pour apporter une information
complémentaire aux grandes enquêtes longitudinales
dont le coût est beaucoup plus important. F. Héran
arrive à des conclusions qui lui permettent de distinguer
globalement deux types de population : « une majorité
qui ne choisit guère » et des « minorités
agissantes » « Indépendants et enseignants
font les choix les plus actifs ». Le genre d’enquête
nous renseigne sur l’attitude des parents face à
l’enseignement. Les échantillons nécessaires
à l’enquête sont de taille réduite par
rapport aux enquêtes longitudinales. L’enquête
se fait sur une courte période. Les résultats éclairent
un aspect de la sociologie de l’éducation.
Dans la même revue, Olivier Choquet et F. Héran
utilisent les résultats d’une enquête par questionnaire
(« quand les élèves jugent les collèges
et les lycées »). Cette enquête s’est
déroulée en face-à-face avec l’un au
moins des parents en juin 1992. L’échantillon était
de 5300 familles, 2500 questionnaires Enfants ont été
récupérés. O. Choquet et F. Héran
commencent à dénoncer l’enquête de F.
Dubet de 1991 qui applique la méthode de l’ "intervention
sociologique" mise au point par A. Touraine. Pour eux, c’est
une enquête non représentative.
O. Choquet et F.Héran montrent que le modèle de
la famille est plébiscité, selon l’enquête
et ses résultats, l’école n’est pas
synonyme de « tribunal », « gare de triage »,
« galère », « tunnel », «
parc de loisirs », « cirque », « poubelle
». Ils montrent aussi les différences et les évolutions
entre le collège et le lycée. Les élèves
ressentent le lycée par rapport au collège comme
une « usine ».
Les deux enquêtes celle de F.Héran et O.Choquet
et celle de F.Dubet, montrent bien les différences de méthode
qui conduisent à des résultats contrastés.
L’enquête de F.Dubet s’appuie sur une méthode
originale, les propos des élèves sont retranscrits
tels quels et interprétés par la suite. Les mots
des élèves fortement connotés ne s’imposent-ils
pas comme problématique ? Ne deviennent-ils pas pour reprendre
l’expression de Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin
dans un article de la revue : Actes de la recherche en sciences
sociales, en 1975 : une « machine idéologique »
? Cet exemple montre bien les limites d’une enquête
faite sous les préaux des écoles.
L’enquête d’Olivier Choquet et François
Héran, par questionnaire, permet aux élèves
plus réservés de participer, de s’exprimer
sans la contrainte de la prise de parole en public. Sans l’étendue
temporelle d’une enquête longitudinale, cette enquête
permet l’expression de valeurs des collégiens qui
s’opposent au sens commun. Dans l’ensemble, les élèves
font « l’éloge des professeurs », ils
sont qualifiés de « compétents » et
surtout de « sympathiques ». La rigueur méthodologique
est maintenue dans ce genre d’enquête. C’est
une coupe instantanée, transversale qui permet d’apprécier
le jugement des élèves sur l’institution tout
en s’appuyant sur un échantillon relativement exhaustif
et représentatif. Un travers de l’enquête est
ce P. Bourdieu appelle : « l’effet d’imposition
d’une problématique ». Les questions posées
aux élèves sont-elles ouvertes ou fermées
? Ont-ils la possibilité d’exprimer réellement
leur pensée ?
Les méthodes d’enquête transversales sont
nombreuses et variées. Elles touchent tous les domaines
de l’éducation comme par exemple : au recrutement
des élèves, étude faite par Michel Euriat
et Claude Thélot, aux militants des associations de parents
d’élèves étudiés par Martine
Barthélémy. Elles sont plus souples et moins coûteuses
que les grandes enquêtes des années soixante.
Cette étude sur quelques enquêtes sociologiques
dans le domaine de l’éducation des années
soixante à nos jours, montre l’articulation entre
les méthodes d’enquête et les résultats
utilisés pour la recherche. Aux grandes enquêtes
longitudinales des années soixante et soixante-dix, se
sur-ajoutent des enquêtes transversales qui donnent une
coupe instantanée de l’objet étudié.
La vision longitudinale permet de corriger les effets de conjoncture
d’une approche transversale. Cette dernière nécessite
moins de moyens et se met plus rapidement en œuvre. Plutôt
que d’opposer les deux méthodes, elles sont très
complémentaires dans le domaine de la sociologie de l’éducation.
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