La Théorie générale
parle d’une identité entre l’épargne
et l’investissement. Est-ce un point crucial dans la théorie
de Keynes ou n’y a-t-il qu’un artifice historique
?
« L’expansion se caractérise par un excès
de l’investissement sur l’épargne et la récession
se caractérise par un excès de l’épargne
sur l’investissement ». Dans une série de conférences
données en 1931 à l’université de Chicago,
J.M. Keynes donne son analyse de la crise économique et
les remèdes possibles pour en sortir. Une abondance d’épargne
peut avoir des effets néfastes sur l’économie
et sur l’emploi en particulier. Avant de s’intéresser
aux différences et aux fluctuations entre l’épargne
et l’investissement, Keynes analyse les deux notions et
trouve une identité entre les deux.
L’épargne est la part du revenu non consommé
immédiatement. L’investissement permet de créer
ou d’acheter des biens de production. L‘ investissement
peut être matériel, c’est par exemple, l’achat
de nouvelles machines de production, mais aussi immatériel,
comme dans les services.
Deux grands courants de la théorie économique ont
analysé les relations entre l’épargne et l’investissement.
Dans les années trente, l’école autrichienne
et F.Hayek en particulier, estiment que l’épargne
doit être préalable à l’investissement,
sinon l’entrepreneur doit avoir recours au crédit,
ce qui augmente son endettement. Keynes a une vision complètement
différente : pour lui trop d’épargne peut
être nuisible à l’économie et c’est
l’investissement qui détermine l’épargne
notamment avec le processus du multiplicateur.
L’épargne peut-elle être identique à
l’investissement ? l’identité étant
une notion plus large que la notion d’égalité,
comment Keynes peut-il affirmer cette identité ?
Nous analyserons d’abord l’ensemble des points de
vue sur la question en essayant de voir leur évolution
dans le temps. Pour cerner ensuite l’analyse keynésienne
sur la question.
Les classiques (A. Smith, D. Ricardo, T.R. Malthus) et aussi
K.Marx, analysent l’épargne et l’investissement
comme la même action. L’épargne de l’un
permet à l’autre d’investir, il y a identité
entre l’épargne et l’investissement. L’épargne
précède l’investissement.
Les néo-classiques s’opposent à la pensée
keynésienne et reprennent la loi des débouchés
de J.B. Say « l’offre crée sa propre demande
».Pour Say, une augmentation de la production permet de
distribuer un supplément de revenu. L’individu, plus
riche, achètera plus de biens ou services, et facilite
ainsi l’écoulement des nouveaux « débouchés
». C’est une économie basée sur l’offre
qui servira de base aux néo-classiques. Pour eux, il y
a égalité a priori entre l’épargne
et l’investissement. L’épargne est faite pour
être investie. Le revenu est égal à la somme
de la consommation et de l’épargne et la demande
est égale à la somme de la consommation et de l’investissement.
Les néo-classiques en déduisent que le revenu est
égal à la demande. C’est le taux d’intérêt
qui permet de réaliser l’équilibre. L’augmentation
du revenu permet de transmettre l’accroissement de l’offre
à la demande.
Keynes réfute ces analyses où l’épargne
égale l’investissement a priori et surtout où
c’est l’épargne qui détermine l’investissement.
L’investissement peut-il conduire à l’épargne
? Keynes s’oppose à la logique de l’équilibre
de marché, il préfère une approche par le
circuit (demande --> revenu --> dépenses). Pour lui,
l’épargne est la différence entre le revenu
et la consommation, et l’investissement est la différence
entre le produit global et la consommation. Si, comme le note
M. Herland dans son livre : Keynes et la macroéconomie,
on « identifie le revenu et le produit, ce qui n’est
certes pas incontestable » on trouve l’identité
entre l’épargne et l’investissement.
La condition d’équilibre I = S est-elle toujours
vérifiée ? L’analyse faite par le Suédois
G.Myrdal sur la distinction des valeurs ex ante ex post permet
de séparer les variables entre celles qui sont possibles
ou souhaitables (ex ante) et celles qui seront effectivement réalisées
(ex post). Si nous nous situons ex ante, nous avons donc I ex
ante = S ex ante (notés I* = S*) uniquement à l’équilibre,
dans les autres cas, l’épargne des ménages
n’est pas forcément égale à l’investissement
des entrepreneurs. Cette notion doit être comprise en termes
d’équilibre stable. Comme l’écrit, M.
Herland, l’équilibre stable est une "situation
où les agents n’ont pas de raison de modifier leur
comportement pour faire changer le système économique".
Dans ce cas, l’épargne et l’investissement
s’égalisent et comme l’équilibre est
stable, on doit avoir égalisation des valeurs réalisées.
Ce sont les variations du revenu qui permettent l’équilibre.
Dans le Traité de la monnaie, Keynes définit autrement
le revenu et l’épargne. Pour le revenu, Keynes n’inclut
pas dans sa valeur le montant de profits ou de pertes «
anormaux ». L’épargne est égale à
la différence entre le revenu normal et la consommation
; l’investissement est défini comme dans la Théorie
générale. Comme le note M. Herland, « l’égalité
ex post de l’épargne et de l’investissement
n’est pas automatiquement réaliste ». C’est
une égalité « fortuite ». S = I si le
montant des profits (ou des pertes) est nul. L’approche
développée dans le Traité est une analyse,
comme le note M. Lavoie dans l’ouvrage de F. Poulon (Les
Ecrits de Keynes), en termes de « flux financiers sectoriels
» et en citant Keynes : « l’épargne des
ménages a été compensée par les pertes
des entrepreneurs ». Pour Keynes, la variable d’ajustement
est le revenu et non le taux d’intérêt comme
le prétend Hayek.
Les Classiques analysent l’épargne et l’investissement
comme la même dose. L’épargne thésaurisée
par un individu doit être utilisée par un entrepreneur.
A chaque moment, il y a identité entre l’épargne
et l’investissement. Les néo-classiques ne reprennent
pas l’identité entre les deux notions mais font une
analyse en termes d' égalité entre l’épargne
et l’investissement. La variable clé des néo-classiques
est le taux d’intérêt qui permet d’ajuster
les deux niveaux. Comme dans le cas de l’équilibre
général walrasien, une situation de concurrence
pure et parfaite, l’équilibre se fait spontanément
sur tous les marchés. L’épargne égale
l’investissement à l’équilibre et la
relation causale qui s’établit entre eux, va de l’épargne
vers l’investissement. C’est l’épargne
qui détermine le montant de l’investissement. Keynes
s’oppose à cette égalité et reprend
l’identité des classiques. Pour lui, la relation
causale est inverse, c’est l’investissement qui détermine
le revenu, et celui-ci permet, en fonction du partage que font
les ménages entre la consommation et l’épargne,
de déterminer le niveau de l’épargne.
G.Myrdal reprend le schéma keynésien en l’enrichissant
avec la distinction ex ante - ex post. Nous pouvons avoir une
égalité entre les deux notions ex ante. Ce qui ex
post n’est pas forcément réalisable.
« Lorsque la valeur de l’investissement est supérieure
à l’épargne des ménages, les recettes
des entrepreneurs sont plus importantes que leurs coûts,
et ils font donc un profit. Au contraire, lorsque la valeur de
l’investissement courant est poindre que l’épargne
des ménages, les recettes des entrepreneurs seront moindres
que leurs coûts, et ils feront une perte ». Keynes,
dans la deuxième conférence des Harris Lectures,
propose son analyse de la crise économique. Pour lui, les
coûts de production des entrepreneurs qu’il définit
comme étant les « salaires, traitements, rentes et
intérêts » sont la contrepartie des revenus
des agents. A un coût de production correspond un revenu,
Keynes établit une identité entre ces deux montants.
Keynes sépare ensuite les deux parties du revenu entre
la consommation des ménages et l’épargne.
Cette même épargne sera utilisée par les établissements
financiers qui peuvent la distribuer à d’autres ménages
sous formes de crédit. On reconnaît le processus
causal keynésien, le revenu permet l’épargne
qui entraîne un autre revenu qui est lui-même divisé
entre consommation et épargne.
Keynes introduit ensuite dans cette conférence la notion
de déséquilibre après avoir réfuté
l’égalité entre l’investissement et
l’épargne.. Keynes expose deux cas : si le taux d’épargne
est trop important, de « fortes pressions » peuvent
diminuer le montant de l’épargne. Il prend l’exemple
des chômeurs qui veulent continuer à consommer. L’Etat
peut aussi désépargner et la production peut ainsi
s’accroître.
En conclusion, Keynes affirme que ce qu’il appelle «
l’équilibre de prospérité » ne
peut avoir lieu que si l’investissement est « à
niveau égal à celui de l’épargne nationale
pendant la prospérité ». Pour les classiques,
l’épargne devient investissement au cours du temps.
Pour les néo-classiques, c’est l’épargne
qui détermine l’investissement et la variable d’ajustement
qui permet d’avoir une égalité entre les deux
est le taux d’intérêt. Pour Keynes, c’est
l’inverse, c’est l’investissement qui détermine
l’épargne et la variable d’ajustement est le
revenu. La distinction faite par G. Myrdal sur les valeurs ex
ante et ex post, permet de clarifier l’identité ou
l’égalité entre les deux notions. Dans la
Théorie générale, et en fonction des définitions
données par Keynes, il y a forcément identité
entre l’épargne et l’investissement ex post.
Avec le processus du multiplicateur, l’investissement supplémentaire
augmente le revenu qui lui-même permet un accroissement
de l’épargne équivalent à l’investissement
initial. Pour les valeurs ex ante, la relation d’égalité
entre épargne et investissement n’est vraie qu’à
l’équilibre. Dans les autres cas l’investissement
des entreprises n’est pas automatiquement égal à
l’épargne des ménages. La Théorie générale
établit une identité entre l’épargne
et l’investissement, c’est un point crucial dans la
théorie keynésienne surtout si on prend en compte
la distinction faite par G. Myrdal sur les valeurs ex ante - ex
post.
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